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Chapitre 4 Questions, hypothèses et méthodologie

4.2 Corpus, sources et variables

4.2.1 Un corpus unique : comparaison des villes de Québec et de Manchester (1880-1911)

Le choix du corpus de données, c’est-à-dire le choix des villes et de la période historique retenue (1880- 1911), repose sur des critères qui combinent un ensemble d’éléments historiographiques, théoriques, contextuels et méthodologiques. Les justifications concernant les trois premiers types d’éléments ont été respectivement présentées dans les chapitres 1 à 3. Rappelons brièvement que l’originalité de cette thèse repose notamment sur la comparaison des régimes de fécondité canadiens-français de part et d’autre de la frontière canado-américaine, et ce, avant le déclin généralisé de la fécondité observé à partir des années 1920. Elle s’appuie également sur des approches conceptuelles de type institutionnel de manière à circonscrire les comportements reproducteurs à l’échelle des ménages, c’est-à-dire là où les décisions en matière de fécondité sont prises. C’est de plus à cette échelle que nous pouvons lier les comportements individuels avec les contraintes et les opportunités institutionnelles environnantes. Par ailleurs, les villes de Québec et de Manchester ont toutes deux une forte concentration de Canadiens français au tournant du XXe siècle. L’industrialisation y est marquée, mais repose sur des bases structurelles différentes ce qui

permet d’en nuancer les effets à l’échelle nord-américaine.

Il n’en demeure pas moins que certaines considérations d’ordre méthodologique ont de plus motivé le choix de notre corpus. Nous les présentons maintenant dans les trois prochaines sous-sections (4.2.1.1 à 4.2.1.3).

4.2.1.1 Pourquoi utiliser les données nominatives des recensements anciens?

Compte tenu de l’absence d’état civil à l’échelle du pays, tant au Canada (avant 1921) qu’aux États-Unis (avant 1915), Thornton et Gauvreau (2002) identifient les deux principales sources employées pour

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l’analyse de la fécondité dans le passé : les registres de baptême, mariage et sépulture69F

70 ainsi que les

recensements. Les premiers sont surtout utilisés pour des recherches remontant à l’époque coloniale, alors que les seconds sont davantage utilisés pour l’époque moderne. Tant aux États-Unis qu’au Canada, la pratique censitaire prend un important virage au milieu du XIXe siècle alors que les informations sont

désormais collectées sous forme nominative. Tous les individus font désormais l’objet de recension, contrairement au seul chef de ménage, et ils sont énumérés au sein de leur ménage et avec leurs diverses caractéristiques. Les recensements permettent ainsi de tenir compte de la structure de genre (homme et femme) et de la structure générationnelle (parents et enfants). En ce sens, ils sont incontournables pour circonscrire les dynamiques de l’économie familiale et leur impact sur la reproduction familiale.

Nos recherches reposent sur l’exploitation des microdonnées de recensement. Comparativement aux données agrégées et publiées sous forme de tableaux, les microdonnées censitaires lient les informations collectées à chacun des individus concernés. Elles sont colligées sous forme de base de données et peuvent, par conséquent, être interrogées de multiples façons. L’intérêt de l’utilisation des microdonnées de recensements pour répondre à nos questions de recherche réside dans la possibilité d’analyser la fécondité à l’échelle des ménages. Cela permet de déceler l’articulation qui y prévaut entre le mode de production et le mode de reproduction à partir des liens qui unissent les individus d’un même ménage en fonction de leurs caractéristiques propres (sexe, âge, occupation, fréquentation scolaire, etc.).

L’utilisation des données censitaires, outre les avantages précédemment évoqués, rend possible la comparaison des populations canadiennes et américaines. Conduits à tous les dix ans, les recensements américains étaient tenus, jusque dans les années 1950, aux années « 0 » et les recensements canadiens aux années « 1 »70F

71. Cette proximité temporelle offre un grand avantage pour la comparaison en offrant un

cliché des deux populations à un moment très rapproché. Qui plus est, la comparabilité des données censitaires canadiennes et américaines, et tout le potentiel qu’elles recèlent, pour l’analyse des populations du passé a déjà été démontré (Dillon, 2000 et 2008; Frenette et collab., 2012).

70 Ce système de collecte d’information avait au cours de manière éparse selon les provinces et les États

avant ces deux dates. Le lecteur trouvera quelques exemples dans Emery (1993) et Blake (1955). Aux États-Unis, les généalogies anciennes constituent également une source d’information employée, voir Adams et Kasakoff (1980).

71 Les recensements nominatifs canadiens et américains sont conduits à tous les dix ans entre les années

1850 et les 1950. À partir du milieu du XXe siècle, les recensements sont tenus tous les cinq ans dans les

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4.2.1.2 Le choix des villes de Québec et de Manchester

Le choix des villes de Québec et de Manchester est d’abord et avant tout lié à la problématique de notre recherche. Il n’en demeure pas moins que l’existence de bases de microdonnées de recensement numériques complètes via le programme de recherche Population et histoire sociale de la ville de Québec, rassemblant les informations concernant l’ensemble de la population de la ville (100% des individus)71F

72, et

qui sont validées et accessibles a également favorisé le choix de la ville de Québec comme terrain d’analyse. Des bases de données sont disponibles pour chacun des recensements conduits entre 1852 et 1911. Ce type de série de bases de données (100%) n’existe pas pour Montréal, et n’existait pas ailleurs au moment de l’élaboration du projet (pour Trois-Rivières, notamment).

Quant à la ville de Manchester, elle fut retenue principalement pour des raisons historiques, détaillées au chapitre précédent, liées à la migration des Canadiens français vers la Nouvelle-Angleterre (Hareven, 1982; Roby, 2000). Nous précisons les sources et les différentes étapes de l’élaboration des bases de données de microdonnées pour la ville de Manchester à la section 4.2.2.3.

4.2.1.3 Pourquoi baliser notre recherche par les dates de 1880 et de 1911?

Le choix de la période étudiée, soit le tournant du XXe siècle, repose d’abord et avant tout sur des

considérations historiques et historiographiques. Tel que discuté au chapitre 1, cette analyse des comportements de fécondité s’inscrit dans la foulée d’une manne d’études qui, bien avant cette thèse, ont analysé les processus ayant conduit au-x déclin-s de la fécondité et qui en situent l’amorce au cours des dernières décennies du XIXe siècle et la généralisation autour des années 1920 chez les Canadiens

français (Gauvreau et collab. 2007a). Le choix des dates butoirs, soit 1880-1881 et 1910-11, repose aussi sur des considérations méthodologiques.

72 Ces bases de données ont été créées dans le cadre d’un programme de recherche intitulé Population et

histoire sociale de la ville de Québec (PHSVQ-CIÉQ, Université Laval), codirigé par Marc St-Hilaire et

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Les dates de 1910 et de 1911 ont été les premières à être retenues. À vrai dire, le premier choix que nous avons fait a été de retenir le recensement de 1911. Le recensement canadien de 1901 ayant été largement exploité pour l’analyse des comportements reproducteurs depuis plus d’une décennie, tant à l’échelle de la ville de Québec (Marcoux 2002 et 2003; Marcoux et St-Hilaire, 2003; Marcoux et collab., 2008), du Québec (Gauvreau, 2001; Gauvreau et Gossage, 2000 et 2001; Gauvreau et collab., 2007a) et du Canada (Gossage et Gauvreau, 2007), cette thèse72F

73 vise à exploiter le tout dernier recensement canadien à être

disponible sous forme nominative et informatisée, soit celui de 1911. Ce recensement a notamment l’avantage de contenir une vaste gamme d’informations économiques, sociales et culturelles. À cet égard, le recensement américain de 1910 est tout à fait comparable.

Afin d’illustrer l’impact de l’industrialisation sur les modes de reproduction dans deux communautés, nous avons opté pour une analyse reposant sur une double lecture du processus : l’une synchronique et l’autre diachronique. Ce choix nécessite donc que deux repères temporels soient considérés pour chacune des deux villes. À rebours depuis 1910 et 1911, nous avons opté pour le début des années 1880. Plusieurs raisons ont motivé ce choix. D’une part, trente ans d’intervalle entre les deux dates étudiées permettent de circonscrire deux moments relativement distincts du processus d’industrialisation et des transformations en matière de reproduction. D’autre part, les données des recensements américains de 1880 et canadiens de 1881 sont entièrement numérisées et accessibles (tous les détails de l’accès aux données sont précisés à la section 4.2.2.3). Enfin, comparativement aux autres recensements antérieurs à 1910 et 1911, les données de 1880 et de 1881 apparaissent sans contredit comme le meilleur choix possible pour les analyses que nous conduisons : 1900 et 1901 sont relativement trop rapprochées de 1910 et de 1911; 1891 et 1890 sont impossibles à comparer puisque le recensement de 1890 aux États-Unis a été en grande partie détruit par le feu; et finalement la comparaison de 1870 et de 1871 aurait prolongé l’élaboration du corpus puisque le recensement de 1870 n’était pas disponible à 100% au moment d’élaborer le projet.

Les sections suivantes présentent de manière plus approfondie les recensements anciens comme sources de données, les quatre bases de données numérisées que nous utilisons ainsi que les différentes variables employées et leur opérationnalisation dans le cadre d’une analyse des comportements de fécondité. Par la

73 Nous spécifions ici que c’est à l’étape du projet de thèse que ce choix fut fait puisqu’à ce moment, peu

d’études n’avaient encore exploité les microdonnées de ce recensement. Depuis, plusieurs chercheurs ont exploité et exploitent encore ces données, tant et si bien qu’un collectif regroupant une série d’analyses qui reposent toutes sur l’exploitation d’un échantillon de ces microdonnées est paru en 2014 (Darroch, 2014), comme ce fut le cas notamment avec le recensement de 1901 (Sager et Baskerville, 2007).

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suite sont présentées les limites et les difficultés inhérentes à la comparaison des données de recensement d’une année à l’autre et d’un pays à l’autre puis, enfin, sont justifiées et explicitées les méthodes d’analyses retenues.

4.2.2 Les recensements anciens : une source de données prisée en histoire

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