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Une nouvelle conception de l’éducation

CHAPITRE 1 L’IDÉE FONDATRICE DE SA CONCEPTION ORIGINALE DE

1.6 Une nouvelle conception de l’éducation

Nous pensons qu’au début de la rédaction du TRE, Spinoza considérait, comme Platon et Aristote, que la méditation de l’idée la plus pure était la meilleure chose à faire pour un philosophe qui voulait connaître le souverain bien, c’est-à-dire, « la connaissance de l’union de son esprit avec la nature totale94 ». Ailleurs, dans le TTP, il disait du

souverain bien : « ce bien consiste dans la contemplation seule et dans la pensée pure95». Sa

méthode réflexive et l’incitation à utiliser le mode supérieur de connaissance allaient d’ailleurs dans le sens de la contemplation. « Seul le quatrième mode comprend l’essence adéquate de la chose, sans risque d’erreur. Il faudra donc beaucoup s’en servir. Comment l’employer pour comprendre les choses inconnues de cette connaissance claire et le plus rapidement possible, nous nous appliquerons à l’expliquer96. » Aussi, nous pensons que la

méthode réflexive du TRE avait pour but d’habituer le lecteur à la méditation de l’idée vraie donnée dans l’entendement.

Par contre, dans l’Éthique, Spinoza ne tient plus le même discours. Le perfectionnement intellectuel ne consiste plus à éduquer son lecteur à pratiquer la contemplation de l’idée pure mais à l’éduquer à pratiquer la compréhension rationnelle de ses affects passifs. Ce qui pour nous est une modification de sa conception de l’éducation au perfectionnement de la raison.

Selon notre hypothèse, après le TRE, Spinoza a beaucoup de nouvelles données en mains. La concordance des idées et des affects l’a conduit à déduire que la compréhension de ses affects est une action de l’esprit, un remède pour rendre l’esprit à lui-même, à son activité. Il établit en principe qu’un esprit actif se perfectionne naturellement et peut parvenir à connaître le souverain bien. Le souverain bien n’est donc plus réservé au sage contemplatif. Les affects n’ont plus été conçus comme étant seulement passifs mais comme pouvant être actifs. La joie de comprendre est devenue un affect actif qui fait passer l’esprit

94 TRE, par. 13. 95 TTP, Chap. 4, p. 89. 96 TRE, p. 29.

à une plus grande perfection. Alors que l’idée vraie de l’entendement avait été conçue comme un étalon de la vérité et la première idée pour ordonner les bons raisonnements, l’affect ou l’idée de l’affection du corps en acte a été conçu comme le moyen de connaître de l’esprit et le baromètre de sa puissance de comprendre. En effet, « il est de la nature de la Raison de concevoir les choses sous l’espèce de l’éternité (selon le corollaire 2 de la

proposition 44, partie II), et qu’il appartient aussi à la nature de l’esprit de concevoir

l’essence du corps sous l’espèce d’éternité (selon la proposition 23) et qu’à part ces deux connaissances il n’est rien d’autre qui appartienne à l’essence de l’esprit (selon la

proposition 13, partie II).97 » Ainsi, dans l’Éthique, le perfectionnement de la raison

consiste à utiliser le plus possible le deuxième genre de connaissance pour que l’esprit de l’homme conduit par la raison soit actif et puisse rétablir son activité. Ensuite, le perfectionnement se fera de lui-même.

Spinoza a conçu la compréhension rationnelle de ses affects comme une voie plus sûre et plus facile pour perfectionner sa raison de façon autonome que la méthode réflexive. Ainsi, la jouissance de l’idée de l’éternité ne serait pas réservée aux seuls sages, c’est-à- dire, aux hommes déterminés, par nature, à être de véritables philosophes. La voie du souverain bien pouvait s’ouvrir à l’homme raisonnable intéressé à garder son esprit actif par la compréhension de ses affects; « même si la voie est ardue on peut cependant la trouver »98.

Ainsi, ce n’est pas la conception de l’idée de l’éternité en tant qu’elle est le souverain bien qui différencie Spinoza, Platon et Aristote. Plutôt, c’est parce que Spinoza conçoit l’idée de l’éternité comme s’étendant sur deux genres de connaissance, la raison et la science intuitive, et s’accordant à deux affects actifs, la certitude et la béatitude. Spinoza conçoit donc une idée de l’éternité en amont de l’idée de l’éternité des philosophes classiques, une idée de l’éternité que l’homme peut saisir par la compréhension de ses affects, alors que Platon et d’Aristote la pensaient réservée à la contemplation seule. Aussi, la conception de Spinoza est plus perfectionnée car elle peut être utile à l’homme raisonnable qui veut se comprendre dans la vie pratique, ce qui veut dire, être utile à plus d’hommes.

97 E 5P29D. 98 E5P42S.

Spinoza a jugé qu’il lui serait bien plus facile de perfectionner la raison de son lecteur en le conduisant à pratiquer la compréhension du principe intrinsèque de son activité intellectuello-affective intrinsèque, du conatus pour garder son esprit actif. Il ouvrait ainsi une voie praticable par plus d’hommes qui désirent connaître le souverain bien en contribuant à leur perfectionnement en toute autonomie.

Conclusion

Notre hypothèse était qu’à la fin du TRE (que nous avons située entre 1662-1663), Spinoza avait perçu une idée de l’éternité plus perfectionnée que l’idée vraie innée de l’entendement du TRE. Elle était plus perfectionnée parce qu’elle était corrélée à la jouissance infinie de l’exister. Nous avons supposé que la puissance de la propriété affective de cette idée l’avait conduit à réviser sa conception de la puissance de l’idée et de l’entendement. La compréhension rationnelle réjouissait trop l’esprit pour être un pâtir. Elle était donc un agir, et encore plus, un véritable remède pour rétablir l’esprit dans son activité. Du coup, il n’eut plus de raison de continuer le TRE. En effet, dans le TRE, il avait ignoré la participation du corps à la connaissance de l’idée vraie de l’entendement. Il n’avait accordé de propriété affective ni à l’idée vraie ni à l’entendement. Ce qui lui était inconcevable maintenant qu’il avait été affecté par la jouissance infinie de l’exister.

Nous pensons qu’en concevant l’identité ou la concordance entre l’affect et l’idée en même temps que la compréhension en soi comme étant l’action et le désir de l’esprit, Spinoza a eu accès à la compréhension de la façon dont la connaissance touche l’esprit par les idées des affections du corps, et surtout, il a compris la supériorité de l’affect sur l’idée pour faire passer l’homme à une plus grande perfection intellectuelle. Il ne pouvait donc plus ignorer la place du corps dans la compréhension des vérités éternelles.

Comme nous l’avons vu, une idée de l’éternité affectant le corps vivant, et même étant son effort d’exister et l’objet du désir de l’esprit de se comprendre, se démarquait absolument de toutes les idées de l’éternité conçues auparavant. L’idée de l’éternité conçue selon la raison, c’est-à-dire, comme étant le conatus, s’est faite intelligible aux hommes conduits par la raison de par sa corrélation avec un affect. Elle n’est plus réservée uniquement aux hommes qui ont un ingenium de philosophe. Spinoza pouvait la

démontrer comme étant la cause du système rationnel, l’essence de l’homme, son activité intrinsèque auto-causée intelligible durant sa vie, car elle est très utile pour vivre heureux et bien agir. De même, son idée du temps est originale car il ne conçoit pas le temps comme étant la finitude de l’homme mais son allié pour réaliser sa perfection.

Nous démontrerons, au chapitre suivant, que Spinoza règle la difficulté qu’ont les hommes de concevoir l’idée de l’éternité qui compose leur essence en modifiant, dans l’Éthique, sa définition du concept de conatus et des concepts qui lui sont reliés : l’essence, le désir, les affects, la compréhension, l’entendement depuis le Court Traité. Conçue en tant qu’elle est le conatus, l’idée de l’éternité deviendra dans l’Éthique, l’objet principal de son éducation au perfectionnement de la raison.