• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 Questions, hypothèses et méthodologie

4.2 Corpus, sources et variables

4.2.2 Les recensements anciens : une source de données prisée en histoire sociale

Les recensements anciens canadiens et américains sont une véritable mine d’or pour les chercheurs en histoire sociale. Datant du milieu du XIXe siècle, les données censitaires regroupent une collection

d’informations sur l’ensemble de la population. Prise à tous les dix ans, cette photographie est en quelque sorte le seul portrait global que l’on ait de la population tout entière.

4.2.2.1 Historiques et caractéristiques

Au milieu du XIXe siècle, le Canada et les États-Unis s’engagent, à l’instar de la Grande-Bretagne

73F

74, dans

une l’ère moderne de la pratique censitaire avec l’instauration de la recension nominative et conduite à intervalles réguliers74F

75. Au Canada, le premier recensement nominatif moderne est conduit en 1852

75F

76, sous

le régime de l’Union. Un second est mené en 1861. Par la suite, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique76F

77

(article 8) de 1867 scelle le sceau du recensement en statuant que l’opération doit être menée tous les dix ans77F

78. Aux États-Unis, le premier recensement fédéral fut tenu en 1790. Adoptée en 1789, la Constitution

74L’ère moderne des recensements en Amérique du Nord s’inscrit dans un contexte général, et

particulièrement anglo-saxon sous l’influence qu’exerce la Grande-Bretagne sur ses colonies, de l’avènement de la démocratie libérale et de développement de la statistique (Desrosières, 2000; Gagnon, 2000; Curtis, 2001; Wargon, 2002).

75 Aux États-Unis, le décompte de l’ensemble des individus devient réellement nominatif en 1870 alors que

tous, Blancs et Noirs, sont recensés par leur nom et sur un même formulaire. Pour une remarquable étude sur les catégories raciales dans les recensements américains, voir Schor (2009).

76 Mentionnons que trois recensements nominatifs ont été conduits à l’époque de la Nouvelle-France (1666,

1667 et 1681) (Lalou et Boleda, 1988).

77 Communément appelé Loi Constitutionnelle de 1867

78 Des recensements furent de surcroît conduits en 1906 et 1916 dans les Prairies afin de prendre le pouls de

98 des États-Unis prévoit un système de

«

poids et contrepoids

»

78F

79basé sur une distribution proportionnelle des

sièges et des contributions de chaque État, et ce, selon les chiffres du recensement (Schor, 2009). Néanmoins, la première recension nominative américaine n’a lieu qu’en 1850. Le Canada et les États-Unis disposent donc d’une longue série chronologique de recensements anciens qui forment l’une des sources les plus prisées pour l’analyse du social dans une perspective historique.

Néanmoins, depuis le XIXe siècle, le recensement est une opération politique et ses impératifs sont

contemporains aux gouvernements qui le conduisent (Curtis, 2001; Beaud et Prévost, 2000; Schor, 2009). Il n’y a guère d’objectivité pure à tracer à partir des données censitaires. Elles sont le reflet de leur époque : le reflet des individus qui déclarent qui ils sont ainsi que le reflet des idéologies de ceux qui gouvernent.

Plusieurs sources historiques comme les registres paroissiaux et les actes d’état civil permettent de décrire et de cerner les mécanismes des régimes démographiques anciens. Le recensement est également une source privilégiée pour conduire ce type d’analyse et comporte plusieurs avantages d’ordre conceptuel et méthodologique pour la recherche en histoire sociale. Le caractère politique et démocratique du recensement en fait une source exhaustive. Tous les individus d’un territoire, d’un pays donné y sont, en principe, répertoriés79F

80. Le recensement fournit un instantané de la population : il fournit des renseignements

concernant tous les individus à l’instant t80F

81. L’aspect transversal du recensement favorise la comparaison entre les sous-populations recensées. En plus de situer les individus dans le temps (instant t), le recensement localise les individus dans l’espace : d’abord, au sein de leur ménage, ensuite au sein du quartier, de la ville, de la région et du pays. Il rend possible la contextualisation des comportements individuels à plusieurs échelles. Le recensement collige de nombreuses informations de natures diverses (démographique, économique, géographique, culturel, etc.), et ce, pour chacun des individus, offrant ainsi un vaste éventail de phénomènes sociaux à analyser.

79 Checks and Balances, en anglais.

80 En théorie, tous devaient être recensés selon les instructions données, mais dans les faits, il arrive que

certains individus ne figurent pas sur la liste (Hacker, 2013; Curtis, 2001) et que d’autres soient énumérés à plus d’un endroit (Curtis, 2001).

81 Cet instant « t » n’est toutefois pas une donnée absolue. Les recensements sont tenus parfois selon le

principe « de facto » où chaque individu est recensé à l’endroit exact où il se trouve à la date du recensement, parfois selon le principe « de jure » où chaque individu est recensé là où il vit habituellement.

99

4.2.2.2 Les microdonnées : une nouvelle fenêtre sur des phénomènes sociaux anciens

Le choix des données sur lesquels repose cette thèse s’inscrit dans la foulée de nombreuses études qui ont tracé les chemins de la recherche en histoire sociale. Dans le cas précis des analyses portant sur la fécondité, de nombreuses mises en garde méthodologiques et analytiques ont été relevées depuis plusieurs décennies d’études sur le sujet. L’une des premières limites mises en évidence fut l’utilisation de données censitaires agrégées.

En démographie historique, les résultats du Princeton Project mené par Ansley J. Coale et Susan Watkins dans les années 1980 ont grandement contribué à l’avancement des connaissances sur la fécondité au XIXe siècle en offrant un portrait diversifié des conditions qui l’influencent. Leurs travaux ont par ailleurs

stimulé toute une nouvelle génération de chercheurs à la suite des limites inhérentes à l’utilisation des données agrégées à l’échelle régionale. Bien que les données agrégées puissent avoir un certain intérêt au point de vue descriptif, le potentiel explicatif d’analyses réalisées à partir de ce type de source, c’est-à-dire le potentiel d’association et de corrélation entre différents facteurs explicatifs, demeure somme toute limité. Qui plus est, l’utilisation des données agrégées conduit parfois à occulter la pluralité des phénomènes géographiquement contigus selon l’échelle d’agrégation retenue.

Non seulement les possibilités d’analyse sont-elles considérablement limitées par le caractère agrégé des données publiées, mais elles le sont également du fait que bien peu de variables ont fait l’objet de compilations publiées à la fin du XIXe siècle. Tel que Goeken et collab. (2003) l’écrivent à propos du

recensement américain de 1880 :

When funding for the 1880 census expired in early 1885, the work was still incomplete. In the end, many of the most interesting variables collected – such as marital status, relationship to the head, birthplace of mother, and birthplace of father – were never tabulated at all, and there were few cross-tabulations of any variables. No data on family characteristics were published beyond the number of families and their average size. (Goeken et collab., 2003 : 27)

100

Ces tabulations descriptives sont cruciales pour l’analyse. Rares sont néanmoins celles qui, telles que publiées à l’époque, permettent de répondre aux questionnements qui relèvent des nouveaux paradigmes de type institutionnel. L’emploi des microdonnées permet donc de tirer profit de toutes les informations colligées lors de la tenue des recensements il y a maintenant plus d’un siècle.

Par-delà les avantages liés à l’échelle d’analyse des phénomènes sociaux et des différents indicateurs employés dans des analyses descriptives, l’emploi des microdonnées numérisées permet de franchir un autre seuil conceptuel en ce qui a trait aux méthodes et aux techniques d’analyse proprement dites. Les données individuelles permettent de recourir à des méthodes d’analyse multivariée dont le potentiel explicatif permet de faire avancer notre compréhension de mécanismes sociaux, notamment en matière de reproduction. Dans le cas de la fécondité, notamment, l’analyse des déterminants à l’échelle du ménage, c’est-à-dire à l’échelle à laquelle sont prises les décisions en matière de reproduction (comparativement au quartier ou à la région, par exemples), offre sans aucun doute un meilleur angle d’approche pour notre compréhension du phénomène. En somme, les microdonnées permettent de croiser les variations de fécondité avec des indicateurs qui correspondent à certaines sous-populations, comme les femmes, les enfants, les ouvriers qualifiés ou non qualifiés, les cols blancs, etc. Elles constituent une source de données adéquates pour nous permettre de répondre à nos questions de recherche.

4.2.2.3 Les bases de données utilisées

Depuis les travaux pionniers de Michael Katz, au Canada, et de Samuel Preston, aux États-Unis, qui ont, de manière avant-gardiste, exploités de petits corpus de microdonnées de recensements dans les années 1970, de nombreux programmes de recherche, que ce soit au Canada, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, ont, depuis, mis sur pied de vastes ensembles de données censitaires numérisées afin d’en élargir l’exploitation. L’exploitation des données censitaires est désormais pratique presque incontournable en histoire sociale.

La présente thèse repose sur l’exploitation des données issues des bases de données nominatives constituées à partir des recensements américains de 1880 et de 1910 et des recensements canadiens de 1881 et de 1911. Parfois, plus d’une base de données fut utilisée pour un seul et même recensement

101

puisque la couverture géographique y est parfois différente et la quantité d’informations numérisées varie parfois aussi. Leur provenance et/ou la manière dont elles ont été constituées ou bonifiées sont ici présentées individuellement de manière détaillée.

Le recensement américain de 1880

Les données du recensement américain de 1880 ont été téléchargées à partir de l’infrastructure de recherche IPUMS (MPC, Université du Minnesota). Ces données ont été initialement saisies et partagées par la Genealogical Society de l’Utah. Elles correspondent à l’ensemble de la population (100%). Elles ont été utilisées pour calculer les ratios enfants-femme des six États de la Nouvelle-Angleterre. L’ensemble des analyses portant sur Manchester en 1880 repose également sur ces données. Toutefois, la base de données spécifique à la ville de Manchester a été bonifiée par l’ajout des informations relatives à la fréquentation scolaire des enfants et à l’alphabétisation pour l’ensemble de la population puisque ces variables ne font pas partie de la base de données complète (100%) disponible via IPUMS. Ces informations, nous les avons nous-mêmes saisies à partir des images du recensement de 1880 disponibles gratuitement via le site web d’Ancestry.

Le recensement canadien de 1881

Les données du recensement canadien de 1881 proviennent de deux programmes de recherche. Afin de calculer les ratios enfants-femme à l’échelle des provinces canadiennes ainsi que pour quelques villes autres que la ville de Québec, nous avons exploité les données du Programme de recherche en démographie historique (PRDH) du Département de démographie de l’Université de Montréal81F

82. Ces

données ont été également initialement saisies et partagées par la Genealogical Society de l’Utah. Ce corpus de données est nominatif et complet (100%). Pour les analyses spécifiques à la ville de Québec, nous avons employé la base de données constituée via le programme de recherche Population et histoire

82 La référence complète au fichier de données est la suivante : Lisa Dillon, 1881 Canadian Census project,

North Atlantic Population Project, and Minnesota Population Center. National Sample of the 1881 Census of Canada (version 2.0). Montréal, Qc : Département de Démographie, Université de Montréal [distributor], 2008.

102

sociale de la ville de Québec (PHSVQ) de l’Université Laval. Ce programme, spécifiquement axé sur l’étude

de la ville de Québec, met à la disposition des chercheurs une base de données bonifiée par rapport à celle du PRDH, notamment par l’ajout des informations relatives à la fréquentation scolaire des enfants y ont été ajoutées (Gagné et Mérand, 2001; Gagné, 2002).

Le recensement américain de 1910

Lors de l’élaboration du projet de thèse, aucune base de données complète n’existait pour ce recensement. Un échantillon de 1% de la population était disponible via IPUMS. Nous avons donc entrepris la saisie de l’ensemble de la population de Manchester en 1910 à partir des images de microfilms fournies gracieusement par IPUMS82F

83. Plus de 12 000 cas ont été ainsi saisis. En 2013, l’infrastructure de recherche

IPUMS mettait à la disposition des chercheurs une version « courte » du recensement (2/3 des informations) sous forme de bases de données nominatives complètes (100%) pour l’ensemble des États- Unis. Grâce à cet accès aux 2/3 des informations censitaires du IPUMS via le Restricted Complete Count

Data combiné à l’embauche d’une assistante de recherche par le CIÉQ pour effectuer la saisie du 1/3 des

informations manquantes (concernant notamment l’occupation, le lieu d’emploi, la fréquentation scolaire, la langue parlée et les informations relatives à la nuptialité et à la fécondité des femmes mariées), la base de données fut complétée en janvier 2015. Les données obtenues via le IPUMS Restricted Complete Count

Data (2/3 des informations seulement) ont également servi pour l’analyse de la fécondité dans les six États

de la Nouvelle-Angleterre en 1910.

Le recensement canadien de 1911

Les données du recensement de 1911 proviennent de deux programmes de recherche. Le programme de recherche PHSVQ offre une base de données complète (100%) sur la ville de Québec (Dumaine, 2008a; Dumaine, 2008b). L’Infrastructure de recherche sur le Canada au 20e siècle (IRCS) de l’Université

d’Ottawa/Université d’Alberta met à la disposition des chercheurs un échantillon de 5% de l’ensemble de la

83 Nous remercions Madame Lisa Dillon de nous avoir mis en contact avec l’équipe d’IPUMS ainsi que M.

Ron Goeken, membre de l’équipe IPUMS, qui a minutieusement recherché et copié la série d’images microfilmées correspondant à l’ensemble des individus recensés à Manchester en 1910.

103 population canadienne83F

84. Ce dernier fut employé pour les analyses de la fécondité dans les provinces

canadiennes ainsi que pour certains calculs faits pour d’autres villes canadiennes hormis la ville de Québec.

4.2.3 Une analyse de la fécondité à partir des recensements anciens : variables

Outline

Documents relatifs