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CHAPITRE 5 L’ACTE D’ÉDUQUER (parfaire la raison, guérir l’entendement)

5.1 Parfaire la raison

On nous accordera que ce qui importe pour Spinoza, c’est de pouvoir parler de l’origine, de la cause, c’est-à-dire de communiquer à son lecteur l’idée de Dieu et des attributs. Or, pour que son lecteur puisse réellement saisir cette idée en soi que l’homme doit pouvoir la concevoir par son essence. Il lui faut être parvenu au troisième genre de connaissance, c’est-à-dire, avoir augmenté la puissance de son esprit.

C’est pourquoi, dans la vie, il est avant tout utile de parfaire l’entendement, autrement dit, la Raison, autant que nous le pouvons, et en cela consiste la souveraine félicité ou béatitude de l’homme. Car la béatitude n’est rien d’autre que la satisfaction même de l’âme, qui nait de la connaissance intuitive de Dieu. Or, parfaire l’entendement n’est également rien d’autre que comprendre Dieu, et les attributs de Dieu, et les actions qui suivent de la nécessité de sa nature. C’est pourquoi la fin dernière de l’homme qui est conduit par la Raison, c’est-à- dire, le suprême désir, qui le porte à régler tous les autres, est celui qui le porte à se concevoir de façon adéquate, lui-même et toutes les choses qui peuvent tomber sous son intelligence236.

235 E 4 App. Chap. 20. 236 E 4 App. Chap. 4.

Or, ce troisième genre de connaissance est le résultat d’une grande pratique de la raison. Aussi, Spinoza sait très bien que pour arriver à son but, il devra nécessairement enchaîner l’idée de Dieu selon l’ordre de la raison ou de l’entendement. Il va parfaire la raison en suivant les lois de la logique pour expliquer son idée de Dieu.Pour faire accepter aux hommes une croyance ou les en détourner, s’il s’agit d’une chose qui n’est pas connue par elle-même, on devra nécessairement partir de certains points accordés et s’appuyer pour convaincre sur l’expérience ou sur la raison, c’est-à-dire sur les faits que par les sens, les hommes constatent dans la nature, ou sur les axiomes de l’intellect connus par eux-mêmes237.

Nous pouvons donc déduire que Spinoza a conçu la satisfaction de son désir de parfaire la raison en réfléchissant à la meilleure façon de communiquer un changement de paradigme par rapport à l’idée de Dieu. Il va donc en suivre qu’éduquer l’homme à parfaire sa raison, c’est le disposer à concevoir Dieu d’une autre façon par la compréhension rationnelle de l’activité affective et intellectuelle qui existe en soi, c’est-à-dire, de son

conatus.

Premièrement, Spinoza accorde à l’esprit de chaque homme d’être constitué d’une idée adéquate de Dieu « il appartient à l’esprit d’avoir la connaissance de Dieu238 ».

Cependant, comme la plupart des hommes ne distinguent pas bien la différence de puissance entre les idées, ils s’en tiennent à l’idée de Dieu de leur imagination et se maintiennent dans l’ignorance de leur bien le plus précieux.

Cette erreur (de ne pas distinguer les idées vraies de l’imagination de celles de l’entendement) provient enfin de l’incompréhension due à l’ignorance des premiers éléments de toute la nature, d’où suit que l’on procède sans ordre, on confond la nature avec des axiomes abstraits, quoique vrais, on tombe soi- même dans la confusion, et on pervertit l’ordre de la nature. Nous, au contraire, nous devons procéder de la façon la moins abstraite qu’il se peut, commencer dès que possible par les éléments premiers, c’est-à-dire, la source et l’origine de la nature et ainsi une telle erreur n’est nullement à craindre239.

Ensuite, il indique à son lecteur la nécessité de l’idée de Dieu dans l’ordre de la rationalité pour l’esprit lui-même. Spinoza fait de l’idée adéquate de Dieu qui constitue notre essence, l’idée de la cause du système rationnel. « L’être formel des idées admet pour

237 TTP, chap. 5, p. 109. 238 E 4P36.

cause Dieu en tant qu’il est l’objet des choses pensantes240. » Spinoza accorde ainsi à l’idée

de Dieu dont nous avons conscience d’être notre puissance de connaître, notre intelligence. « Notre entendement et notre science dépendent de la connaissance de Dieu, en tirent leur origine et y trouvent leur achèvement241. » Spinoza va donc éduquer l’homme à une idée

de Dieu entièrement accordée avec la cause de sa puissance de comprendre. Spinoza pense que c’est ainsi qu’il pourra élever l’intelligence de son lecteur.

Enfin, selon notre hypothèse, du moment où il a conçu l’idée de l’éternité synonyme de la jouissance infinie de l’exister. Spinoza a voulu l’éduquer de façon qu’il puisse être lui-aussi affecté par cette jouissance de l’exister. Ce qui demandait que l’homme connaisse les remèdes à la passivité inhérente à la condition humaine. Ce qui veut dire qu’il ne suffit pas à Spinoza de présenter une idée de Dieu qui s’inscrive dans le système rationnel, il fallait aussi faire remarquer à l’homme que son idée de Dieu, était bien la cause de son activité intrinsèque auto-causée et que la compréhension claire de cette idée rythmait sa vie intellectuelle et affective. Spinoza avait donc besoin d’expliquer à l’homme le mécanisme de variation de la variation de la puissance affective de l’esprit pour le conduire à concevoir une idée de Dieu qui soit l’idée de l’éternité qui explique clairement sa propre essence. Il élabore une conception de l’éducation au perfectionnement de la compréhension de l’idée de Dieu et de ses attributs en concevant la compréhension de l’activité auto-causée en soi est l’activité la plus utile et satisfaisante pour l’esprit uni au corps.

Car, quoique dans la première partie j’aie montré d’un point de vue général

(generaliter) que toutes choses (et donc l’esprit humain aussi) dépendent de

Dieu quant à l’essence et à l’existence, cette démonstration, certes, exempte de tous doutes, ne touche (afficit) pourtant notre esprit que quand on tire une conclusion identique de l’essence singulière quelconque que nous disons dépendre de Dieu242.

Nous disons donc que parfaire la raison consiste pour Spinoza à éduquer son lecteur à comprendre l’idée adéquate de Dieu qu’il peut comprendre par nature en comprenant l’activité intellectuelle et affective auto-causée en lui, c’est-à-dire, en enchaînant selon l’ordre de l’entendement les idées des affections de son corps en acte.

240 E 2P5D.

241TTP, chap. 4, p. 96 242 E 5P39.

En disant cela nous nous opposons une nouvelle fois à Deleuze pour qui l’idée de Dieu n’est pas une notion commune. Aussi, nous allons prendre le temps d’argumenter pourquoi, selon nous, l’idée de Dieu est nécessairement une notion commune.