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Les remèdes aux affects passifs

CHAPITRE 5 L’ACTE D’ÉDUQUER (parfaire la raison, guérir l’entendement)

5.4 Remèdes ou moyens pédagogiques dans l’œuvre de Spinoza

5.4.2 Les remèdes aux affects passifs

Dans l’Éthique, Spinoza ne parle pas de guérir l’entendement, non plus des défauts de connaissance. Il parle de remèdes naturels aux affects dont la compréhension de l’efficacité nous est donnée par la connaissance de la nature de l’esprit et de la béatitude à laquelle il peut prétendre.

Donc, puisque la puissance de l’esprit, ainsi que je l’ai montré plus haut, se définit par sa seule intelligence, les remèdes aux affects, dont tout le monde a en réalité l’expérience, mais qu’on ne paraît pas, il me semble, observer avec soin ni voir distinctement, la seule connaissance de l’esprit nous permettra de les déterminer, et d’en déduire tout ce qui concerne la béatitude289.

Nous voyons alors que toute l’Éthique a été dévolue à la tâche d’expliquer comment la compréhension rationnelle de ses affects, c’est-à-dire, le détachement de l’imagination à la cause extérieure, constitue un remède aux affects passifs. Le lecteur peut dorénavant

288J. LACROIX, op.cit., p.19. 289 E 5, préface.

guérir de ses affects passifs. En effet, dès qu’il comprend ses affects selon la raison, il rétablit l’activité de son esprit.

La puissance de l’esprit sur les affects consiste donc :

1. Dans la connaissance même des affects (voir le scolie de la proposition

4);

2. Dans le fait que l’esprit sépare les affects de la pensée d’une cause extérieure que nous imaginons confusément (voir la proposition 2, avec

le même scolie de la proposition 4);

3. Dans le temps qui fait que les affects qui se rapportent aux choses que nous comprenons, sont supérieures à ceux qui se rapportent aux choses que nous concevons d’une façon confuse ou mutilée (voir la proposition 7);

4. Dans la multitude des causes qui favorisent les affects qui se rapportent aux propriétés communes des choses ou à Dieu (voir les propositions 9 et

11);

5. Enfin, dans l’ordre dans lequel l’esprit peut ordonner ses affects et les enchaîner entre eux (voir le scolie de la proposition 10, et, de plus, les

propositions 12, 13 et 14)290.

Spinoza innove en affirmant que les problèmes de l’esprit se règlent par des idées adéquates. Il met en lumière la méprise des hommes sur la cause de la passivité. La passivité n’est pas due au désir du corps, à une cause extérieure, à un objet en particulier. Elle est due à une idée inadéquate qui l’empêche l’esprit d’enchaîner ses idées selon l’ordre du bon raisonnement. L’esprit est alors contraint à l’inaction et à subir la confusion. Le remède consiste donc à comprendre la véritable cause de la passivité, ce qui demande d’exprimer l’affect passif qui nous empêche d’avancer pour le réordonner de manière à le rétablir un ordre rationnel. Dès lors, l’activité de l’esprit est rétablie. D’où nous pouvons voir qu’il n’est aucunement nécessaire d’agir sur le corps pour éduquer un homme à se garder de la passivité, c’est-à-dire, à adopter une éthique de la droite manière de vivre. Pour retrouver l’activité de l’esprit, il suffit de remplacer consciemment une idée inadéquate par une idée adéquate. L’activité de l’esprit reprend automatiquement. « L’éthique ne sera jamais définie par l’action de l’esprit sur le corps. Mais par celle de l’esprit sur l’esprit291. »

290 E 5P20S.

La connaissance de ses affects selon l’ordre de l’entendement devient donc à la fois un moyen pédagogique et un moyen thérapeutique très puissant pour assurer l’augmentation de la puissance de la raison et pour guérir la passivité de l’esprit.

Comme le corps d’un homme ne serait pas en santé sans activité physique, Spinoza considère que son esprit a lui-aussi besoin d’activité pour assurer sa santé, d’une activité mentale où l’enchaînement des idées selon la raison est le moyen d’augmenter sa puissance. Or, les affects passifs commandent, pour notre libération, que nous les comprenions selon la raison. La compréhension de ses affects apparaît comme étant la voie naturelle du perfectionnement de l’esprit.

C’est à cela surtout que nous devons apporter nos soins, à connaître chaque affect, clairement et distinctement, afin qu’ainsi l’esprit soit déterminé à penser ce qu’il perçoit clairement et distinctement et en quoi il trouve pleine satisfaction; et par conséquent, afin que l’affect même soit séparé de la pensée d’une cause extérieure et associé à des pensées vraies292.

Spinoza devance la psychanalyse en ce sens qu’il considérait l’expression de la passion qui affecte l’esprit nécessaire à la guérison de la passivité qu’elle produisait. « Donc, la nature de chaque passion doit être expliquée de sorte que la nature de l’objet qui nous affecte doit être exprimée293.» Cependant, là s’arrête leur ressemblance. Spinoza

concevait la guérison de la passivité par une expression de l’affect qui s’accompagne de l’activité de l’esprit alors que Freud expliquait la guérison par le recours à des moyens qui gardaient l’esprit passif par exemple, la mémoire ou l’hypnose et expliquait les choses par un objet extérieur, la mère. La psychanalyse, tout en ayant l’ambition de guérir le patient, le maintenait longtemps dans des idées du premier genre de connaissance (ce pourquoi, à avis, les thérapies sont si longues), ne lui apprenait pas à se détacher des choses éphémères et ne lui donnait pas la cause initiale et intrinsèque de son désir.

Spinoza ne s’intéresse pas du tout aux souvenirs qui ont persisté dans la mémoire, aux traces imprimées dans le corps qui suivent des enchaînements d’idées selon un ordre aléatoire, aux affects du passer. Il n’en a que pour la compréhension des affects qui

292 E 5P4S. 293 E 3P56D.

produisent présentement de la passivité parce qu’il tient la compréhension comme étant la véritable puissance de l’esprit humain.