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Chapitre 2 Théories et concepts pour l’analyse de la fécondité

2.2 La rationalité des acteurs : l’influence de l’économie et de la culture

2.2.4 Économie et culture : la théorie des flux intergénérationnels de richesse de Jonh C Caldwell

Dans les années 1970, le rapprochement qui s’opère entre l’anthropologie (et l’ethnologie) et la démographie, et ce tout particulièrement dans le champ de l’analyse des comportements reproducteurs, favorise l’intégration des paradigmes économique et culturel au sein d’une seule et unique approche située entre la macro et la microanalyse (Greenhalgh, 1996; Szreter, 1996). L’exemple le plus probant est sans doute celui de la théorie des flux intergénérationnels de richesses élaborée par John C. Caldwell (1976 et 1982). S’inscrivant en faux contre les tenants d’une théorie des comportements non rationnels en matière de fécondité dans les sociétés où celle-ci est forte, Caldwell soutient que les comportements sont rationnels

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d’un point de vue économique parce qu’ils sont culturellement déterminés. Il avance que dans un régime de forte fécondité, la somme des flux de richesses est dirigée vers les parents alors que dans un régime de faible fécondité, ce sont les enfants qui bénéficient des avantages nets de la famille. Cette inversion des flux de richesses, qui entraîne une diminution de la fécondité, est d’abord le produit d’un changement de mentalité, et non d’une pression purement et strictement économique. La diffusion des valeurs occidentales, principalement l’individualisme, modifie la rationalité économique au sein des ménages. À travers la généralisation de la scolarisation, elle inverse les flux intergénérationnels de richesse entre parents et enfants et contribue à sa nucléarisation. Selon ce modèle, elle constitue le réel moteur de la transition démographique.

Bien qu’elle put apporter un souffle nouveau à la théorisation en démographie en proposant une alternative conceptuelle au schéma de la transition démographique, c’est-à-dire en proposant un modèle général par le biais duquel pourrait s’expliquer les différents déclins de fécondité, et ne souscrivant plus à la polarisation entre économie et culture, cette approche n’en demeure pas moins enfermée dans le paradigme de la modernisation. Ancrée au sein du continuum entre les sociétés à haute fécondité vers celles à faible fécondité, elle propose une voie – et une seule –, c’est-à-dire la diffusion des valeurs occidentales par le biais de la scolarisation des enfants, pour que s’enclenche le déclin de la fécondité. C’est là, sans doute, la plus grande critique que l’on puisse lui faire (Piché et Poirier, 1995; Szreter, 1996).

Cette théorie a connu de nombreux échos. Certains l’ont réfuté empiriquement, d’autres en ont contesté la validité théorique. Nourri et stimulé par ces critiques, J. C. Caldwell publie en 2005, près de 30 ans après la publication des premiers essais, On Net Intergenerational Wealth Flows : An Update26F

27. De quel apport peut-

on créditer les enfants pour que le maintien d’une fécondité élevée soit rationnel? En quoi cet apport se trouve-t-il modifié lors du passage d’un mode de production à l’autre, c’est-à-dire en quoi sont modifiées les relations de production et émotives entre parents et enfants? Caldwell soutient que c’est donc en termes de consommation et de production, en termes immédiats et futurs, mais également en termes d’attachement

27 L’un des premiers amendements est de distinguer parmi ce qu’il a d’abord regroupé sous le vocable de

« société traditionnelles » les sociétés nomades de type chasseur-cueilleur et des sociétés sédentaires d’éleveurs d’agriculteurs. Chacune ayant un mode de production propre – Caldwell utilise également les termes de relations de production – au sein duquel l’apport de chacun, incluant les enfants, y est fort différent. Ce qui caractérise le passage d’un mode de production à l’autre, c’est l’avènement de la propriété et de la consommation. Lesquels éléments se trouvent également au cœur du troisième mode de production analysé : le mode de production capitaliste et le marché du travail qui le caractérise. Ces constats sont aussi évoqués dans Caldwell (2005).

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émotif et de fierté entre parents et enfants qu’il faut définir les flux intergénérationnels, trois paramètres qui ne peuvent être pris en compte séparément et dont les flux intergénérationnels ne sont pas toujours à

somme nulle. La scolarisation de masse, qui s’inscrit dans un mode de production moderne, est un

catalyseur majeur du changement de mentalité à l’égard rapport entre l’investissement des parents et l’apport des enfants aux relations familiales, qui s’inscrivent à la fois dans une logique productive et émotive. Néanmoins, il souligne la persistance des mœurs et valeurs au cours de la période de transition entre deux modes de production (Caldwell, 2005). Dans le cas du Québec du tournant et du début du XXe

siècle, ce phénomène été illustré et analysé par G. Bouchard (1996) puis conceptualisé en tant modèle de co-intégration.

Dans la foulée des travaux de Caldwell, Ron Lesthaeghe (1983; Lesthaeghe et Wilson, 1986) propose un modèle qui est également centré sur l’institution familiale, mais qui fait une large place aux décisions individuelles. Les opinions et les préférences en matière de fécondité, influencées fortement par la diffusion de l’individualisme tout en étant le produit légitimé par une idéologie favorable au contrôle des naissances, sont le réel moteur des changements en matière de fécondité. Cette approche emprunte à A. Coale (1973) les deux postulats suivants : pour qu’il y ait changement en matière de fécondité les avantages et les inconvénients d’un enfant supplémentaire doivent pouvoir être réfléchis légitimement et être socialement acceptés comme un objet de réflexion à l’intérieur du couple tout autant que la perception du contexte économique et social doit rendre la réduction de la fécondité avantageuse pour les couples. Il est l’un des premiers à tenter une explication reposant sur l’analyse de plus d’une condition élaborée par A. Coale et de tenir compte de facteurs se situant à plus d’un niveau (de Bruijn, 2003; Cleland et Wilson, 1987).

2.3 Les approches institutionnelles : le développement de

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