• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 Famille, fécondité et rapports de genre au Canada français : éléments de problématique

1.6 Analyser la fécondité de manière comparée

Après plusieurs décennies de remise en question du schéma de la transition démographique, il est désormais admis que le processus général du déclin de la fécondité est le résultat de multiples transformations dont les causes et le rythme ont varié dans le temps et dans l’espace. Certains, dont Szoltyzek (2007), craignent néanmoins que l’ère du relativisme mine la recherche en démographie historique et s’interroge sur la position épistémologique à privilégier pour éviter de rendre complètement cacophonique la recherche sur la fécondité. Plutôt que de focaliser sur la recherche d’uniformité, S. Szreter, dans un article intitulé Theories and Heuristics : How Best to Approach the Study of Historic Fertility

Decline? (2011) avance à titre de réponse au questionnement de Szoltysek (2007) que ce sont les

différences qui sont porteuses de sens et qui témoignent des mécanismes sous-jacents aux différents déclins de fécondité. Selon lui,

12 Praz (2005) a notamment démontré que chez les Catholiques, les divers sous-groupes socioprofessionnels

adoptaient des comportements en matière de fécondité distincts les uns des autres. Qui plus est, Gauvreau et collab. (2007a) avancent dans leur conclusion que les conditions matérielles semblent avoir joué un rôle prépondérant dans l’adoption de comportements et d’attitudes favorables au contrôle et à la baisse de la fécondité.

22

Contrary to the presumptions of a general theory, this demonstrates that we can only derive our comparative knowledge of reproduction from the study and understanding of difference, not from the attempt to impose a grid of similarity. This is a key principle of historical method and knowledge: the application of difference and what we can learn from it (Szreter, 2011 : 69)

À l’instar de Bouchard (1996), à qui nous empruntons littéralement l’expression, nous croyons que la comparaison basée sur une approche de type institutionnel, c’est-à-dire sur approche qui repose sur un niveau d’analyse intermédiaire au carrefour des points de vue micro et macro, permet de se prémunir du « stéréotype de la différence ». Les avantages de ce type de comparaison sont doubles : d’une part, cela recadre les comportements de fécondité au sein des couples, des ménages et de leur environnement économique et social immédiat (Smith, 1989; Gauvreau et collab., 2007a), d’autre part cela permet de poser de nouvelles questions qui, loin d’être issues d’abstractions théoriques, émergent des différences observées et contextualisées.

Notre hypothèse principale s’inscrit dans ce renouveau conceptuel en matière d’analyse du déclin de la fécondité voulant que

[…] for research in demographic history is to eschew the notion that there has been a single, general or grand narrative of fertility decline and to use instead the working assumption that there have been many quite different fertility declines. (Szreter, 2011 : 70)

Nous avons retenu les villes de Québec et de Manchester (New Hampshire). À des fins de comparaison avec le Québec, la Nouvelle-Angleterre nous semble toute désignée. Non seulement d’importantes communautés canadiennes-françaises s’y sont créées à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (Lavoie

1980; Weil, 1989; Roby, 2000), mais plusieurs d’entre elles se situaient dans des centres urbains, où les industries du textile et de la chaussure étaient développées (Roby, 1996). Cela était tout particulièrement vrai pour Manchester (Hareven et Langenbach, 1978) tout comme pour Québec à la même époque (Courville, 2001).

23

Notre objectif principal est d’analyser les différents facteurs ayant un impact sur les comportements en matière de fécondité à la fin du XIXe siècle en comparant deux communautés urbaines où les structures

macrosociales, tels que le caractère industriel et l’appartenance culturelle, sont similaires, mais où les modes de reproduction ont pu s’ériger, se maintenir et se transformer différemment. Cette hypothèse nous apparaît plausible puisque, d’une part, plusieurs chercheurs ont mis en évidence le haut degré d’institutionnalisation de la religion catholique, comparativement à celui de la religion protestante (McQuillan, 1999; Praz, 2005; Lesthaeghe et Wilson, 1982; Van Poppel, 1985; Lynch, 2006) ce qui tend à donner une couleur « locale » et « ethnique » aux aspects religieux12F

13

Tel qu’initialement conçu dans les années 1960 à la suite de la publication de l’ouvrage de W.W. Rostow

The stages of economic growth, le schéma de la transition démographique suppose qu’un processus

unique - l’industrialisation - mène d’un point A (régime de hautes fécondité et mortalité) à un point C (régime de basses fécondité et mortalité) en passant par un point B (régime de haute fécondité et de basse mortalité. Or, comme le souligne Tilly (1978), chaque industrie a son histoire. Elle émerge de la concentration urbaine, de l’implantation d’un modèle industriel importé comme ce fut le cas de Manchester (Hareven et Langenbach, 1978) ou encore du passage graduel d’un mode de production artisanal à un mode de production industrielle comme ce fut le cas à Québec (Courville, 2001). L’appellation générique « d’industrialisation » englobe des réalités bien différentes, dont les villes de Québec et de Manchester en témoignent parfaitement.

Cette comparaison à l’échelle nord-américaine fait écho à de nombreux travaux en histoire sociale (Craig, 1990 ; Bouchard, 1996) ainsi qu’en démographique historique (Dillon, 2008) qui ont déjà, avant nous, mis en évidence la pertinence de recadrer l’analyse de la fécondité, entre autres sujets, dans le contexte régional qui transcende la frontière canado-américaine. Comme mentionné au tout début de ce chapitre, la comparaison de la fécondité canadienne-française a longtemps été analysée de manière comparée avec celle d’autres groupes culturels. Nous savons déjà que ces femmes ont mis plus de temps à réduire la taille de leur famille, alors comme le souligne Dillon (2008), nous pensons que nous ne devons plus seulement explorer la diversité, mais désormais explorer les diversités13F

14. C’est ce que permet cette analyse

comparative des deux communautés canadiennes-françaises nord-américaines.

13 Ce qu’illustre parfaitement l’ouvrage d’Yves Roby (2000).

14 Traduction de l’auteure de […] we need now to explore not just diversity but diversities (Dillon, 2008 :

24

Outline

Documents relatifs