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Chapitre 6 Reproduction familiale canadienne-française à Québec et à Manchester : économie

6.1 Caractéristiques des populations canadiennes-françaises et de l’économie familiale dans les villes

6.1.1 Selon les caractéristiques des hommes

La structure socioprofessionnelle des hommes reflète bien les différences structurelles de l’économie des deux villes ainsi que les transformations qu’elles subissent entre 1880 et 1911 (Graphique 6.1). En 1880, à Manchester, ce sont environ les trois quarts des hommes canadiens-français qui occupent des emplois de type semi ou non qualifiés (73,5%). Les ouvriers qualifiés, les petits entrepreneurs et les cols blancs représentent respectivement moins de 10% de la population active masculine canadienne-française âgée de 15 ans et plus. Si l’on ne retient que les Canadiens français appartenant à cette catégorie socioprofessionnelle, ce sont 94,1% d’entre eux qui ont migré du Canada vers les États-Unis (données non présentées). À l’instar de ce que soutient Ramirez (1991 et 2003), cela corrobore le fait que la migration en provenance du Québec était accompagnée par un phénomène de prolétarisation121F

122. Force est également

d’admettre que les Canadiens français nés aux États-Unis connaissent déjà une certaine mobilité sociale ascendante à l’instar de ce que soutient Hareven (1982).

La structure socioprofessionnelle des hommes canadiens-français est très différente dans la ville de Québec à la même époque. C’est environ le quart des hommes (24,1%) qui occupent des emplois qui demandent peu ou pas de qualification (semi ou non qualifiés). Le plus important groupe socioprofessionnel (39,9%) est celui des hommes qui oeuvrent au sein de corps de métier qui nécessitent des qualifications spécifiques. Ils sont cordonniers, charpentiers, charretiers, menuisiers dans plus de la moitié de ces cas (58,6%), et si nous ajoutons les bouchers, boulangers, ferblantiers, imprimeurs et les maçons ce groupe représente près des trois quarts (73,4%) des ouvriers qualifiés de la ville.

122 Ainsi, bien peu de Canadiens français appartiennent aux catégories socioprofessionnelles des cols blancs

ou encore des petits entrepreneurs. Cette situation est semblable à celle qui prévaut en 1890 pour l’ensemble des Canadiens français recensés aux États-Unis (Weil, 1989).

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Les transformations structurelles et conjoncturelles de la seconde moitié du XIXe siècle mues par

l’implantation du capitalisme industriel s’accompagnent d’une importante modification de la structure

Graphique 6-1 : Proportions d'hommes canadiens-français âgés de 15 ans et plus selon le statut socioprofessionnel, Québec et Manchester, 1880-81 et 1910-11.

Sources : Recensement américain 1880, IPUMS, 100%; Recensement canadien 1881, PHSVQ, 100% ; Recensement américain 1910, IPUMS- Restricted Complete Count Data et CIEQ, 100%; Recensement canadien 1911, PHSVQ, 100%.

socioprofessionnelle chez les hommes tant à Québec qu’à Manchester. Dans les deux cas, les Canadiens français ont, globalement, une mobilité socioprofessionnelle ascendante bien que les raisons qui y sont sous-jacentes soient différentes. À Manchester, bien que la proportion d’ouvriers semi ou non qualifiés chez les Canadiens français âgés de 15 ans et plus diminue substantiellement entre 1880 et 1910 (de 73,5% à 58,1%), il n’en demeure pas moins qu’au début du siècle c’est tout de même près de 6 hommes sur 10 qui occupent un emploi qui demande peu ou pas de qualification particulière. Parallèlement, les proportions d’ouvriers qualifiés et celles des cols blancs augmentent. Cette ascension dans l’échelle socio-économique, bien que réelle, n’en demeure pas moins réservée à une frange spécifique de la population canadienne- française. La plupart d’entre eux sont des individus nés aux États-Unis qui ont fait l’expérience de l’usine très tôt dans leur vie et qui ont su tirer leur épingle du jeu. Socialisés dès leur jeune âge dans des cercles et dans des lieux où le travail ouvrier était l’une des pierres angulaires des rapports sociaux, ils ont tiré également profit d’un apprentissage précoce de la langue anglaise (Hareven, 1982; Weil, 1989). La

4.0 15,3 10 24,1 5,4 9,5 5,8 7,8 8,5 39,9 17,2 33,7 73,5 24,1 58,1 22,3 7,1 10.0 7,2 11,5 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% Manchester 1880 Québec 1881 Manchester 1910 Québec 1911 Aucune occupation Ouv. semi ou non qualifiés Ouviers qualifiés Fermiers

Petits entrepreneurs Cols blancs

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proportion d’hommes qui déclarent une occupation de type entrepreneuriale y demeure relativement stable et faible, tout comme c’est par ailleurs le cas dans la ville de Québec.

À Québec, le seul groupe socioprofessionnel qui voit croître son importance relative au sein de la population canadienne-française est celui des cols blancs. Parallèlement à la consolidation du secteur industriel basé sur l’industrie de la chaussure et du textile principalement se développe le secteur tertiaire, c’est-à-dire le secteur des services du commerce de détail et des communications (Lanouette, 2006). Près d’un Canadien français sur cinq occupe, en 1911, un emploi de type comptable, ingénieur, vendeur ou gérant, dans un secteur qui requiert des qualifications particulières. Même si elle diminue, la proportion d’ouvriers qualifiés chez les Canadiens français est de 28,3% et demeure la plus importante catégorie socioprofessionnelle chez les hommes âgés de 15 ans et plus.

Parallèlement à la décroissance relative de la part des ouvriers (semi ou non qualifiés à Manchester et qualifiés ainsi que semi ou non qualifiés à Québec), nous observons que la proportion d’hommes dont l’emploi n’a pu être classé dans l’une ou l’autre des catégories EGP est en forte hausse (Annexe 5). Il est probable que les transformations inhérentes au processus de production industrielle, notamment avec la parcellisation des tâches, rendent le classement des intitulés d’occupation fournis dans le recensement plus difficile. Pour l’instant, nous ne pouvons que constater le fait que cette tendance est commune aux deux villes et qu’elle regroupe une bonne part d’hommes qui étaient auparavant inclus dans les catégories d’ouvriers. Ces constats et tendances sont presque identiques chez les Canadiens français qui sont chefs de ménage ainsi que chez les hommes qui sont chefs de ménage et mariés aux Canadiennes françaises âgées entre 15 et 49 ans, les femmes qui forment notre population cible pour l’analyse de la fécondité.

Peu importe la ville où ils résident, les Canadiens français ont en très grande majorité le statut d’employé au début des années 1910 (Tableau 6.1). Le salariat, conséquence directe de l’avènement du capitalisme industriel, est désormais une pièce maîtresse, ou selon certains le talon d’Achille, de l’économie familiale dans ces deux milieux urbains. Malgré cela, environ 10% des Canadiens français habitant à Québec travaillent à leur compte; c’est plus du double si les compare aux Canadiens français de Manchester (4,5%). Les hommes chefs de ménage et dont l’épouse est canadienne-française et âgée entre 15 et 49 ans (notre population cible pour l’analyse de la fécondité effective) sont par ailleurs légèrement surreprésentés dans la catégorie des patrons et des travailleurs à leur compte tant à Québec qu’à Manchester. Cela est

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certainement associé à leur âge ainsi qu’à leur statut matrimonial. La possession des moyens de production est sans doute facilitée au milieu de la vie active ainsi que par le statut d’homme marié.

Tableau 6.1: Proportions des hommes canadiens-français âgés de 15 ans et plus selon le statut d'emploi et proportions des hommes chefs de ménage mariés à des femmes canadiennes- françaises âgées entre 15 et 49 ans selon le statut d’emploi, Manchester et Québec, 1910-11.

Statut d'emploi1 Manchester 1910

(a) Québec 1911 (b) (a) (b) Hommes 15+ Hommes CM épouse c.-f. âgée 15-49 Hommes 15+ Hommes CM épouse c.-f. âgée 15-49

Employé Employé seulement 93.2 89.7 82.9 78.3

Patron Patron seulement 2.3 3.7 2.0 2.8

Travailleur à son compte Travailleur à son compte seulement 4.5 6.6 10.0 12.6 Employé + Patron 0.3 0.3 Employé + ASC 0.4 0.4 Patron + ASC 4.3 5.5

Employé + Patron + ASC 0.1 0.1

ASC = À son compte

1 Pour plus de détails concernant les différences relatives aux informations sur le statut d’emploi selon les recensements, nous référons le lecteur au

chapitre 4.

Sources : Recensement américain 1910, IPUMS-Restricted Complete Count Data et CIEQ, 100%; Recensement canadien 1911, PHSVQ, 100%.

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