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Chapitre 4 Questions, hypothèses et méthodologie

4.3 Les limites d’un tel corpus et les difficultés engendrées par la comparaison

Certes facilitée par le développement d’infrastructures de recherche de grande envergure, l’utilisation des données de recensement comporte tout de même certaines limites. La comparaison dans le temps et dans l’espace des données censitaires comportent également de nombreux défis. Voici les principales difficultés et limites que nous avons rencontrées dans la poursuite nos objectifs de recherche ainsi que dans l’interprétation de nos résultats d’analyse.

Bien que l’aspect transversal du recensement soit un avantage pour la comparaison, il n’en demeure pas moins qu’il limite, par le fait même, certains aspects de la conceptualisation de la recherche. La succession et la durée des événements sont ainsi occultées. Par exemple, dans le cas l’analyse des comportements de fécondité, nous ne connaissons pas les caractéristiques des pères et des mères au moment de la naissance des enfants, mais seulement au moment de la tenue du recensement soit au moment où le jeune enfant est âgé de 6 mois, 1 an, 2 ans voire 4 ans. Qui plus est, le recensement ne permet pas d’identifier les phénomènes de courtes ou de longues durées. Le chef de ménage est-il cordonnier depuis son jeune âge? La femme mariée qui déclare un emploi est-elle employée depuis peu ou travaille-t-elle depuis plusieurs mois voire quelques années? Et ces enfants qui travaillent aussi, le font-ils sporadiquement? La belle-mère du chef de ménage vient-elle juste d’emménager au sein du ménage? Les informations sont recueillies en fonction d’un point de repère temporel commun. Il est conséquemment impossible de déterminer l’ordre temporel de l’occurrence des différents facteurs à l’étude.

La principale unité autour de laquelle sont circonscrits les rapports sociaux au sein des recensements est le ménage. Par conséquent, cela ne permet pas de pousser davantage l’analyse par l’étude d’autres cercles de sociabilité auxquels sont rattachés les individus, que ce soit au sein de la parenté, du travail, de l’école ou d’associations sociales et culturelles diverses.

Les données censitaires n’offrent qu’une vue partielle de l’occupation des femmes et des enfants. Seules les occupations directement liées à l’économie formelle sont colligées. Les agents recenseurs avaient pour tâche d’ignorer toutes tâches liées à l’économie domestique et aux travaux ménagers. Une large part de

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l’économie informelle, laquelle faisait parfois toute la différence pour la survie d’un ménage ouvrier (Bradbury, 1995), y est occultée. Gauvreau et collab. (2007b) soulignent que le jumelage des données censitaires à celles provenant d’autres sources qui contiennent des informations à caractères économiques (annuaires municipaux, les rôles d’évaluation foncière et les actes notariés, par exemple) permet de pallier à cette lacune. Nous n’avons toutefois pas exploité de telles opportunités dans le cadre de cette thèse. Néanmoins, nous prenons soin de nuancer nos constats en matière d’occupation féminine à la lumière des contextes respectifs des deux villes étudiées.

La variabilité des informations que l’on retrouve dans chacun des recensements, ce qui est particulièrement typique des recensements du XIXe siècle, est sans contredit le principal défi de la comparaison des

données censitaires canadiennes et américaines à deux moments dans le temps. D’une mouture à l’autre, qui rappelons-le sont produites par intervalle de dix ans à cette époque, le questionnaire de recensement est modifié. Certaines questions s’ajoutent et d’autres, plus rarement, sont retirées. Tant et si bien qu’au début du XXe siècle, les recensements comportent un nombre beaucoup plus élevé de questions de sorte

que la variabilité et la richesse des informations qui y sont colligées se comparent difficilement à celles des recensements du milieu du XIXe siècle, et ce, tant au Canada qu’aux États-Unis. C’est le cas, entre autres,

des questions de nature socio-économique. En 1880-81, seule l’occupation des individus figure sur les feuillets de recensement. En 1910-11, outre l’occupation, des informations sont recueillies concernant le statut d’emploi, et pour les employés précisément, concernant le lieu de travail (industry aux États-Unis), la durée et les gains pécuniaires de l’emploi au Canada, et aux États-Unis, sur le non-emploi et sa durée. Il arrive également que certaines questions soient momentanément mises de côté pour être reprises par la suite. Au Canada, c’est le cas de l’alphabétisation. Les agents recenseurs qui passent de porte en porte en 1871 questionnent les individus âgés de plus de 20 ans sur leurs capacités à lire et à écrire. Dix ans tard en 1881, aucune mention n’est faite à ce sujet. Ce n’est qu’en 1891 que l’on trace à nouveau un portrait de la population alphabétisée au Canada. C’est une situation semblable en ce qui concerne les questions sur les langues qui sont introduites en 1901, modifiées en 1911, puis ramenées à leur formule initiale en 1921103F

103.

La pertinence et la faisabilité de la comparaison des recensements anciens canadiens et américains ont déjà été démontrées (Dillon, 2000 et 2008). La majorité des questions posées y sont semblables et

103 Au Canada, les questions relatives à l’origine, aux langues et à l’identité, individuelle et collective, ont

également connu plusieurs modulations au fil des décennies. Voir Gaffield, 2007; Gaffield et collab., 2014 et Harton, 2014. Aux États-Unis, les questions raciales et ethniques ont également marqué considérablement les transformations du recensement américain. Voir Schor, 2009.

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constantes à travers le temps. Malgré le fait que les recensements soient tenus à une année d’intervalle, ce qui en soit est un très grand avantage dans la synchronie, il n’en demeure pas moins que la construction de chacun des questionnaires relève de pouvoirs étatiques bien différents avec des visées politiques bien spécifiques. Persistent conséquemment, au fil du temps, certaines différences entre les deux opérations censitaires qui limitent la marge de manœuvre en recherches comparées. Un premier exemple qui illustre l’une des différences fondamentales est l’absence de question relative à la religion dans tous les recensements américains alors que cette question est posée dans tous les recensements canadiens104F

104.

D’autres exemples, tels que les questions relatives à la l’alphabétisation105F

105, à la relation au chef de

ménage106F

106 ou encore à l’histoire génésique des femmes mariées

107F

107, illustrent cette fois le décalage dans le

temps de l’introduction de nouvelles questions au formulaire. Enfin, il arrive que les informations recensées soient les mêmes, mais qu’elles soient colligées sous des formes différentes, comme ce fut illustré ci-haut avec le statut d’emploi et la fréquentation scolaire. Le traitement de l’information, bien qu’initialement comparable, nécessite un certain ajustement du point de vue de la recherche.

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