• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Théories et concepts pour l’analyse de la fécondité

2.1 Les premiers modèles explicatifs

2.1.1 La transition démographique : la théorie de la modernisation

Le premier grand modèle à avoir été diffusé pour conceptualiser les changements démographiques est celui de la transition démographique. Formulée dès les années 1920 par W. S. Thompson, mais véritablement connue par les travaux de F. Notestein (1945), cette modélisation des changements démographiques se décline en trois temps: une prétransition caractérisée à la fois par une forte mortalité et par une forte fécondité; une transition qui s’opère avec le déclin de la mortalité précédant celui de la fécondité et donnant lieu à une période, plus ou moins longue, d’augmentation de la population (en fait une période correspondant à une réponse plus ou moins longue des us et coutumes en matière de fécondité); et une

post-transition, étape à laquelle la mortalité et la fécondité se sont toutes deux stabilisées autour de seuils

similaires.

Le modèle de la transition démographique repose sur l’approche de la modernisation. Préalablement à tout changement démographique interviennent les transformations induites par la révolution industrielle. Un « seuil » de modernisation est nécessaire pour que se mette en branle la transition démographique18F

19.

19 Pour les tenants occidentaux de ce modèle, il s’agit de trouver la « recette » à appliquer pour favoriser la

29

La modèle de la transition démographique a une portée à la fois rétrospective et prospective. À partir des années 1960, certains l’appliquent aux sociétés où la mortalité et la fécondité y sont désormais relativement basses et d’autres s’en servent pour prédire les paramètres de cette transition dans les pays qui ne l’ont pas encore vécue. Naît ainsi tout un débat entourant la relation entre population et développement. Celui-ci est axé autour de deux grands enjeux : mettre en évidence quels sont les facteurs à l’origine de la transition démographique et déterminer quel est le rôle des facteurs démographiques au sein même de la transition (Piché et Poirier, 1990). Dès lors, deux courants s’affrontent : économie et culture. D’un côté, le développement social et économique est perçu comme condition préalable à l’amorce du déclin de la fécondité (adaptation), alors que de l’autre, ce sont les comportements démographiques qui, modifiés par la diffusion de valeurs nouvelles, rendent possible le développement social et économique (diffusion).

Le paradigme d’adaptation repose sur une interprétation structuro-fonctionnaliste de la théorie de la transition démographique. Macrosociologique, cette approche, développée dans les années 1950, stipule que ce sont les transformations structurelles causées par l’industrialisation et par l’urbanisation (baisse de mortalité, passage d’une économie agricole à une économie industrielle, mobilité géographique, changement du statut de la femme et scolarisation) qui provoquent des changements majeurs sur la structure familiale (nucléarisation et nouvelle distribution des rôles) pour ensuite donner l’impulsion initiale à la transition démographique. Ce paradigme est fortement remis en question dès les années 1960 lorsque plusieurs travaux à portée historique ont réfuté tant la nécessité de l’industrialisation que celle de la nucléarisation de la famille pour que s’effectue le déclin de la fécondité (Piché et Poirier, 1990).

Le paradigme de diffusion repose quant à lui sur une interprétation culturaliste de la transition démographique. Plutôt que d’être une adaptation aux changements structurels, la baisse de la fécondité origine de la diffusion des valeurs nouvelles lesquelles sont produites par le passage d’une société traditionnelle à une société moderne. Ce n’est qu’une fois que ce processus (modernisation des valeurs et baisse de la fécondité) est enclenché que peut véritablement se mettre en branle le développement économique. Centrée sur les décisions prises à l’échelle du couple et des individus, l’approche culturaliste isole complètement l’unité d’analyse du contexte familial, environnemental et économique. Comme le

démographique trouve écho à l’époque de la décolonisation et du développement économique de nouvelles régions telles que l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine au sein desquelles l’Occident tente de diffuser son modèle. Pour une excellente genèse de l’apogée à laquelle s’est longtemps maintenue cette théorie, nous référons le lecteur à l’article de S. Szreter (1993) intitulé « The Idea of Demographic Transition and the Study of Fertility Change : A Critical Intellectual History ».

30

soulignent Piché et Poirier (1990), cette « microapproche » a largement dominé l’approche analytique en démographie pendant plus de 20 ans (1955-1975) et miné les développements théoriques et conceptuels du fait qu’elle ait été si étroitement centrée sur le couple et l’individu. Greenhalgh (1996) critique tout aussi fortement ce paradigme en insistant quant à elle sur le caractère ethnocentrique du continuum traditionnel- moderne visant à « occidentaliser » les comportements démographiques.

Maintes critiques ont été formulées à propos du modèle de la transition démographique. On lui a, entre autres, reproché d’établir une relation causale mécanique entre la diminution de mortalité et celle de la fécondité. Celle-ci fut par ailleurs réfutée par de nombreuses études empiriques durant les décennies qui ont suivi (Chesnais, 1986). On lui a aussi reproché d’être ahistorique. Cela signifie qu’il ne tient pas compte des différents contextes caractérisant chacune des trois phases qui varient dans le temps et dans l’espace, en plus de faire fi des courants migratoires, qu’ils s’agissent de migrations internationales, régionales (du monde rural vers le monde urbain) ou vers des fronts pionniers, qui ont sans doute exercé une influence sur l’intensité ou le démarrage de la transition démographique (Gauvreau et collab., 2007a). Enfin, ce modèle a été critiqué du fait qu’il soit unidirectionnel, ce qui signifie que dès que les phases de déclin sont amorcées, elles sont irréversibles19F

20. En somme, toutes ces critiques mettent en évidence la plus grande faiblesse de

ce schéma, c’est-à-dire de n’avoir aucun fondement empirique sur lesquelles s’appuient ses prétentions totalisantes20F

21.

2.1.2 Fécondité naturelle ou non : le rôle des déterminants proches

Selon la théorie classique de la transition démographique, l’évolution démographique des sociétés s’effectue selon le continuum « traditionnel-moderne», le premier stade étant l’apanage des sociétés traditionnelles, le second, des sociétés en voie de développement et le troisième des sociétés modernes. Cette polarisation des stades, et conséquemment des sociétés, repose également sur un second continuum « fécondité naturelle vs fécondité contrôlée », la fécondité naturelle caractérisant le premier stade et la

20 Bongaarts (2006) montre que dans certains pays le déclin de la fécondité est marqué par une stagnation

plus ou moins longue et dont l’occurrence n’est pas associée à un certain seuil.

21 À cet égard, Szreter (1996) souligne l’influence des perspectives économiques macrosociologiques en

vogue dans les années d’après-guerre. Il écrit : « But it was also because this was a community of social and policy scientists who believed – witness transition theory itself – in general laws of economic and concomitant demographic development : one empirical example was enough. » (Szreter, 1996 : 10)

31

fécondité contrôlée le troisième. Développé par Louis Henry au milieu des années 1950, le concept de fécondité naturelle, qui ne correspond pas au maximum biologique potentiel des femmes en matière de fécondité - maximum biologique qui n’a jamais été observé empiriquement -, se définit comme « la fécondité prévalant en l’absence de contrôle délibéré par contraception ou avortement, ce qui implique que le comportement reproductif ne dépend pas du nombre d’enfants déjà mis au monde par un couple » (de Bruijn, 2003 : 416)21F

22. Bien qu’elle demeure tributaire de la théorie de la modernisation, l’introduction du

concept de fécondité naturelle introduit la dimension « humaine » de la reproduction dans le schéma de la transition démographique. La fécondité naturelle est ainsi d’abord déterminée par des principes d’ordre biologique, lesquels sont influencés par des facteurs sociaux, environnementaux et comportementaux (mariage, fréquences des relations sexuelles, pratiques liées à l’allaitement). Dès le milieu des années 1950, Davis et Blake (1956) proposent un modèle basé sur onze variables intermédiaires déterminant pour une femme le risque d’être exposée à la conception et de mener une grossesse à terme. Dans le sillage de ces deux chercheurs, John Bongaarts (1978) développe le concept des déterminants proches de la fécondité qu’il regroupe en trois catégories : les facteurs d’exposition, le contrôle délibéré de la fécondité au sein du ménage et les facteurs dits naturels de contrôle au sein du mariage22F

23. Développé à partir des

années 1960 en concordance avec les enquêtes à grande échelle (EMF et EDS), ce modèle connaît un grand engouement dans les années 1980 du fait qu’il jette de nouvelles bases à partir desquelles la fécondité peut être mieux cernée.

22 De manière à éviter la confusion sémantique en regard du couple « contrôlée-naturelle », Coale (1973)

préfère davantage utiliser les termes de fécondité « parity-specific » et de fécondité « nonparity-specific » qui laisse plus facilement entrevoir la distinction entre deux types de pratique en matière de fécondité.

23 Au sein de ce modèle quatre déterminants ont un impact très significatif sur la fertilité des femmes : le

32

2.2 La rationalité des acteurs : l’influence de l’économie et de la

Outline

Documents relatifs