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4.1.2 sur les dossiers critiques à refuser par Actiris

4.3. Impact de la collaboration antérieure sur le jugement du dossier

4.3.2. Du côté d’Actiris

En ce qui concerne Actiris, des évaluateurs doivent examiner des dossiers de candidature dans le cadre d’un appel à projets conjoint avec un autre service public, Bruxelles Formation. La procédure veut que les deux institutions fournissent un avis positif pour que le dossier soit accepté. Après lecture, deux dossiers ont obtenu un avis négatif de la part d’Actiris et un avis positif de la part de l’autre institution. Selon la règle établie, le dossier doit être rejeté. Cependant, lors du comité de sélection, les évaluateurs ont décidé de lire le dossier rendu par l’opérateur à l’autre institution pour comprendre

les avis de chacun. Au départ, chaque institution reçoit la partie du dossier la concernant : l’une par rapport à la formation et l’autre par rapport à l’accompagnement des demandeurs d’emploi. On peut remarquer que la règle de départ a été aménagée en cours de traitement des dossiers car l’un d’entre eux posait question aux évaluateurs.

Actiris a remis un avis négatif car l’opérateur n’a pas été suffisamment explicite dans son dossier de candidature. Il considère que l’opérateur fait du bon travail mais cela ne transparaît pas à la lecture du dossier. Un évaluateur précise que c’est la deuxième fois que l’opérateur agit de la sorte. La décision prise par rapport au dossier est négative. Un deuxième comité de sélection s’organise pour passer en revue tous les dossiers négatifs. Le dossier en question s’est, finalement, vu attribuer un avis positif mais avec une convention de partenariat d’un an uniquement, alors que les autres bénéficient d’une convention pour trois ans.

« On sait que c’est un opérateur qui travaille bien mais on ne le voit pas dans son dossier de candidature. Il n’a pas été très explicite. […] Les résultats des trois années précédentes sont positifs mais on ne le voit pas dans le dossier. C’est la deuxième fois qu’il fait ça. Le comité de sélection a voulu lui donner le signal comme quoi ça n’allait pas. On a dit « négatif ». On a fait un deuxième comité de sélection pour le laisser passer en mettant une condition qui est de faire une évaluation après un an. Il a une convention pour un an alors que les autres ont une convention pour trois ans. Si ça ne va pas, il ne sera pas reconduit. Toutes les subventions vont tomber ».

(Agent C. d’Actiris)

Les évaluateurs ont décidé de donner une deuxième chance à l’opérateur tout en lui imposant un cadre de collaboration précis. Ils l’ont accepté car ce dernier a des résultats positifs depuis trois ans. Ainsi, la présence d’une évaluation positive lors de la précédente collaboration est un élément qui joue en faveur de l’acceptation du dossier de l’opérateur. Les résultats sont évoqués par les examinateurs sous deux aspects : le quantitatif et le qualitatif. Ils réfèrent au monde industriel car les résultats sont chiffrés,

quantifiables, mesurables et sont liés à la performance et à l’efficacité des

méthodes et des techniques d’accompagnement utilisées par l’opérateur. Ils alimentent positivement ou négativement la réputation de l’opérateur et,

donc, sont en lien avec le registre de l’opinion. Comme le précise De Foucault et Thévenot (1995), « le chiffre fraye des passages et des compromis entre

grandeur industrielle et grandeur du renom dans l’opinion » (p.335). Dans

cette épreuve-ci, la réputation agit en faveur de l’opérateur car elle manifeste

la valeur (Boltanski et Thévenot, 1991, p.130) positive des prestations

précédentes de celui-ci.

Comme le précise un évaluateur, c’est la deuxième fois que l’opérateur introduit un dossier qui ne reflète pas le travail fourni antérieurement. L’évaluateur lui avait donné des conseils mais il n’en a pas tenu compte pour la rédaction du dossier. Malgré cela, le dossier est accepté sur la base des résultats obtenus lors des anciennes collaborations. Ces dernières offrent des garanties au niveau des résultats. Le fait d’être un ancien partenaire, d’être connu du service partenariats, et d’avoir une bonne réputation, entre autres, au niveau de la qualité de l’accompagnement des demandeurs d’emploi sauve le dossier.

Un opérateur inconnu, dans une situation similaire, aurait certainement eu moins de chance d’être repris car aucune évaluation antérieure n’aurait pu appuyer le dossier en sa faveur. La renommée est plutôt fondée, ici, sur la qualité du travail que sur la relation entre le SPE et le partenaire car ce dernier n’est pas toujours très collaborant. Plusieurs évaluateurs ont précisé la difficulté de gérer la relation au quotidien avec le partenaire en matière de gestion administrative et financière et, le souhait de lui faire comprendre l’importance de s’améliorer dans la rédaction de ses futurs dossiers de candidature.

« Finalement, il est partenaire mais il est furieux car son dossier n’a pas de bons points chez nous. Au téléphone, un agent du service lui a donné des explications parce qu’apparemment, c’est à chaque fois la même chose avec ce partenaire-là. On va faire une évaluation après un an. À chaque fois, il introduit des dossiers, de beaux dossiers mais on veut qu’il comprenne qu’il doit améliorer la rédaction de ceux-ci. […] Les contacts avec lui sont mauvais. Et, c’est très difficile de travailler avec lui pour l’encodage des candidats et les dossiers financiers. Apparemment, d’autres services d’Actiris ont beaucoup de problèmes avec lui mais ça n’a pas influencé leur décision par rapport au dossier ».

Malgré le manque de professionnalisme dans la rédaction du dossier de candidature, les évaluateurs l’acceptent tout de même. La présence de bons résultats obtenus par le passé prédomine par rapport au manque de rigueur mais aussi de sympathie dans les relations quotidiennes avec les agents. Le dossier de candidature est un peu faible et l’opérateur n’a pas tenu compte des conseils donnés antérieurement par les agents, ceux-ci décident de le recadrer. Ils lui imposent un cadre plus rigide en imposant une évaluation intermédiaire pour définir la poursuite ou non de la collaboration avec Actiris. Pour poursuivre la collaboration, les évaluateurs sont obligés de laisser de côté l’attitude sans gêne de l’opérateur. Cette attitude se traduit à deux niveaux : sur le plan comportemental et dans la rédaction du dossier de candidature où un manque de rigueur se fait fortement sentir. Cet argument, appartenant au régime domestique, ne joue pas en faveur de l’opérateur. Afin d’établir un partenariat avec lui, les agents du SPE sont dans l’obligation d’adopter une attitude autoritaire pour faire respecter le cadre de la collaboration. Ils doivent lui imposer des règles spécifiques comme une évaluation après un an de collaboration. Les évaluateurs laissent une chance à l’opérateur de montrer son état de grandeur dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi, en espérant que cette opportunité lui fasse adopter d’autres attitudes vis-à-vis des agents d’Actiris mais également dans son travail de rédaction du dossier de candidature.

Mettre en avant l’argument de bons résultats antérieurs, relevant du régime industriel, permet aux évaluateurs de conclure la convention de partenariat tout en faisant respecter les règles de l’appel à projets et ce, en ajustant un peu le cadre de collaboration. Les évaluateurs arrivent à une forme de compromis en fin de négociation. Ils ont fait preuve de souplesse par rapport à la règle initiale qui est le refus du dossier de candidature à partir du moment où un des évaluateurs lui accorde un avis négatif. Le compromis se situe entre le monde civique et le monde industriel en ce sens où les évaluateurs mettent en avant l’argumentaire des bons résultats pour faire plier la règle de base. Ainsi, même si le dossier de candidature n’est pas rédigé selon les normes du cadre de l’appel, il est accepté car l’opérateur a montré sa

grandeur en matière de performance dans le travail d’accompagnement.

L’intervention d’arguments appartenant au registre industriel permet aussi l’atténuement de la tension fondamentale qui se situe entre les mondes de type connexionniste et civique. Cela se fait par l’association du monde

industriel et de l’opinion. Dans ce cadre-ci, l’obtention de bons résultats par l’opérateur lui procure une belle renommée. Cette dernière met en confiance les évaluateurs qui tiennent un argumentaire en faveur du dossier de candidature. Les arguments découlent du monde de l’opinion que l’on pourrait qualifier de type « positif » en ce sens où les évaluateurs sont ouverts et favorables à l’établissement d’un partenariat. Pour ce faire, un nouveau cadre de collaboration doit être formulé pour éviter les débordements de l’opérateur. Le service partenariats peut ainsi remplir sa mission de créateur de réseau.

Que retenir de ces analyses ? Le déroulement des conventionnements antérieurs a un impact dans la construction des jugements émis par les évaluateurs à propos des dossiers de candidature dits critiques. Les jugements sont fortement influencés par des arguments relevant du registre industriel. Il est possible de remarquer que la présence de « bons » résultats influence le jugement de façon positive alors que de « mauvais » résultats ont une portée négative. Tant Actiris que le Forem ne veut pas établir une collaboration avec un opérateur qui est dans un état de petitesse, c’est-à- dire d’inefficacité selon le registre industriel. Il est important de noter que le déroulement des conventions antérieures influe sur la réputation de l’opérateur. Un opérateur n’ayant pas eu une bonne relation avec l’Office de l’Emploi et/ou de bons résultats ne fera pas une bonne impression auprès des évaluateurs. Le monde industriel est relié au monde de l’opinion. Contrairement aux épreuves précédentes où l’opérateur était exclu du conventionnement pour cause de mauvaise réputation et pour risque d’obtention de mauvais résultats, ces situations-ci montrent l’impact positif de la renommée de l’opérateur au niveau du jugement de son dossier de candidature. Les évaluateurs ne doivent plus argumenter dans le sens du refus d’un conventionnement avec l’opérateur. Les arguments ne relèvent plus du monde de l’opinion de type « négatif » mais bien de type « positif » car ils montrent l’ouverture des évaluateurs à l’élaboration d’une convention de partenariat. Ces conventions avec les opérateurs dits réputés ont un impact positif sur la réputation du SPE. Tous deux verront leur réputation augmenter positivement si l’opérateur continue à exceller au niveau du travail d’accompagnement effectué avec les demandeurs d’emploi.

Du côté du Forem, les évaluateurs mettent à nouveau en avant des arguments de type domestique. Ceux-ci sont associés à d’autres arguments appartenant

à des mondes différents à savoir ceux de l’opinion et de l’industriel. Ils font de temps à autre des « arrangements » en ce sens où une juxtaposition d’arguments joue en faveur ou en défaveur du dossier de candidature connu, sans recourir à un principe supérieur commun. De leur côté, les évaluateurs d’Actiris mobilisent des arguments appartenant aux mêmes registres de justification que leurs homologues du Forem. Ils font, parfois, des compromis entre le monde civique et le monde industriel pour l’acceptation de certains dossiers critiques.

4.3.3. Portée du monde industriel dans le champ de

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