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Chapitre 5 Fécondité effective dans le contexte nord-américain Tendances générales et

5.1 Tendances de fécondité effective au Canada et en Nouvelle-Angleterre

5.1.3 Tendance ou tendances urbaine(s)?

L’urbanisation est l’un des facteurs les plus souvent mis de l’avant pour expliquer la réduction de la taille des familles. Au Canada, les populations urbaines ont adopté des comportements malthusiens avant leurs compatriotes de la campagne114F

114 (Gauvreau et collab., 2007a; McInnis 2000a). Peut-on dès lors penser que

l’urbanisation des populations à l’échelle nord-américaine, qui est rappelons-le beaucoup plus précoce en Nouvelle-Angleterre qu’au Canada115F

115, peut être liée à l’homogénéité des comportements de fécondité. En

d’autres termes, l’urbanisation est-elle le corollaire à la fois d’une diminution de la fécondité et d’une uniformisation des comportements qui la concerne?

Au début des années 1880, les villes canadiennes de Montréal, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke et Toronto ont des niveaux de fécondité effective plus élevés que la plupart des villes industrielles de la Nouvelle-Angleterre116F

116 (Tableau 5.3).

Les grandes villes ont des niveaux de fécondité relativement plus faibles que les villes de taille moyenne : Montréal et Toronto ont respectivement des ratios de 0,89 et de 0,88 alors que Trois-Rivières et Sherbrooke ont toutes deux des ratios qui dépassent la moyenne d’un enfant âgé de moins de cinq ans par femme

114 Gauvreau et collab. (2007a) montrent que la fécondité des Franco-catholiques décline davantage dans

les grandes villes, puis dans les villes moyennes comparativement aux campagnes (recensement de 1901). Ces auteurs soulignent également que, jusqu’aux années 1930, la mortalité infantile est plus élevée dans les milieux urbains que dans les milieux ruraux, principalement en raison de la promiscuité et des mauvaises conditions sanitaires qui règnent dans certains quartiers urbains. Les ratios enfants-femme plus élevés des campagnes sont ainsi, en partie, liés aux chances plus élevées de survie des nourrissons. À partir de l’application de l’inverse des niveaux de mortalités observés (fonction de survie) par McInnis (2000a), les auteurs estiment néanmoins que la fécondité des femmes est plus faible en milieu urbain qu’en milieu rural en 1871 et en 1901 et que l’écart entre les milieux s’accroît entre les deux dates. Gossage (1999) avance également que la population canadienne-française de St-Hyacinthe connaît une baisse de la fécondité

substantielle durant la seconde moitié du XIXe siècle.

115 Weil (1992) mentionne qu’en Nouvelle-Angleterre plus de 50% de la population vit en ville en 1880. Au

Canada et dans l’ensemble des États-Unis, ce niveau d’urbanisation est atteint en 1921.

116 La majorité des villes ici retenues ont été sélectionnées parce que les Canadiens français y sont

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mariée (1,06 et 1,02). Cela corrobore les constats de Gauvreau et collab. (2007a) sur le lien entre la taille des villes et la fécondité. Il n’en demeure pas moins que la ville de Québec, troisième en importance après celles de Montréal et de Toronto en 1881, affiche un niveau de fécondité effective relativement élevé (0,97).

Tableau 5.3 : Ratios enfants-femme âgée entre 15 et 49 ans et mariée au chef de ménage au Canada et en Nouvelle-Angleterre, pour certaines villes, 1880-81 et 1910-11.

1880-1881 1910-1911 Population (N) Ratios E-F standardisés Population (N) Ratios E-F standardisés Villes canadiennes Québec 62 374 0,97 78 618 1,02 Montréal 140 762 0,89 490 504 0,85 Trois-Rivières 8 670 1,06 16 525 0,99 St-Hyacinthe 5 321 -1 9 797 1,02 Sherbrooke 7 227 1,02 16 728 0,98 Toronto 86 471 0,88 381 383 0,61

Villes américaines (Nouvelle-Angleterre)

Manchester 32 640 0,62 70 088 0,77 Lewiston-Auburn2 19 064 0,70 40 754 0,74 Fall River 49 261 0,80 119 305 0,75 Lowell 59 545 0,71 105 619 0,71 Holyoke 21 937 0,80 57 564 0,71 Worcester 58 323 0,76 144 137 0,69 New Bedford 26 940 0,62 95 282 0,70 Nashua 13 423 0,67 26 009 0,68 Woonsocket -3 37 736 0,79 Boston 362 725 0,72 666 626 0,69 Providence 104 967 0,67 223 869 0,66

1 Le ratio enfants-femme obtenu nous laisse perplexe tant il est bas comparativement à celui de Gauvreau et Gossage (2000) et à la lumière des

conclusions de l’ouvrage de Gossage (1999). Nous croyons que les limites de la ville telles que définies par les modalités de recensement ne rendent peut-être pas compte de la même réalité. De ce fait, nous avons préféré ne pas avancer de chiffre.

2 Auburn n’est pas répertoriée dans le recensement américain de 1880.

3 Woonsocket n’est pas répertoriée dans le recensement américain de 1880.

La standardisation des ratios enfants-femme a été effectuée selon une structure d’âge commune pour chacune des villes.

Sources : Recensement américain 1880, IPUMS, 100%; Recensement canadien 1881, PRDH, 100% - sauf pour la ville de Québec (PHSVQ, 100%); Recensement américain 1910, IPUMS-Restricted Complete Count Data, 100% - sauf pour la ville de Manchester (IPUMS-Restricted Complete Count Data et CIEQ, 100%); Recensement canadien 1911, IRCS, échantillon 5% - sauf pour la ville de Québec (PHSVQ, 100%).

Du côté de la Nouvelle-Angleterre, si l’on retient les critères de définition des milieux urbains élaborés par Gauvreau (2001), toutes les villes ici retenues, sauf Nashua, peuvent être caractérisées de « grandes »

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villes, et ce, dès 1880. Bien que les ratios y soient plus faibles que ceux de toutes les grandes villes canadiennes nommées ci-haut, il n’en demeure pas moins que nous observation une grande variation d’une ville à l’autre. Les villes de Fall River (0,80) et de Holyoke (0,80), toutes deux situées non loin de Boston dans l’État du Massachusetts, ont une fécondité relativement élevée par rapport à l’ensemble des milieux urbains de la Nouvelle-Angleterre. À l’autre bout du spectre se situent les villes de Manchester (New Hampshire) et de New Bedford (Massachusetts) où les ratios enfants-femme sont de 0,62. Contrairement à la situation qui prévaut au Canada, nous n’observons pas d’association négative entre la taille de la ville et le niveau de fécondité effective. Par exemple, dans la ville de Boston, de loin la plus populeuse en 1880 avec plus de 360 000 habitants, le ratio enfants-femme de 0,72 se situe dans la moyenne de l’ensemble des ratios compilés.

Enfin, soulignons que la ville de Québec (0,97) affiche un niveau de fécondité effective générale plus élevée que celui de la ville de Manchester (0,62). À l’échelle du continent, chacune des deux villes est donc le reflet de situations contrastantes de part et d’autre de la frontière.

Les recensements de 1910 et de 1911 permettent de constater que, d’une part, les écarts en matière de fécondité effective se sont creusés entre les villes canadiennes depuis 1881, et, d’autre part, que les femmes vivant en milieu urbain dans les États de la Nouvelle-Angleterre semblent adopter des comportements en matière de fécondité beaucoup plus circonscrits autour d’un modèle spécifique (Tableau 5.3).

Du côté canadien, un gradient est perceptible lorsque l’on compare les différents milieux urbains. La ville de Toronto se démarque tout particulièrement avec une moyenne de 0,61 enfant de moins de cinq ans par femme mariée au chef de ménage, suivie par Montréal (0,85), par des villes de taille moyenne de Sherbrooke, Trois-Rivières et St-Hyacinthe (entre 0,98 à 1,02) et enfin, par la ville de Québec (1,02).

Du côté américain, c’est à Providence, au Rhode Island, où nous observons le nombre moyen d’enfants âgés entre 0 et 4 ans par femme mariée le plus faible (0,66), et à Woonsocket (0,79) ainsi qu’à Manchester (0,77) où ce ratio est le plus élevé. Dans la plupart des autres villes, nous observons un nombre moyen de

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jeunes enfants par femme mariée qui se situe à l’intérieur d’un intervalle somme toute assez restreint qui varie de 0,68 et 0,75.

En somme, les ressorts de l’urbanisation semblent favoriser la diversification des comportements en matière de fécondité selon les différents milieux urbains, ce qui est davantage accentué au Canada qu’en Nouvelle-Angleterre. Nos résultats montrent que les mécanismes de l’urbanisation en Nouvelle-Angleterre ont non seulement été plus précoces (Weil, 1992 et 1995), mais semblent avoir induit une articulation dans les modes de production et de reproduction davantage similaire lorsque les populations urbaines sont considérées globalement. En ce sens, il ne se dégage pas de tendances nord-américaines, mais plutôt des particularités locales qu’il convient d’analyser spécifiquement pour bien cerner les mécanismes de la reproduction.

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