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La circulation d’objets pour pérenniser le

6. La présence de « cadeaux »

Dans la circulation des objets, on peut identifier la présence d’un objet particulier qui est le « cadeau ». Celui-ci permet d’atténuer la méfiance installée entre les partenaires, méfiance qui est due aux difficultés liées à la collaboration. L’offre d’un cadeau est très rare et s’effectue lors de circonstances exceptionnelles. Il doit être en quelque sorte mérité. Ces cadeaux permettent bien souvent de sauver la relation partenariale d’une

rupture qui pourrait survenir non pas délibérément mais suite à une mise en danger excessive d’un partenaire.

6.1. Des cadeaux de la part d’Actiris

La mise en danger excessive touche bien souvent à l’aspect financier du partenariat. Elle concerne directement l’opérateur et peut être conséquence pour celui-ci, comme en témoigne l’extrait ci-dessous.

« Ça m’est arrivé une fois d’être malade, d’être hospitalisé le jour même où je devais commencer un groupe. Quand je suis arrivé quinze jours plus tard, il n’y avait plus que sept personnes alors qu’il en fallait dix. On m’avait retiré de l’argent mais j’avais expliqué noir sur blanc le pourquoi. Je n’aurais pas pu venir pour faire signer l’attestation de présence aux personnes. Ce jour-là, mon formateur était absent pour raison personnelle. Le groupe a eu lieu mais quinze jours plus tard. On ne savait plus mobiliser les personnes. Puis, entre temps, c’était impossible d’en sélectionner de nouveaux ».

(Opérateur E. d’Actiris)

Dans cette situation-ci, le partenaire a dû reporter la session de formation de quinze jours. Il a, en conséquence, « perdu » quelques demandeurs d’emploi pendant cette période-là. De dix personnes, il est passé à sept. Le nombre requis pour démarrer la session est de dix personnes. Commencer avec sept stagiaires génère d’office une perte financière. Il lui était impossible d’en recruter de nouveaux. Pour s’en sortir financièrement, le prestataire doit recevoir l’entièreté de la subvention. Il n’a pas hésité à déposer un recours auprès de l’Office pour expliquer la situation difficile dans laquelle il s’est retrouvé.

Finalement, le partenaire en question a obtenu gain de cause. Il a ainsi récupéré la totalité des financements dévolus à la session de formation. Cette faveur, octroyée par Actiris, a permis d’éviter à l’opérateur « la traversée d’une rivière

en pleine hiver ». Elle a agi comme un dispositif engendrant la confiance. Ce

cadeau a été offert parce que l’opérateur l’a mérité en ce sens où il est sur le marché de l’insertion et partenaire d’Actiris depuis longtemps. Il y a une certaine forme de familiarité qui s’est installée entre les deux partenaires. Et

puis, surtout, l’opérateur en question estime qu’il s’investit beaucoup dans son travail, ce qui lui a permis d’acquérir une bonne réputation.

Dans l’extrait ci-dessus, il est possible de percevoir toute l’« angoisse » que cette situation critique a générée chez l’opérateur. Une crainte intense plane dans l’atmosphère par rapport au fait de ne pas arriver à recruter le nombre de demandeurs d’emploi requis pour démarrer la session de formation, de perdre des candidats en cours de route, d’être malade au démarrage ou pendant la session, etc. Toutes ces craintes sont sous-tendues par la peur de ne pas obtenir l’ensemble des subsides octroyés pour l’action de formation. En offrant ce cadeau, Actiris lui évite la traversée de la rivière mais aussi atténue ses craintes concernant ces questions. La confiance est rétablie à travers ce cadeau.

Dans les mesures proposées par Actiris, certaines d’entre elles concernent la recherche active d’emploi. Les jeunes étant fort touchés par le chômage en région bruxelloise, Actiris a décidé d’organiser une mesure spéciale pour ces jeunes-là. Les partenaires d’Actiris en charge de l’organisation de ces ateliers ont rencontré des difficultés pour mobiliser les jeunes. Actiris, assumant une partie de la mesure en interne, a lui aussi été confronté aux mêmes obstacles. Cette mesure fonctionne par groupe de dix jeunes. Sans l’atteinte de ce nombre, le partenaire perd des financements. La mesure n’a pas bien fonctionné auprès des jeunes, ce qui a eu pour conséquence le retrait d’une partie du subside pour un certain nombre d’entre eux.

« Les Recherches Actives d’Emploi, ce sont aussi les groupes jeunes. C’est un groupe qu’on oblige aux opérateurs de faire. Ça fait deux ans que les groupes ne sont pas remplis à 50%. On sait très bien que c’est nous qui leur imposons la contrainte de faire les groupes avec une méthodologie spécifique ».

(Agent E. d’Actiris)

« Actiris a décidé de faire des Recherches Actives d’Emploi pour les jeunes car ils ont un grand souci avec l’emploi. Ça a été un flop phénoménal car presqu’aucun partenaire n’a réussi à avoir les jeunes, même pas Actiris. […] Au début, on se demandait comment on allait faire pour payer nos travailleurs. Qu’il y ait eu deux ou dix jeunes, il faut bien que le travailleur soit payé. Je fais comment pour les payer si Actiris enlève les subsides ? ».

(Fédération des opérateurs bruxellois d’insertion socioprofessionnelle)

Cette situation constitue une mise en danger pour les partenaires. Ceux qui n’ont pas de problème au niveau du remplissage de leurs groupes sont situés à côté d’une antenne Actiris ou en étroite collaboration avec des maisons de jeunes. Sans l’une de ces conditions, le partenaire est presque d’office en mauvaise posture quant à l’atteinte des objectifs chiffrés, fixés dans la convention de partenariat. À l’annonce d’une diminution du subside au prorata du nombre de personnes recrutées, les partenaires concernés se sont mobilisés pour faire part de leur mécontentement auprès des agents. Ils ont saisi l’occasion d’un comité d’accompagnement pour contester la lettre attestant la réduction budgétaire.

« Les partenaires sont arrivés en crise au comité d’accompagnement car ils avaient reçu cette lettre annonçant la perte du subside ».

(Opérateur E. d’Actiris)

Face à ces contestations, Actiris a décidé de revoir sa position en atténuant la réduction budgétaire à destination des partenaires. Cette souplesse a permis d’éviter d’importantes conséquences financières. De plus, Actiris a envisagé de tempérer ses exigences en termes de recrutement. Les groupes ne doivent plus être composés de dix jeunes mais bien de huit. Cette solution devrait faciliter l’atteinte des résultats. Un agent d’Actiris fait part ci-dessous de ses limites dans la mise en place de solutions. Il se sent coincé par un cadre légal et institutionnel. Tout ce qu’il peut faire, c’est manifester auprès des partenaires une écoute attentive et une attitude de compréhension. Une autre solution est mise en place pour faciliter le recrutement des jeunes par les partenaires. Comme Actiris n’a pas de quotas à atteindre en ce qui concerne la mesure RAE « jeunes » qu’il organise en interne, il a décidé de stopper temporairement les groupes qu’il organisait, comme l’énonce le deuxième agent. Au final, peu de répercussions financières se sont fait sentir sur les partenaires.

« Cette année, on est passé de dix à huit personnes par groupe. Les partenaires sont inquiets car ils ne savent pas s’ils auront leurs sous. […] Si on avait l’occasion d’être plus créatif, de faire autre chose, on le ferait. Formuler une réponse, c’est être diplomate. On doit être plus dans l’écoute. Ce qui important pour le partenaire dans ce cas-là, c’est qu’il se sente écouté et compris ».

(Agent E. d’Actiris)

« Les groupes « jeunes » restent un souci pour tout le monde. Je n’en fais plus pour l’instant car je préfère que les partenaires remplissent leurs groupes. On (Actiris) n’a pas de quota à atteindre. On fait d’autres sortes de groupes ».

(Agent K. d’Actiris)

« Finalement, il y a eu peu de répercussions financières mais on l’a appris très tard ».

(Fédération des opérateurs bruxellois d’insertion socioprofessionnelle)

Dans cette situation, Actiris fait une « fleur » aux partenaires en difficulté financière suite au manque de candidats. Il paraît important de préciser que les opérateurs de la mesure RAE sont, pour la plupart, en collaboration avec Actiris depuis de nombreuses années. En général, la mesure se porte bien et les difficultés de remplissage sont minimes. Ce « cadeau » permet d’atténuer l’angoisse des prestataires liée à cette situation critique mais la crainte de ne pas atteindre le nouveau barème des huit candidats reste toujours fort prégnante chez les prestataires. Le cadeau n’atténue que temporairement l’angoisse sans pour autant la dissoudre complètement. Dans tout partenariat une part d’incertitude est liée à des facteurs sur lesquels les parties-prenantes ont peu de marge d’action. Dans ce cadre-ci, il s’agit de la mobilisation des demandeurs d’emploi.

6.2. Des cadeaux de la part du Forem

Le Forem fait également des cadeaux à certains de ses opérateurs lorsqu’ils se trouvent dans une situation critique. Les présents passent par le fait d’assouplir certaines règles ou demandes formulées par l’Office. Dans ce cas-ci, l’opérateur voit son dossier de candidature conditionné. Il doit changer

son lieu de prestation mais cela nécessite pour lui de devoir débourser une grosse somme d’argent, qui n’a pas été prévue dans le budget initial.

« On a travaillé avec l’opérateur la localisation de la formation. Tout est travail de négociation. On explique pourquoi. On cherche avec eux. J’ai demandé qu’il aille dans une autre commune pour réaliser sa formation mais la salle était beaucoup trop chère. Je n’ai pas envie que l’opérateur dépense 2.000 euros pour un local. J’ai dû réajuster la demande. L’opérateur est resté là où il était ».

(CRP W. du Forem 9)

Une autre situation peut illustrer le don. Elle est suscitée involontairement par l’agent. Ce dernier s’est trompé dans le calcul des dates de validité des délivrables. L’opérateur perd six mois sur son calendrier de prestation. Il a moins de temps pour obtenir un délivrable pour chacun de ses candidats. Prenant conscience de la situation, l’agent décide de faire une fleur à l’opérateur.

« Lors d’un comité d’accompagnement, le chargé des relations partenariales a dit de rendre les délivrables six mois après la fin de l’action. J’avais bien noté cette information. Il s’est rendu compte qu’il s’était trompé. Il m’a fait une fleur. Dans le projet, il y a deux phases. Il m’a dit, en prenant ça sur lui, que le début des six mois allait commencer après le début de la phase deux. Je gagnais cinq semaines. C’est passé l’année dernière mais pas cette année car il a été rappelé à l’ordre. Les six mois démarrent en début d’action et pas en fin d’action ».

(Opérateur B. du Forem)

Une dernière situation montre l’offre de « cadeaux » par les agents aux opérateurs. La situation a été relatée précédemment (voir l’épreuve n°3.1). Il s’agit d’un opérateur qui effectue des filières en interne afin de s’assurer l’atteinte des résultats. En fin d’action de formation, il oriente les stagiaires vers ses formations structurelles. Plus des trois quarts des candidats restent au sein de l’organisme pour intégrer ses formations, ce qui lui permet d’atteindre ses résultats et d’obtenir, par conséquent, l’ensemble des subsides. En principe, il ne peut pas réaliser un « trafic de publics illicites » aussi important. L’Office de l’Emploi autorise l’entrée de quelques candidats

dans les formations internes mais pas la totalité. Face à ce constat, l’agent du SPE doit sanctionner l’opérateur en refusant une partie des délivrables mais il ne le fait pas. Il tolère la situation cette fois-ci. Il fixe à l’opérateur une limite de cinquante pourcents au niveau de la pratique de filières internes. Cette règle sera d’application pour la prochaine fois.

Les deux services publics de l’emploi font de temps en temps un cadeau à certains de leurs opérateurs. Les présents relèvent souvent d’un assouplissement de la règle ou d’une suppression des conditions imposées par l’Office. Ils permettent aux opérateurs de ne pas vivre la relation partenariale comme un défi extrême. Sans la présence de ces dons, certains prestataires seraient dans l’obligation de devoir stopper la collaboration avec le SPE car leur organisme serait en situation de danger extrême. La « traversée de la rivière en plein hiver » se transformerait alors en la « traversée du pôle nord en plein hiver ».

6.3. Des cadeaux de la part des prestataires

De leur côté, les opérateurs font aussi des cadeaux au SPE en accompagnant par exemple plus de demandeurs d’emploi que prévu initialement par la convention de partenariat. Ils dépassent le quota fixé par la convention par vocation sociale car ils ne perçoivent pas de financements supplémentaires pour l’encadrement de ces candidats en surplus. D’autres donnent de leur temps à l’Office pour travailler l’amélioration de certains dispositifs.

« On ne s’arrête pas à 100 personnes. La convention dit en principe qu’on doit arrêter mais c’est du social. On n’imagine pas l’associer à un quota. Ce n’est pas extensible à l’infini. C’est du travail gratuit pour Actiris. L’organisme ne débourse rien. On est engagé sur le projet. Si on fait une photocopie pour un candidat, l’organisme ne paiera pas plus. Ce qu’il y a, c’est que le subside est le même, que l’on voit les 100 personnes prévues ou 110 personnes. On arrive à faire plus avec le même subside »

(Opérateur F. d’Actiris)

« Parfois, j’accepte trop de candidats. Je me retrouve avec vingt personnes dans ma formation. Le chargé me rappelle que je ne serai pas payé pour l’accompagnement des candidats supplémentaires ».

(Opérateur F. du Forem)

« On donne des heures et des heures à Actiris pour améliorer la méthodologie, pour parler de la convention, pour les intervisions, pour former des nouveaux conseillers, etc. C’est évidemment fait gratuitement ».

(Opérateur E. d’Actiris)

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