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Chapitre 6 Reproduction familiale canadienne-française à Québec et à Manchester : économie

6.1 Caractéristiques des populations canadiennes-françaises et de l’économie familiale dans les villes

6.1.3 Selon les caractéristiques des enfants

Il n’y a pas que le quotidien des hommes et des femmes qui connaît d’importantes transformations liées à la consolidation de l’industrialisation au tournant du XXe siècle. Dès leur plus jeune âge, les garçons et les

filles expérimentent de nouvelles occupations qui induisent différentes articulations entre la subsistance du ménage et leur socialisation. Entre 1880 et 1911, on observe une progression en matière de scolarisation des enfants au sein des deux villes (Graphiques 6.2 et 6.3). Cela est sans aucun doute lié à l’application

129 Ces proportions sont similaires lorsque l’on ne retient que notre groupe cible de femmes (mariées au

chef de ménage et âgées entre 15 et 49 ans) : 83,5% et 41,8%. Par ailleurs, il eut été intéressant de se pencher sur les capacités à s’exprimer en anglais chez les Canadiennes françaises habitant la ville de Québec. Dans son étude sur la scolarisation différentielle à Québec en 1871 et en 1901, Julien (2005) conclut que la connaissance de l’anglais influence la scolarisation. Or, bien que l’information soit disponible en 1901, le recensement canadien de 1911 ne contient qu’une seule question relative aux caractéristiques linguistiques et elle concerne les langues communément parlées.

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Graphique 6-2 : Pourcentages des filles et des garçons âgé-e-s entre 6 et 18 ans fréquentant l’école, population canadienne-française, Manchester et Québec, 1880-81.

Sources : Recensement américain 1880, IPUMS, 100%; Recensement canadien 1881, PHSVQ, 100%.

Graphique 6-3 : Pourcentages des filles et des garçons âgé-e-s entre 6 et 18 ans fréquentant l’école, population canadienne-française, Manchester et Québec, 1910-11.

Sources : Recensement américain 1910, IPUMS-Restricted Complete Count Data et CIEQ, 100%; Recensement canadien 1911, PHSVQ, 100%. 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 % Âge Manchester 1880 Filles Manchester 1880 Garçons Québec 1881 Filles Québec 1881 Garçons 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 % Âge Manchester 1910 Filles Manchester 1910 Garçons Québec 1911 Filles Québec 1911 Garçons

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des lois qui sont votées dans les années 1880 pour limiter le travail des enfants et favoriser leur instruction (Harvey, 1978). En 1880-81, les enfants prennent progressivement le chemin de l’école entre les âges de 6 à 10 ans alors qu’en 1910-11 l’entrée sur les bancs d’école se fait massivement dès l’âge de 7 ans. Le niveau de fréquentation scolaire se maintient ensuite grosso modo jusqu’à l’âge de 12 ans. À l’instar de ce qu’avance Julien (2005), on assiste à une généralisation de la fréquentation scolaire plutôt qu’à une prolongation du nombre d’années de scolarisation.

Les parcours collectifs des jeunes filles et des jeunes garçons diffèrent selon l’espace-temps ici observé. À Manchester, en 1880, les jeunes filles canadiennes-françaises fréquentent légèrement plus l’école que les garçons avant l’âge de 9 ans. La situation s’inverse à cet âge, et s’intensifie dès l’âge de 11 ans, accroissant les différentiels observés entre les filles et les garçons au détriment des premières. C’est aux âges de 13 ans et de 14 ans que le différentiel est le plus grand entre les enfants des deux sexes. À Québec, à la même époque, la scolarisation des filles et des garçons est similaire au fil des âges.

Bien que les proportions respectives de filles et de garçons ne soient pas trop différentes, les filles sont toujours un peu moins scolarisées que les garçons en 1910 à Manchester129F

130 et en 1911 à Québec

130F

131.

Soulignons néanmoins qu’entre 13 ans et 16 ans, les Canadiennes françaises habitant à Manchester sont massivement retirées de l’école alors que les garçons ne le sont qu’à partir de l’âge de 15 ans. C’est à l’âge de 14 ans que le différentiel en matière de scolarisation entre les filles et les garçons est le plus grand : 66% des premières ont fréquenté l’école en 1910 comparativement à 86% des seconds. À Québec, on constate également que les jeunes Canadiennes françaises sont progressivement retirées de l’école à un rythme plus rapide que les garçons, ce qui fait que l’écart est à son maximum à l’âge de 15 ans, âge auquel c’est environ une fille sur trois qui fréquente l’école comparativement à presque un garçon sur deux.

Le retrait des jeunes filles de l’école doit réellement être considéré comme une « mise au travail » en dépit du silence des recensements sur la question. La mise au travail des enfants signifie que ceux-ci deviennent disponibles pour accomplir diverses tâches nécessaires à la survie du ménage et comprend tout autant le

130 La seule exception est le groupe des filles âgées de 16 ans qui sont légèrement plus scolarisées que les

garçons. Or, ce résultat très surprenant nous semble être dû à de très petits effectifs.

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travail réalisé à l’extérieur du foyer que l’ensemble des tâches domestiques. Cette disparité entre les genres qui s’opère dès le plus jeune âge a déjà été démontrée à Québec (Julien, 2005)131F

132.

De manière générale, entre 1880 et 1911, nous observons deux phénomènes constants concernant le travail rémunéré des enfants132F

133. D’une part, les proportions d’enfants (filles et garçons) qui déclarent un

emploi sont beaucoup plus élevées à Manchester qu’à Québec. D’autre part, à Québec, les garçons déclarent davantage être occupés à gagner un salaire que les filles, et ce, tant en 1881 qu’en 1911 (Graphique 6.4).

Quelques constats sont de surcroît observés au sein de chacune des villes concernant les rapports de genre et l’occupation au sein du ménage des enfants présents entre 1880-81 et 1910-11. Premièrement, tout comme les femmes mariées, les enfants, filles et garçons, déclarent dans une plus grande proportion un emploi rémunéré à Manchester qu’à Québec tout au long de la période étudiée. Cela corrobore les constats de Hareven (1982) sur les procédés d’embauche basés sur les réseaux sociaux informels au sein de l’Amoskeag Company qui favorisent ainsi le travail des femmes et des enfants au sein de départements où ils sont bien encadré-e-s et ainsi moins sujets à être exploité-e-s.

Deuxièmement, la plus grande mise au travail des jeunes filles à Manchester en 1880 par rapport à celle des jeunes garçons du même âge ne s’observe plus trente ans plus tard. Alors qu’en 1880, la proportion de jeunes filles au travail y est plus grande que celle de leurs compatriotes masculins, et ce, dès l’âge de 10 ans avec un sommet à 14 ans, filles et garçons déclarent un emploi au recensement de 1910 de manière quasi identique jusqu’à l’âge de 15 ans (âge à partir duquel on observe une légère surreprésentation masculine).

Troisièmement, à Québec, la progression de l’entrée au travail des enfants se fait selon un rythme similaire selon l’âge en 1881 et en 1911. À Manchester, nous observons qu’en 1910, la mise au travail des enfants est fortement concentrée entre 14 et 16 ans, alors que trente ans auparavant la proportion d’enfants au travail augmente graduellement entre 11 et 16 ans, chez les filles, et 17 ans, chez les garçons. Les lois qui

132 D’autres études ont également mis en évidence ce phénomène, notamment en contexte africain

(Marcoux, 1994, 1998)

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restreignent le travail des enfants dans les grandes manufactures semblent ici avoir eu un impact direct sur la mise au travail des enfants133F

134.

Graphique 6-4 : Pourcentages des filles et des garçons âgé-e-s entre 6 et 18 ans qui déclarent un emploi, population canadienne-française, Québec et Manchester, 1880-81 et 1910-11.

Sources : Recensement américain 1880, IPUMS, 100%; Recensement canadien 1881, PHSVQ, 100% ; Recensement américain 1910, IPUMS- Restricted Complete Count Data et CIEQ, 100%; Recensement canadien 1911, PHSVQ, 100%.

Quatrièmement, la consolidation d’une économie reposant sur l’industrie légère au tournant du XXe siècle a

contribué à faire augmenter l’offre de travail salarié particulièrement chez les jeunes filles dans la ville de Québec puisque celles-ci déclarent davantage un emploi rémunéré en 1911 qu’en 1881. Tandis que du côté des jeunes garçons, la part de ceux qui travaillent décroît au profit de ceux qui fréquentent l’école. L’écart entre la mise au travail des filles et des garçons s’amenuise134F

135, mais pas autant que ce qui est observé à

Manchester à la même époque.

134 De ces filles et garçons âgés entre 13 et 16 ans, ce sont 77,6% des premières et 68,9% des seconds qui

déclarent travailler dans la manufacture de coton ou dans un autre « mill » ou « factory ». Rappelons que les grandes manufactures étaient les premières visées par les règlementations visant à limiter et à encadrer le travail des enfants.

135 Julien (2005) montre que chez les Franco-catholiques de la ville de Québec, les garçons déclarent

davantage un emploi que les filles en 1871 ainsi qu’en 1901. Toutefois, l’écart s’amenuise au fil des

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 % Âge Manchester, 1880 Filles Manchester, 1880 Garçons Québec, 1881 Filles Québec, 1881 Garçons Manchester, 1910 Filles Manchester, 1910 Garçons Québec, 1911 Filles Québec, 1911 Garçons

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En combinant les informations relatives à la fréquentation scolaire ainsi qu’à l’emploi déclaré, nous pouvons former une troisième catégorie d’occupation enfantine. Ces enfants qui, sous le couvert de l’apparente « inactivité », sont en général tout aussi actifs que leurs consoeurs et confrères qui sont à l’école ou au travail (Marcoux, 1994 et 1998).

Entre 1880 et 1911, la part d’enfants « inactifs » décroît aux âges compris entre 7 et 11-12 ans, tant à Québec qu’à Manchester (Annexe 6). Bien qu’elle diminue, la part d’enfants inactifs est beaucoup plus élevée à Québec qu’à Manchester chez les enfants âgés de 12 ans et plus. En fait, en 1910, à Manchester, on ne compte aucun jeune homme de plus de 14 ans et très peu de jeunes filles du même âge qui ne déclarent aucune activité au recensement. À Québec, en 1911, c’est plus du quart des jeunes filles âgées de 14 ans qui ne déclarent aucune occupation, proportion qui croît sans cesse avec l’âge et atteint 43,2% à 18 ans.

Dans la foulée des travaux de Marcoux (2002 et 2009) et Marcoux et collab. (2008), l’intégration des enfants au marché du travail et leur participation « active » à l’économie familiale s’observe dans les ménages où le chef occupe un certain type d’activité professionnelle. En général, les enfants âgés entre 13 ans et 15 ans dont le père est un col blanc ou un petit entrepreneur fréquentent davantage l’école que ceux dont le père est un ouvrier, spécialisé ou non135F

136 (Annexe 7). Alors que la discrimination des jeunes filles en

matière de scolarisation est, à Québec, spécifique aux ménages dirigés par ouvrier semi ou non qualifié, elle est à Manchester perceptible au sein des ménages des petits entrepreneurs, des ouvriers qualifiés et des ouvriers semi ou non qualifiés. Nous constatons également que seules les filles d’ouvriers semi ou non qualifiés à Québec en 1911 déclarent une activité économique dans une plus grande proportion que trente ans auparavant. C’est le seul groupe d’enfants pour lequel l’augmentation de la répartition, en points de pourcentages, est quasiment équivalant entre l’école (9%) et le travail (8%), suivies par les filles d’ouvriers qualifiés qui fréquentent davantage l’école (12%) et qui travaillent aussi davantage (5%).

décennies ce qui témoigne du fait que de profonds changements sont en cours, ce que les travaux de Lanouette (2006) illustrent également.

136 Une exception est observée à Manchester en 1880. Toutefois, la faiblesse des effectifs rend

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6.2 Économie et reproduction familiales : tendances de

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