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CHAPITRE 5 L’ACTE D’ÉDUQUER (parfaire la raison, guérir l’entendement)

5.3 Guérir l’entendement

Au XVIIe siècle, guérir l’entendement n’impliquait pas qu’il fût malade. « Guérir,

corriger, purifier (l’entendement) sont des expressions baconiennes. Il s’agit de rendre l’intellect à lui-même. L’erreur ne peut naître de l’essence de l’esprit, mais d’un mélange de l’esprit et des autres choses258.» Cependant, il impliquait que l’esprit avait besoin d’être

guéri lorsqu’il subissait la passivité car alors, il était empêché d’enchaîner ses idées selon l’ordre de l’entendement.

L’idée de guérir la passivité de l’esprit comme conception de l’acte d’éduquer est très présente dans l’œuvre de Spinoza, comme en témoigne l’utilisation fréquente du vocabulaire apparenté à la guérison: donner ses soins, la santé, les remèdes aux passions.

Mais avant tout, il faut réfléchir sur le moyen de guérir l’entendement et de le purifier, autant qu’on le peut au début pour qu’il comprenne facilement, sans erreur et le mieux possible. Par où l’on peut déjà voir que je veux diriger toutes les sciences vers une seule fin et un seul but, à savoir : arriver à la perfection humaine suprême dont nous avons parlée259.

Pour Spinoza, il n’existe pas de maux qu’il n’existe de remède. Or, tout le monde a déjà fait l’expérience des remèdes naturels à la passivité de l’esprit. Cependant, bien peu se sont préoccupés d’identifier l’ingrédient actif qui causait la guérison de l’esprit. Cependant Spinoza y est parvenu par la compréhension de la nature de l’esprit.

258 R. MISRAHI, Notes sur la correspondance de Spinoza, La Pléiade, p. 1393. 259 TRE, par. 16

Donc, puisque la puissance de l’esprit, ainsi que je l’ai montré plus haut, se définit par sa seule intelligence, les remèdes aux affects, dont tout le monde a en réalité l’expérience, mais qu’on ne paraît pas, il me semble, observer avec soin ni voir distinctement, la seule connaissance de l’esprit nous permettra de les déterminer, et d’en déduire tout ce qui concerne la béatitude260.

Il faut dire aussi que Spinoza était particulièrement fier d’avoir compris les lois de l’esprit. « Ce qui revient à dire, comme le firent les Anciens, que la vraie science procède de la cause aux effets. À cela près que jamais, me semble-t-il, ils n’ont conçu, comme nous, l’âme, agissant selon des lois déterminés et pour ainsi dire comme un automate spirituel261. » De même, il était conscient d’être un pionnier dans la science des affects,

« mais la nature des affects, leur force impulsive et, à l’inverse, le pouvoir modérateur de l’esprit sur eux, personne à ma connaissance ne les a déterminés262. » Nous allons donc

donner ici sa conception de la santé de l’esprit et ensuite, nous identifierons les moyens pédagogiques qu’il nous offre pour faciliter la compréhension de sa philosophie et la sauvegarde de la santé mentale.

5.3.1 Conception de la santé

C’est dans le Court Traité que nous trouvons le plus d’allusions à la santé. Appuhn traduit son titre ainsi : « Court Traité de Dieu, de l’Homme et De la santé de son âme », ce que Caillois traduit par son état bienheureux. L’idée de la santé de l’âme était aussi bien présente dans la préface de Jarig Jelles. Il nous dit que ce traité a été écrit pour faire taire les calomniateurs, « pour qu’ils cessent enfin de calomnier ce qu’ils ne connaissent pas encore : Dieu, soi-même et l’entraide en vue de la santé de l’âme; et guérir ceux qui sont malades en esprit par l’inspiration de douceur et de patience, selon l’exemple du Seigneur Christ, notre maître le meilleur263. » Dans le CT, Spinoza attribue la santé à l’observance

des lois de la nature. « De même l’homme, aussi longtemps qu’il est une partie de la Nature, doit suivre les lois de la Nature, ce qui est le véritable service divin : et aussi

260 E 5 Préface. 261 TRE, par. 85. 262 E 3 Préface. 263 CT, Titre et préface.

longtemps qu’il agit ainsi, il se maintient en santé264.» Il assimile la santé à l’amour de

Dieu.

Après avoir vu la multiple utilité de la croyance droite, nous nous efforcerons de remplir la promesse faite antérieurement; à savoir rechercher si, par la connaissance que nous avons acquise de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, de ce qu’est la Vérité et la Fausseté et de ce qu’est d’une manière générale l’utilité de tout cela, si par- là dis-je, nous pouvons parvenir à notre santé, c’est-à-dire à l’amour de Dieu, en quoi consiste comme nous l’avons observé, notre souveraine félicité; et aussi de quelle façon nous pouvons nous délivrer des passions que nous avons reconnues mauvaises265.

Plus loin, il prête à l’amour de Dieu une vertu de régénération de la puissance de l’esprit. « Cela peut d’autant mieux être appelé une Régénération que de cet Amour et de cette Union seulement peut suivre une stabilité éternelle et inaltérable, ainsi que nous le montrerons266. » L’esprit est guéri lorsqu’« aucune passion ne pourra provoquer le moindre

trouble267 ». Ainsi la santé de l’esprit c’est la paix, la tranquillité qu’il peut goûter lorsqu’il

n’est pas empêché d’enchaîner ses idées selon l’ordre de l’entendement et non l’agitation que provoquent les passions.

En conclusion, pour Spinoza, un esprit sain comprend rationnellement les choses et compte plus d’idées adéquates que d’idées inadéquates. « Aussi, plus l’esprit comprend de choses par le deuxième et le troisième genre de connaissance, plus grande est la partie qui reste saine (illaesae), et par conséquent moins il pâtit des affects268. » La bonne santé de

l’esprit c’est donc pouvoir concevoir une idée de la totalité, être actif, tranquille, en accord avec soi-même et les autres et, par conséquent, un esprit limité à une vision partielle des choses, agité à cause de ses passions et en opposition avec lui-même et les autres a besoin d’être guéri.