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Chapitre 1 Famille, fécondité et rapports de genre au Canada français : éléments de problématique

1.7 Conclusion

Changement social et régimes démographiques dans le Canada français

Dans la foulée des travaux qui s’inscrivent au sein des approches conceptuelles institutionnelles, et particulièrement dans le sillon de l’ouvrage de Praz (2005) qui intègre la notion de genre, cette thèse vise à illustrer la complexité de l’adaptation des comportements en matière de reproduction des Canadiennes françaises au tournant du XXe siècle. Nous explorons l’influence de deux grands phénomènes sur les

comportements de fécondité : l’industrialisation et l’émigration vers les États-Unis. Quelles furent leurs influences, structurelles et culturelles, sur les stratégies des ménages en matière de reproduction?

L’émigration canadienne-française vers les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre est à la fois la conséquence de la désarticulation de certaines formes de production et de reproduction, tout en étant parallèlement à l’origine d’une nouvelle articulation entre ces deux facettes. Selon Hareven (1982), dans le cas de la Nouvelle-Angleterre, et selon Bouchard (1996), pour le front pionnier québécois, l’émigration est un processus complexe et continu au sein duquel la culture continue d’être transmise. En ce sens, l’émigration ne peut être perçue comme un phénomène de désintégration sociale. Par conséquent, nous considérons que l’émigration et les comportements en matière de reproduction font partie d’une dynamique commune. En les insérant au sein d’une même analyse, cela permet une meilleure compréhension des changements de régime démographique, en particulier, et du changement social, de manière globale.

Plusieurs études ont par ailleurs démontré à quel point l’émigration était conditionnée par la nécessité des familles à arrimer leurs conditions d’existence à un milieu qui leur permettait de gagner leur vie (Ramirez, 1991, 2003; Frenette 1988, 1998; Hareven, 1982). Ainsi, les ressorts de l’industrialisation ont-ils pu forger des contraintes matérielles toutes particulières à l’échelle nord-américaine (types d’emplois disponibles, salaires, conditions de travail, recrutement de main-d’œuvre; conditions de vie et structures des ménages), ce dont témoignerait l’étude empirique des villes de Québec et de Manchester, de sorte que les comportements reproducteurs des sous-populations canadiennes-françaises aient pu se différencier dès la fin du XIXe siècle?

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À la lumière des conclusions de G. Bouchard (1996), nous désirons tester si les ressorts de l’industrialisation ont pu conduire – en partie du moins – à la différenciation des comportements en matière de fécondité des Canadiennes françaises qui, rappelons-le, a longtemps porté une seule étiquette la qualifiant de fécondité prolifique. À la suite de Gauvreau et collab. (2007a) et de Praz (2005), et dans la foulée conceptuelle des travaux de S. Szreter (2011), nous posons l’hypothèse que de l’ensemble du questionnement précédant se dégagera un ou plusieurs phénomènes de différenciation14F

15. Quels ont été

les vecteurs de différenciation? Peut-on jeter un éclairage sur les comportements en matière de fécondité à partir de la dynamique articulée des différentes sphères de la reproduction familiale, ici prise au sens large (reproduction biologique, matérielle, affective et culturelle et sociale), en fonction de l’occupation des hommes, femmes et enfants? Que nous dévoile la comparaison des villes de Québec et de Manchester? Se peut-il que l’articulation entre la production et la reproduction soit tributaire des rapports de genre et de génération? De manière générale, cette thèse vise donc à apporter des éléments de réponse au questionnement général suivant : les ressorts de l’industrialisation ont-ils joué un rôle de différenciation au sein du grand ensemble que pouvait représenter le Canada français au tournant du XXe siècle, dont

témoigne la comparaison entre les régimes démographiques des villes de Québec et de Manchester, et constitué un vecteur de changement social par le biais des transformations induites à la fois sur les modes de production et de reproduction?

Globalement, nous posons l’hypothèse que les individus adaptent leurs comportements reproducteurs face aux contraintes matérielles inhérentes à la survie et à la reproduction générale des ménages par le biais de la médiatisation15F

16 de leurs actions, c’est-à-dire par l’interprétation qu’en font les individus de manière à leur

donner un sens, laquelle relève de l’appartenance culturelle localement institutionnalisée. En d’autres termes, nous désirons tester si les deux populations de confession catholique et de langue française étudiées ont modulé leurs comportements reproducteurs dans un contexte où l’industrialisation battait son plein et où les conditions de vie des habitants de chacune des deux villes furent marquées par de nombreux et rapides changements, mais qu’au sein des deux populations le rythme de cette transition fut médiatisé par le contexte économique et culturel « local » dont les répercussions furent le produit de négociations et de décisions prises à l’échelle des ménages.

15 Dribe et Scalone (2014) suggèrent que les différences en matière de fécondité en fonction du statut socio-

économique en Suède étaient minimes avant l’amorce du déclin (1880) et qu’elles se sont amplifiées dès le début (1890-1900) et maintenues jusqu’à la toute fin (1960-1970).

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Au chapitre suivant sont présentés les trois principaux concepts retenus pour l’analyse des comportements reproducteurs canadiens-français : l’économie politique, l’économie familiale et les communication

communities. Ceux-ci permettent de conceptualiser l’articulation entre les facteurs d’ordre matériel et

culturel en tant que vecteur des comportements de fécondité en focalisant sur les rapports de genre et de génération au sein des ménages.

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