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Comparée à celle de St-Thomas D’Aquin

CHAPITRE 1 L’IDÉE FONDATRICE DE SA CONCEPTION ORIGINALE DE

1.3 L’originalité de l’idée de l’éternité de Spinoza

1.3.3 Comparée à celle de St-Thomas D’Aquin

Pour bien comprendre l’originalité de l’idée de l’éternité de Spinoza, il nous faut absolument la distinguer de celle de la tradition scolastique. Encore une fois, nous nous référons à Jaquet pour mettre en lumière les différences qu’elle a identifiées entre l’idée de l’éternité des Scolastiques et celle de Spinoza. Ensuite, nous ferons remarquer les solutions qu’apporte Spinoza pour faire évoluer certains éléments de la pensée scolastique.

Jaquet nous rappelle que chez les Scolastiques l’éternité est, avec l’aveum et le temps, une espèce distincte qui appartient au genre appelé la durée.

Dans la tradition scolastique, la durée est un genre, le mode par lequel un être persévère dans l’existence. Il comprend trois espèces : le temps, l’aveum, l’éternité. (…). L’éternité est une durée parfaite et achevée, l’aveum, une durée permanente, soit immuable, soit nécessaire, qui n’implique pas l’existence total

simul. L’existence des trois espèces différentes résulte de la nécessité de

trouver des mesures de durée adaptées aux divers genres d’être. La distinction entre éternité, éviternité et temporalité s’enracine donc dans la nature des choses et tire son fondement de leur caractère variable ou immuable75.

Par exemple, St-Thomas distingue l’éternité et la durée selon l’absence ou la présence de mouvement. D’une part, il accorde à l’éternité l’absence de mouvement, l’immutabilité. Il fait de l’éternité la mesure de la permanence qu’il réserve à Dieu seulement. D’autre part, il associe à la durée la présence du mouvement. Il fait du temps la mesure du mouvement. Le temps devient la propriété des êtres changeants et corruptibles. L’aveum est un espace entre le temporel et l’éternel. Il concerne les choses qui sont à la fois éternelles et en mouvement, tels les corps célestes et les anges.

Or, Spinoza innove en établissant une rupture nette entre l’éternité et la durée et en laissant complètement tomber l’aveum. Il cesse de concevoir la durée comme un générique, d’associer l’éternité à l’immutabilité et la durée au changement. Il remplace ces propriétés par la nécessité ou la possibilité. « L’éternité n’est pas considérée comme la conséquence de la permanence de l’existence, mais de la nécessité76. » La durée devient l’existence

possible. Spinoza introduit la distinction entre l’essence et l’existence. « Spinoza cesse de lier la durée au changement et en fait un attribut exprimant la distinction entre l’essence et

75 C. JAQUET, op. cit., p. 149. 76 Ibid., p. 156.

l’existence. Il rompt ainsi avec toute la tradition qui voit dans la durée la marque du devenir

et de la finitude77. » Jaquet nous rappelle que dès les Pensées Métaphysiques, Spinoza

écrivait que la distinction entre l’éternité et la durée résulte « de la division de l’Être en être dont l’essence enveloppe l’existence nécessaire et en être dont l’essence n’enveloppe qu’une existence possible78 ».

En libérant l’idée de l’éternité du générique de la durée, ce que les Scolastiques ne pouvaient pas concevoir, Spinoza a permis à l’esprit humain de concevoir une idée de l’éternité entièrement libre de la durée, par conséquent d’opérer une distinction nette entre Dieu et les choses créées, entre l’essence et l’existence, entre le nécessaire et le possible.

Si métaphysiciens et Théologiens s’accordent à reconnaître que Dieu est éternel, en revanche, ils ignorent la véritable nature de cet attribut et la confondent généralement avec une durée illimitée dans les deux sens. C’est contre cette confusion et les difficultés qu’elle engendre que s’élève Spinoza dans ce chapitre premier où il affirme avec force qu’aucune durée n’appartient à Dieu. Il s’agit ainsi de déterminer l’essence véritable de l’éternité de Dieu et de rompre avec toute représentation temporelle de cet attribut. L’éternité n’est pas réductible à la sempiternité d’une existence qui se prolonge et s’accroît de jour en jour, mais elle est l’expression de l’identité absolue entre l’existence et l’essence de Dieu et de leur parfaite coïncidence. L’enjeu qui se profile derrière ce refus d’imputer à Dieu la durée est essentiel, car il s’agit d’opérer une distinction radicale entre l’existence de l’essence de Dieu et celles des choses créées79.

Notre comparaison de l’idée de l’éternité de Spinoza avec celle de St-Thomas D’Aquin nous permet d’établir que l’originalité de Spinoza a été de concevoir l’idée de l’éternité hors du générique du temps. Il ainsi conçu la distinction entre l’essence et l’existence, ce que St-Thomas D’Aquin, qui concevait l’éternité dans le générique de la durée, ne pouvait pas distinguer.

77 Ibid., p. 142. L’italique est de nous. 78 Ibid., p. 156.

Conclusion

L’originalité de l’idée de l’éternité de Spinoza comparée à celles du courant classique, de Maïmonide, des Chrétiens et de la tradition scolastique, se compose des innovations suivantes :

1. Son idée explique la Substance, en tant qu’elle est la cause initiale du désir accordée à la jouissance de l’exister.

2. Elle explique l’existence actuelle de l’homme et sa puissance intellectuelle. 3. Elle est le principe de la raison et du perfectionnement de l’esprit.

4. Sa compréhension n’est pas réservée aux hommes méritants mais aux esprits actifs.

5. Elle est la puissance de l’esprit de se comprendre soi-même, sa propre essence selon le deuxième et le troisième genre de connaissance.

6. Sa perception claire implique un esprit libre de la passivité inhérente à la condition humaine.

7. Elle est un mode de penser entièrement libre du temps qui n’en est pas moins son allié.