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6. La sociologie de la confiance

6.3. Le processus d’autonomisation du partenariat

Pour comprendre le processus d’autonomisation d’un partenariat, nous devons nous intéresser à un niveau supplémentaire de la confiance omis par Luhmann. Il s’agit de la confiance inter-organisationnelle qui se situe à un niveau intermédiaire entre le niveau interpersonnel et le niveau systémique de la confiance (Teubner, 1996). Le partenariat comme objet d’étude introduit nécessairement la question de la relation interpersonnelle mais aussi la relation inter-organisationnelle. Il est alors essentiel de saisir ce que cette dernière recouvre. Différents auteurs s’y intéressent surtout dans le domaine du management. Zaheer et al. (1998, p.142) définissent la confiance inter-organisationnelle comme « l’étendue de la confiance placée dans l’organisation partenaire par les membres d’une organisation centrale ». Ce type de confiance dépasse la relation interpersonnelle.

Selon Sabel (1992), construire une dynamique partenariale nécessite de s’ancrer dans un processus de création d’une identité partenariale. L’auteur envisage l’individu comme un « élément » appartenant à une communauté, c’est-à-dire « un univers commun de significations et d’attentes » (Idem, p.425). L’individualité s’exprime et s’apprécie par l’application de normes communes. Selon Sabel (1992), les frontières d’une communauté définissent le périmètre de la confiance alors que l’extérieur est source de méfiance. Cerner la confiance passe par une identification du périmètre du « connu ». Le partenariat possède, lui aussi, son propre « périmètre de familiarité ». La mise en collaboration entre un service public de l’emploi et un opérateur privé va étendre le monde non familier dans le familier de chacun d’entre eux.

Dans son exemple de la Pennsylvanie, Sabel (1992) montre le double processus de formation de l’identité des entreprises du secteur de la fonderie, des matières plastiques, de l’habillement et de l’outillage. Il identifie la présence d’une nouvelle politique favorisant la définition collective des services dont chaque acteur – entreprises, associations professionnelles, syndicats,

institutions éducatives et autorités locales – a besoin individuellement et collectivement. Les acteurs doivent reconnaître leur dépendance mutuelle pour pouvoir défi nir leurs intérêts distincts. Au fi l des collaborations, ils vont progressivement créer une « nouvelle autodéfi nition collective ».

Ainsi, la collaboration entre un SPE et un opérateur privé pour la réalisation d’un projet de formation des demandeurs d’emploi donne, en principe, lieu à une nouvelle identité collective. Cette dernière serait défi nie par la présence de représentants (des agents du service des relations partenariales du SPE et des travailleurs des organismes de l’ISP) et un ensemble de valeurs communes (le droit à la formation et à l’emploi pour tous, la satisfaction du client, la collaboration et le respect, etc.). Au-delà de l’identité collective, la confi ance inter-organisationnelle s’appuie et se construit aussi, selon Koenig et Van Wijk (1992), sur la réputation, les compétences et l’expertise des organisations, leurs expériences passées, le pouvoir relatif des parties issu d’une relation de dépendance et d’autres éléments intrinsèques à chaque organisation partenaire (taille, culture, etc.).

L’intérêt de la distinction entre les différents niveaux de la confi ance est de voir comment un système – le partenariat – s’autonomise de ses membres en coprésence. L’autonomisation s’effectue par le passage d’une confi ance interindividuelle à une confi ance systémique en passant par la confi ance inter-organisationnelle, ce que Teubner (1993) appelle « l’autopoïèse ». La relation partenariale subit en quelque sorte une forme de standardisation ou de généralisation. Elle ne dépend plus des acteurs ni du groupe qui la fondent. Les acteurs en interaction ont créé une identité commune par l’appartenance à un partenariat. Ce groupe d’individus a produit des actions et des normes qui ont elles-mêmes généré une « organisation autonome

possédant son identité collective, ses règles formelles, ses décisions, etc. »

(Teubner, 1996, p.260).

Le processus d’autonomisation d’un partenariat peut se défi nir comme le capital de confi ance accumulé aux différents niveaux d’existence (interpersonnel, inter-organisationnel et systémique) du partenariat. Ceux-ci s’additionnent pour permettre à la relation partenariale d’être autonome à un moment donné. Le niveau interpersonnel traduit un faible degré d’autonomisation tandis que le niveau systémique révèle un fort degré d’autonomisation du partenariat. L’analyse de la relation partenariale sous l’angle de la confi ance permet de défi nir le degré d’autonomisation

de la relation partenariale sur une échelle à trois échelons (cf. fi gure 1) à un moment t. Il est important de noter que le caractère dynamique de la confi ance et du partenariat feront évoluer la relation partenariale sur l’échelle d’autonomisation.

Figure 1 : Les degrés d’autonomisation d’un partenariat

Confi ance inter- organisationnelle Confi ance interpersonnelle Confi ance systémique

Le niveau interpersonnel correspond à la confi ance entre individus. Le niveau inter-organisationnel renvoie à la confi ance entre membres au sein d’une communauté ou d’un partenariat. Le niveau systémique fait référence à la confi ance au sein d’un système d’échanges et de communications relativement autonomisé où les procédures et les dispositifs gèrent, en quelque sorte, le partenariat à distance des situations de coprésence physique. Le tableau 3 récapitule l’ensemble des caractéristiques qui constitue ces trois niveaux.

Tableau 3 : Les caractéristiques des trois niveaux de la confiance

Niveaux de

confiance Caractéristiques Exemple : demander de

l’information

Interpersonnel

Satisfaction des attentes personnelles

Fidélité par rapport à ce que l’on communique de soi

Auto-présentation de soi par la rencontre

Identité personnelle et investissement dans la relation Principes des petits pas Gratitude et réciprocité Familiarité Échange de visu Inter- organisationnel Identité partenariale Intérêts, objectifs, normes communes

Bonne foi et fidélité

Respect des règles et contrôle Comportement non-opportunistes Réputation (compétence, expertise) Expérience antérieure Échange par téléphone Systémique Médias de communication Dispositifs de promesse Dispositifs de jugement Structure sociale formelle Contrat, règles, normes institutionnelles

Échange par courrier ou courriel

Pour distinguer les niveaux de la confiance, nous avons pris l’exemple dans le tableau ci-dessus de demander une information à son partenaire. L’information peut être donnée par des moyens divers, révélant chacun un des niveaux d’interaction. Dans le cas du niveau interpersonnel, l’échange s’effectue de visu, dans l’interaction en coprésence l’un de l’autre, comme le montre Giddens (1987) avec son concept d’intégration sociale. Les individus se rencontrent physiquement dans un même espace. En ce qui concerne le niveau inter-organisationnel, l’échange se réalise par téléphone. Les individus entrent en contact avec l’organisation partenaire par le biais des moyens de télécommunication qui leur permettent de s’entendre à distance. Dans le cas

du niveau systémique, l’information est donnée par un échange de courriers ou de courriels, sans mettre les parties-prenantes en interaction directement les unes avec les autres. Ce niveau fait référence au concept d’intégration

systémique (Idem), c’est-à-dire aux relations qu’ont des personnes ou des

collectivités avec d’autres qui sont physiquement absentes dans le temps ou dans l’espace. Ces trois types d’échanges participent à la construction et à la reproduction d’un système.

Une série de questions de recherche se pose à partir de ces niveaux de la confiance. Quel est le degré d’autonomisation d’un partenariat sur le marché de l’emploi ? Dans quelle mesure ce passage s’effectue-t-il dans un sens ou dans l’autre ? Est-ce en fonction de l’évolution du partenariat ? Comment expliquer la pérennité du partenariat ‘y’ dans lequel les individus initiateurs ont quitté les organisations membres du partenariat ? De plus, comment expliquer qu’un partenariat ‘x’ stagne ou se brise lorsqu’un membre le quitte ? Peut-on avancer que la relation partenariale s’autonomise dans la situation du partenariat ‘y’, ce qui ne serait alors pas le cas pour le partenariat ‘x’ ? La réponse à ces questions peut être trouvée à partir d’une analyse fine de la dynamique relationnelle.

Certains auteurs traitent la question des PPP et y proposent quelques réponses. L’analyse de notre matériau les confirmera ou les infirmera peut- être. Dans leur article traitant la question des effets de la confiance inter- organisationnelle et interpersonnelle sur la performance, Zaheer, McEvily et Perrone (1998, p.155) montrent que là où la confiance interpersonnelle est faible, la confiance inter-organisationnelle peut rester élevée. Celle-ci apparaît pour compenser le faible niveau de confiance interpersonnelle entre les partenaires. Ces auteurs montrent la coexistence de ces deux types de confiance au sein d’une même relation. La conjonction des deux sortes de confiance joue un rôle unique au niveau de la relation d’échange et ce, au-delà des effets de la structure de gouvernance.

Sur la base d’études de cas, Ramonjavelo et al. (2006) confirment la présence de ces trois formes de confiance au sein des PPP. Ils mettent en évidence une évolution allant de la confiance institutionnelle vers une confiance interpersonnelle en passant par une confiance inter-organisationnelle. Ils appuient les conclusions de Karpik (1995). Celui-ci a montré que les trois niveaux de confiance peuvent coexister mais aussi exister indépendamment l’un de l’autre, s’auto-renforcer ou même se substituer l’un à l’autre. À

travers leurs études de cas, Ramonjavelo et al. font le constat que la confiance interpersonnelle et inter-organisationnelle dominent la confiance institutionnelle et ce, contrairement aux écrits de Zucker (1986) et de Luhmann (2006) qui affirment que seule la confiance institutionnelle peut se substituer à la confiance interpersonnelle. La présence de ces différents niveaux de confiance permet, selon ces auteurs, de pallier l’incomplétude des contrats comme outils juridiques de coordination (Larkin, 1994 in Mazouz, 2012) afin d’assurer la réalisation de la prestation.

Nous pouvons postuler que le degré d’autonomisation diffère selon les modalités de gestion du partenariat mises en place par les SPE. Avant de se centrer sur ces modalités, nous allons interroger l’impact de cette autonomisation en termes de « capacitation ». Dans quelle mesure le partenariat est-il « capacitant » pour les partenaires, c’est-à-dire permet-il à chaque partie-prenante de développer des « capacités » ? Un partenariat autonomisé est-il nécessairement « capacitant » pour ses membres ? Et inversement, un partenariat faiblement autonomisé est-il peu « capacitant » pour les parties-prenantes ? Nous tenterons dans l’analyse du matériau empirique de répondre à ces questions.

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