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Chapitre 5 Fécondité effective dans le contexte nord-américain Tendances générales et

5.1 Tendances de fécondité effective au Canada et en Nouvelle-Angleterre

5.2.2 La fécondité effective des Canadiennes françaises selon le groupe d’âge

À première vue, les ressorts de l’industrialisation et de l’immigration semblent être associés à une différenciation générale des comportements reproducteurs chez les Canadiens français. Est-ce qu’un examen des ratios enfants-femme par groupe d’âge permet d’observer des comportements spécifiques propres à chacune des deux communautés canadiennes-françaises de part et d’autre de la frontière? Est- ce que ce sont toutes les Canadiennes françaises de Québec qui ont une fécondité plus élevée ou observe- t-on que c’est à un certain âge que certaines femmes se démarquent particulièrement?

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En 1880-1, les Canadiennes françaises âgées entre 25 et 39 ans de la ville de Québec ont plus d’enfants âgés de moins de cinq ans que leurs homologues habitant à Manchester. Cela est principalement lié à l’augmentation de la fécondité effective entre les groupes de femmes âgées de 20 à 24 et celles âgées de 25 à 29 ans. Celle-ci est plus intense à Québec qu’à Manchester, initiant dès lors cette « surfécondité » perceptible jusqu’à 35-39 ans120.

Graphique 5-5: Ratios enfants-femme canadienne-française et mariée au chef de ménage selon l’âge de la mère à Québec, à Manchester, au Québec et au New Hampshire, 1880 et 1881.

Sources : Recensement américain 1880, IPUMS, 100% (New Hampshire et Manchester); Recensement canadien 1881, PRDH, 100% (Province de Québec) et PHSVQ, 100% (Ville de Québec).

120 Cet écart peut être lié, en partie, à un âge au mariage plus élevé chez les Canadiennes françaises de

Manchester. Par le biais d’une mesure d’estimation indirecte, nommée Singulate Mean Age at Marriage (SMAM) en anglais, nous avons calculé, à partir des données censitaires, que l’âge moyen au mariage est de 27,2 ans à Manchester et de 25,7 ans à Québec au début des années 1880. Ces chiffres suggèrent un âge moyen au mariage plus élevé au sein des deux villes comparativement aux estimations calculées par Joubert (2013) à l’échelle du Québec (24,8 ans) et par Hacker (2003) en Nouvelle-Angleterre (24,6 ans) à la même époque. Toutefois, à l’instar de ce qu’avancent Olson et Thornton (2011) l’afflux de célibataires à Manchester doit être considéré dans l’interprétation des différences ici observées, d’autant plus que trente ans plus tard, soit en 1910-11, l’âge moyen au mariage des Canadiennes françaises est à tout fin pratique identique au sein des deux villes et se situe autour de 25,6 ans. Outre le fait que lorsque nous comparons la fécondité effective des femmes âgées entre 25 et 29 ans nous devons tenir compte du fait que les femmes qui se sont mariées à 27 ans n’ont pas les mêmes chances d’avoir autant de jeunes enfants que celles qui se sont mariées à 25 ans, l’effet net d’un mariage plus tardif semble également être un déterminant proche qui réduit la fécondité des femmes (Van Bavel, 2003). La seule utilisation des recensements ne nous permet toutefois pas de creuser davantage la question de l’effet de l’âge au mariage sur la fécondité effective.

0,00 0,20 0,40 0,60 0,80 1,00 1,20 1,40 1,60 1,80 15-19 ans 20-24 ans 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 40-44 ans 45-49 ans Québec (ville) Manchester Québec (prov.) New Hampshire

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Entre le groupe des femmes âgées de 35 à 39 ans et celles âgées de 40 à 44 ans, la baisse de la fécondité effective est très faible à Manchester, lorsque comparée aux différences que nous observons notamment à Québec, au Québec ainsi qu’au New Hampshire120F

121, ainsi qu’à celles observées au Québec et au Canada

par Gauvreau et collab. (2007a) et Gossage et Gauvreau (2007) en 1901. Après plusieurs vérifications, nous observons qu’entre ces deux groupes d’âge la fécondité effective des Canadiennes françaises de Manchester diminue de 9% seulement comparativement à 41% chez les homologues de la ville de Québec, à 35% pour l’ensemble des Canadiennes françaises de la province de Québec et à 30% pour celles du New Hampshire. Cette distinction n’est toutefois pas perceptible pour les groupes d’âge suivants : entre 40-44 ans et 45-49 ans, les baisses relatives de fécondité effective varient de 58 à 64% tant pour les deux villes, la province de Québec et l’État du New Hampshire. Nous posons ici l’hypothèse que cette différence observée chez les femmes âgées entre 35 et 39 ans peut être attribuable à l’effet de la migration. En clair, nous croyons que bon nombre de ces femmes âgées de 40-44 ont effectué une fécondité de rattrapage, c’est-à-dire qu’elles ont eu les enfants qu’elles auraient « dû » avoir entre 35 et 39 ans, mais qu’en raison de la migration, elles ont temporairement retardé la conception. Cette hypothèse apparaît plausible, lorsque l'on considère la fécondité de l’ensemble des femmes âgées de 35 à 44 ans (les deux groupes d’âge fusionnés, nous observons que les Canadiennes françaises de la ville de Québec et celles de la ville de Manchester ont presque le même nombre d’enfants de moins de cinq ans (0,86 et 0,89). Si l’on accepte cette hypothèse, cela nous conduit à deux autres questions des plus intéressantes: 1) la migration des Canadiennes françaises à la fin du XIXe siècle a-t-elle conduit à la limitation des naissances momentanée? ;

2) le décalage entre les courbes de Manchester et de l’État du New Hampshire dans son ensemble laisse-t- il croire que le lieu d’établissement avait une influence marquée sur les décisions prises par les migrants en matière de reproduction? La première des deux questions déborde le cadre d’analyse de cette thèse, mais demeure une piste d’analyse des plus pertinentes pour de futures analyses sur le contexte migratoire (notamment si l’on tient compte aussi du fait que cette tendance n’est pas perceptible en 1910). Quant à la seconde, elle s’inscrit parfaitement au sein du cadre d’analyse élaboré et trouvera réponse au fil des pages qui suivent.

En 1910-1, la différenciation est beaucoup plus claire (Graphique 5.6). Nous constatons que la fécondité effective plus élevée observée à Québec est le fait de deux tendances : 1) une augmentation de la fécondité plus accrue entre 20-24 ans et 25-29 ans et 2) l’absence d’une diminution de la fécondité effective entre 25- 29 ans et 30-34 ans, alors que la fécondité entreprend son déclin entre ces deux groupes d’âge à Manchester. La tendance selon laquelle la fécondité effective diminue selon l’âge est également très

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différente. Ainsi, la baisse est constante pour les Canadiennes françaises de Manchester et plutôt séquencée pour les Canadiennes françaises de Québec.

Graphique 5-6: Ratios enfants-femme canadienne-française et mariée au chef de ménage selon l’âge de la mère à Québec, à Manchester, au Québec et au New Hampshire, 1910 et 1911.

Sources : Recensement américain 1910, IPUMS- Restricted Complete Count Data, 100% (New Hampshire); IPUMS-Restricted Complete Count Data et CIEQ, 100% (Manchester); Recensement canadien 1911, IRCS, échantillon 5% (Province de Québec) et PHSVQ, 100% (Ville de Québec)

De ces premiers constats en matière de fécondité, il apparaît donc des éléments de similitude, certes, chez les Canadiennes françaises en Amérique du Nord, mais cette double analyse transversale montre également une dynamique de différenciation qui s’opère entre les années 1880 et les années 1910. Migration? Urbanisation? Adaptation? Diffusion? De nombreuses hypothèses explicatives peuvent ici être avancées. Néanmoins, nous pouvons à ce stade avancer que ces similitudes et ces ressemblances prennent ancrage dans un contexte qui dépasse les limites des deux villes à l’étude.

0,00 0,20 0,40 0,60 0,80 1,00 1,20 1,40 1,60 1,80 15-19 ans 20-24 ans 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 40-44 ans 45-49 ans Québec (ville) Manchester Québec (prov.) New Hampshire

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5.2.3 Selon le nombre d’enfants de moins de cinq ans présents au sein du

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