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Principes et idées communes à ses méthodes

CHAPITRE 6 MÉTHODES D'EXPOSITION DE SA PENSÉE

6.2 Principes et idées communes à ses méthodes

Nous allons commencer notre investigation en examinant l’exposé de la méthode réflexive, aussi appelée la méthode de l’idée vraie et méthode de la recherche de la vérité dans le TRE. Nous allons commencer par cet exposé car il nous donne la méthode de méditation de Spinoza, laquelle il devait pratiquer souvent. Pour Spinoza, l’entendement, est déterminé à commencer son activité d’enchaînement des idées seulement s’il perçoit une idée vraie et si possible l’idée de l’Être le plus parfait. Ainsi, on peut dire que tous ses raisonnements ont pour principe le suivant : « le principe qui doit diriger toutes nos pensées ne peut être autre chose que la connaissance qui constitue la forme de la vérité, ainsi que la connaissance de l’entendement, de ses propriétés, de ses forces302». La méthode est donc

une méditation en soi-même où l’esprit peut commencer à être actif à l’égard de ses idées, à les regarder, les étudier, à les agir au lieu de les subir.

Le but (scopus) est d’avoir des idées claires et distinctes, c’est-à-dire des idées qui proviennent de la pure pensée et non des mouvements fortuits du corps. Puis, pour ramener toutes les idées à une seule, nous essaierons de les enchaîner entre elles et de les ordonner de façon que notre esprit — autant qu’il est possible — reproduise objectivement la structure réelle de la nature dans sa totalité et dans ses parties303 .

Nous disons que la méthode réflexive est une méditation dirigée. Le but n’est pas tant de « faire connaître quelque chose, mais de nous faire comprendre notre puissance de connaître. Il s’agit donc de prendre conscience de cette puissance : conscience réflexive, ou idée de l’idée 304». Selon Misrahi, la méthode réflexive de Spinoza est, à la fois, le

fondement autonome de la connaissance vraie, le but de la sagesse, une condition et un moyen de libération de l’agitation des affects passifs. « La doctrine spinoziste de la vérité est donc une doctrine de la certitude réflexive305. » Spinoza conçoit le bon raisonnement

comme étant l’activité interne de l’esprit commençant à chaque fois qu’il fait l’expérience de percevoir l’idée qui a le plus de réalité en lui, celle qui se corrèle avec son affect ou sa norme de certitude intrinsèque. Cette méthode de connaissance de soi en soi est donc un moyen de connaître notre nature, ce qui est le premier pas.

Maintenant, pour choisir parmi ces modes de perception résumons brièvement les moyens qui nous sont nécessaires pour atteindre notre but. Les voici : 1). Connaître exactement notre nature que nous voulons rendre parfaite, et aussi connaître la nature des choses autant qu’il est nécessaire. 2). Afin de pouvoir ainsi classer correctement les différences, les ressemblances et les oppositions des choses. 3) Afin de concevoir correctement ce qu’elles peuvent admettre ou non 4). Afin de comparer ces résultats avec la nature et avec la puissance de l’homme. Ce par quoi on verra aisément la plus haute perfection auquel l’homme peut atteindre306.

Spinoza situe l’entendement dans une activité intrinsèque où se produisent des liaisons qui ont différents effets sur lui, qui le font progresser lorsque l’esprit peut accroitre sa puissance de former des idées vraies, comprendre sa propre activité, suivre l’ordre de sa nature, être la cause de son agir.

303TRE, par. 92.

304 G. DELEUZE. Spinoza Philosophie Pratique, Éditions de minuit, Paris, 1981, p. 115. 305 R. MISRAHI. Spinoza et le spinozisme, op.cit., p. 94.

Pour Spinoza, sa méthode, qui implique nécessairement une observation critique de l’activité auto-causée dans son esprit, doit suivre l’ordre rationnel, c’est-à-dire, toujours partir de l’idée à la source de la nature.

Or, pour respecter l’ordre, pour que toutes nos perceptions soient ordonnées et unifiées, il nous faut chercher aussitôt que possible –c’est la raison qui l’exige– s’il existe un être et quel il est, un Être qui soit cause de toutes nos idées. Alors, l’esprit pourra, comme nous avons dit, reproduire parfaitement la nature, car il en possédera objectivement l’essence, l’ordre, l’unité307.

Les méthodes de Spinoza ont en commun de conduire la pensée à l’idée le plus en amont dans la pensée, l’idée de l’attribut308 en soi pour mieux comprendre le mode309 qui

est son effet. « La méthode spinoziste est génétique ou généalogiste310.» Selon lui c’est la

raison elle-même qui exige que tous nos raisonnements reproduisent l’ordre de la nature et l’être formel des idées ne reconnaît que Dieu pour cause. Ce qu’avait ignoré Descartes.

Il s’ensuit que la méthode qui veut qu’on cherche le signe de la vérité postérieurement à l’acquisition des idées n’est pas la vraie; la vraie méthode, au contraire, est la voie par laquelle la vérité elle-même ou les essences objectives des choses ou les idées (tout cela signifie la même chose) sont recherchées dans l’ordre qui convient**311. En revanche la méthode doit

nécessairement traiter du raisonnement et de la compréhension; c’est-à-dire que la méthode n’est pas le raisonnement même en vue de la compréhension des causes et encore bien moins la compréhension des causes ; elle consiste à comprendre ce qu’est l’idée vraie, en la distinguant des autres perceptions, en recherchant sa nature de façon à contraindre notre puissance de compréhension et à contraindre notre esprit à comprendre, selon cette norme, tout ce qui doit être compris, en lui donnant comme auxiliaires des règles biens définies et en prenant soin également que l’esprit ne se fatigue pas à des recherches inutiles312.

Si Spinoza tient autant à cette idée, ce n’est pas seulement parce qu’elle est à l’origine de la nature, mais parce qu’elle est la nature de l’esprit humain lui-même. Ainsi au lieu de

307 TRE, par. 99.

308 E 1 Définitions IV « Par attribut, j’entends ce que l’entendement perçoit de la substance comme

constituant son essence. » et VI « (…) dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. »

309 E 1 Définitions V, « Par mode, j’entends les affections de la substance, autrement dit ce qui est en autre

chose par quoi il est aussi conçu. »

310 J. LACROIX, op.cit., p. 43.

311 TRE, par. 36, « En quoi consiste cette recherche dans l’âme, je l’explique dans ma Philosophie.», Note de

bas de page de Spinoza.

laisser l’idée vraie sans objet, Spinoza aurait très bien pu dire que nous possédons une idée vraie de la nature de notre esprit qui est son principe de perfectionnement.

Ensuite, plus l’esprit connaît de choses, mieux il comprend et ses forces et l’ordre de la Nature. Or, il peut se diriger lui-même et se proposer des règles, d’autant mieux qu’il comprend mieux ses forces; et il se peut garder d’autant mieux des choses inutiles qu’il comprend mieux l’ordre de la nature; en quoi consiste toute la méthode nous l’avons dit.313

C’est vraiment à un travail intime sur lui-même qu’est convié le lecteur de Spinoza. Il ne peut suivre Spinoza qu’en entrant en lui-même et cherchant sérieusement sa propre idée vraie innée. Il imite Spinoza dans sa recherche de l’idée vraie.

Commençons donc par la première partie qui, nous l’avons dit, consiste à distinguer et séparer l’idée vraie des autres perceptions, à empêcher l’esprit de confondre les idées fausses, douteuses ou les fictions, avec les vraies, ce que j’ai l’intention d’expliquer longuement ici pour retenir les lecteurs dans la pensée d’une chose très nécessaire, et aussi parce que nombreux sont ceux qui doutent des idées vraies parce qu’ils n’ont jamais fait la différence entre une perception vraie et toutes les autres314.

Dans le TRE, la méthode réflexive recherchait l’idée la plus stable de notre être. « Cette essence, on la cherchera du côté des choses fixes et éternelles, dans les lois inscrites en elles –comme dans leurs vrais codes –lois qui commandent l’existence et l’ordonnance des choses singulières315. » Cependant, dans l’Éthique, comme nous l’avons dit, Spinoza

fait nécessairement évoluer l’objet de sa recherche. La méditation devient plus active, elle devient compréhension des affects passifs. Le but sera désormais de guérir la passivité de l’esprit et de rendre l’esprit à son activité.

On comprend alors que les méthodes de Spinoza résolvent le paradoxe d’une éducation à la liberté intérieure par un éducateur extérieur car sa conception du perfectionnement consiste à habituer son lecteur à une méditation intérieure qui est une étude de son activité auto-causée ou de sa nature intrinsèque.

313 TRE, par. 40. 314 TRE, par. 50. 315 TRE, par. 101.