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Chapitre 5 Fécondité effective dans le contexte nord-américain Tendances générales et

5.1 Tendances de fécondité effective au Canada et en Nouvelle-Angleterre

5.1.4 Tendances canadiennes-françaises en milieux urbains

Essentiellement dirigée vers les milieux urbains (Vicero, 1968; Frenette, 1998) l’émigration canadienne- française vers la Nouvelle-Angleterre entraine la formation d’importantes concentrations de population urbaine canadienne-française. L’émigration a-t-elle drainé des individus dont les comportements reproducteurs sont différents des populations canadiennes-françaises vivant dans les villes canadiennes?

En 1881, les Canadiennes françaises qui habitent au sein des villes canadiennes ont des niveaux de fécondité effective semblables. Celles qui habitent Trois-Rivières (1,07) et Sherbrooke (1,12) ont un nombre moyen de jeunes enfants un peu plus élevé que celles qui résident dans les plus grandes villes de Québec (0,95), de Montréal (0,91) et de Toronto (0,93) (Tableau 5.4). La similarité des ratios enfants-femme y est frappante. Qui plus est, cette similarité déborde la frontière puisque le niveau de fécondité effective des femmes canadiennes-françaises qui vivent à Manchester en 1880 (0,91) y est comparable. Ainsi, bien qu’à première vue les contextes régionaux semblent polariser les comportements en matière de fécondité des femmes habitant au Canada et en Nouvelle-Angleterre suivant une ligne de démarcation très nette avec la frontière canado-américaine, il n’en demeure pas moins que chez les Canadiennes françaises nous

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constatons une homogénéité des comportements – en milieu urbain - en 1880-1 à l’échelle nord- américaine.

Tableau 5.4 : Ratios enfants-femme canadienne-française âgée entre 15 et 49 ans et mariée au chef de ménage au Canada et en Nouvelle-Angleterre, pour certaines villes, 1880-81 et 1910-11.

1880-1881 1910-1911 Ratios Enfants-femme Ratios E-F standardisés Ratios Enfants-femme Ratios E-F standardisés Villes canadiennes Québec 0.98 0.95 1.07 1.06 Montréal 0.95 0.91 0.96 0.93 Trois-Rivières 1.07 1.07 -5 - St-Hyacinthe -1 - -5 - Sherbrooke 1.14 1.12 -5 - Toronto 0.97 0.93 -5 - Villes de la Nouvelle-Angleterre Manchester 0.90 0.91 0.93 0.95 Lewiston-Auburn3 -2 - 0.96 0.99 Fall River -2 - 0.95 0.95 Lowell -2 - 0.85 0.85 Holyoke -2 - 0.74 0.76 Worcester -2 - 0.76 0.77 New Bedford -2 - 0.83 0.81 Nashua -2 - 0.80 0.81 Woonsocket4 -2 - 0.88 0.90 Boston -2 - 0.61 0.62 Providence -2 - 0.76 0.76

1 Le ratio enfants-femme obtenu nous laisse perplexe tant il est bas comparativement à celui de Gauvreau et Gossage (2000) et à la lumière des

conclusions de l’ouvrage de Gossage (1999). Nous croyons que les limites de la ville telles que définies par les modalités de recensement ne rendent peut-être pas compte de la même réalité. De ce fait, nous avons préféré ne pas avancer de chiffre.

2 Les Canadiens français n’ont pas été identifiés pour l’ensemble de la Nouvelle-Angleterre dans le recensement américain de 1880. Pour plus de

détail, voir le chapitre 4 et l’annexe 1.

3 Auburn n’est pas répertoriée dans le recensement américain de 1880.

4 Woonsocket n’est pas répertoriée dans le recensement américain de 1880.

5 Ratios enfants-femme qui reposent sur un numérateur plus petit que 100.

La standardisation des ratios enfants-femme a été effectuée selon une structure d’âge commune pour chacune des villes étudiées.

Sources : Recensement américain 1880, IPUMS, 100%; Recensement canadien 1881, PRDH, 100% - sauf pour la ville de Québec (PHSVQ, 100%); Recensement américain 1910, IPUMS-Restricted Complete Count Data, 100% - sauf pour la ville de Manchester (IPUMS-Restricted Complete Count Data et CIEQ, 100%); Recensement canadien 1911, IRCS, échantillon 5% - sauf pour la ville de Québec (PHSVQ, 100%).

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Des transformations s’opèrent entre 1880-81 et 1910-11. D’abord, une différenciation très nette des comportements reproducteurs est perceptible entre les Canadiennes françaises qui habitent la ville de Québec (1,06) et celles qui habitent Montréal (0,93). À l’échelle régionale, c’est la ville de Québec qui se distingue de toutes les autres grandes les villes nord-américaines en 1911 : ce sont ses habitantes qui ont le plus grand nombre d’enfants âgés entre 0 et 4 ans, et ce, par une marge qui varie de 7% à 28% (Tableau 5.4). Cela fait sans aucun doute écho à la fameuse curiosité d’Henripin, et renforce du coup l’expression consacrée, phénomène pour lequel des éléments explicatifs ont déjà été avancés (Marcoux et St-Hilaire, 2003; Marcoux, Harton et St-Hilaire, 2008), mais dont l’ampleur n’avait pas été illustrée à l’échelle du nord- est du continent jusqu’à présent.

En 1910, les Canadiennes françaises habitant à Manchester (0,95) ont un niveau de fécondité effective relativement élevée comparativement à leurs homologues d’autres milieux urbains de Nouvelle-Angleterre. Les villes de Boston (0,62), Providence (0,76), Holyoke (0,76), Worcester (0,77), New Bedford (0,81), Nashua (0,81) et Lowell (0,85) ont toutes des niveaux de fécondité effective canadienne-française de loin inférieurs. Malgré cela, les Canadiennes françaises qui habitent à Manchester (0,95) ont en 1910 significativement moins de jeunes enfants âgés entre 0 et 4 ans au sein de leur ménage que leurs homologues habitant la ville de Québec (1,06). Un écart dans les niveaux de fécondité s’est creusé entre les communautés canadiennes-françaises de ces deux villes entre 1880-81 et 1910-11.

Il appert donc qu’en 1910-1, les Canadiens français adoptent des comportements en matière de reproduction différents d’un milieu urbain à l’autre témoignant de changements d’envergure qui se sont opérés dans le contexte nord-américain entre 1880-81 et 1910-11.

Nous proposons maintenant d’explorer cette différenciation des comportements en matière de fécondité chez les Canadiennes françaises, mise en évidence précédemment par Gauvreau et collab. (2007a) à l’échelle de la province de Québec ainsi que par nos premiers résultats descriptifs présentés ci-haut. Les villes de Québec et de Manchester nous servent de terrains d’analyse pour l’ensemble des analyses subséquentes.

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5. 2 Tendances spécifiques dans les villes de Québec et de

Manchester

Entre le début des années 1880 et le début des années 1910, les populations des villes de Québec et de Manchester sont respectivement passées de 62 445 à 78 618 habitants et de 32 630 à 70 098 habitants. C’est une augmentation de 26% dans le premier cas et de 115% dans le second.

Il ne fait pas de doute que la fécondité des habitantes de la ville de Manchester ne peut être responsable à elle seule de ce bond spectaculaire. L’historiographie a déjà maintes fois souligné l’importante émigration (près de 900 000 personnes entre 1840 et 1930) des Canadiens français vers les États-Unis (Lavoie, 1973, 1981; Roby, 1996). Manchester fut, à partir des années 1880, l’une des destinations privilégiées par les migrants (Vicero, 1968). Cette vague de nouvelles arrivées a-t-elle eu pour conséquence d’infléchir les tendances en matière de fécondité à Manchester? Est-ce que ces nouveaux arrivants adoptaient des comportements reproducteurs qui leur étaient spécifiques?

À Québec, cette mince augmentation pourrait laisser croire à une relative stagnation du tissu social de la ville. Or, St-Hilaire et Marcoux (2001) ont démontré que la population de Québec connaît d’importants mouvements de population. L’immigration se caractérise par de nouvelles arrivées en provenance essentiellement des campagnes environnantes à très forte majorité canadienne-française et l’émigration y est surtout l’apanage des populations anglo-saxonnes qui quittent massivement la ville depuis les années 1870. En plus de connaître un important renouvellement de sa population, la ville de Québec accentue par ailleurs son homogénéité culturelle par l’accroissement en termes relatifs de la population d’origine canadienne-française. Qu’est-ce qui caractérise le mode de reproduction canadien-français à Québec et qui lui est si spécifique en regard des tendances observées à l’échelle nord-américaine? Est-ce que les tendances sont homogènes ou hétérogènes selon les différentes sous-populations?

Ainsi, comme il fut présenté précédemment, les villes de Québec et de Manchester représentent deux contextes tout à fait singuliers pour une analyse de la fécondité en Amérique du Nord au tournant du XXe

siècle. Quels furent les principaux vecteurs du maintien, comparativement à la fécondité plus faible qui caractérise l’ensemble des deux régions, en contexte urbain d’une fécondité – relativement – élevée? Bien

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que plusieurs hypothèses puissent être avancées, et le seront ultérieurement, pour tenter d’éclaircir ces variations dans le temps et dans l’espace, nous supposons ici que l’arrivée d’un fort contingent canadien- français tant à Québec (concentration de 73 à 85%) qu’à Manchester (concentration de 24 à 34%), avec des comportements spécifiques en matière de reproduction, prise ici au sens large, est tributaire en partie de ces variations de fécondité effective différentielle au cours de l’intervalle intercensitaire étudié. C’est une période charnière où l’exode rural bat son plein et où l’émigration canadienne-française vers le Sud atteint des sommets. Nous croyons de surcroît que l’analyse comparée de deux communautés canadiennes- françaises sera la clef de voûte d’une telle démonstration par l’analyse des modes de reproduction canadiens-français et de leur articulation aux modes de production locaux.

Avant de décrire de manière détaillée la fécondité effective des Canadiennes françaises selon l’âge et le nombre moyen d’enfants âgés de moins de cinq ans, nous comparons brièvement leurs niveaux de fécondité effective avec ceux des femmes qui composent les deux autres principaux groupes culturels des deux villes.

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