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L'éducation à la compréhension du désir en soi selon Spinoza

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Academic year: 2021

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L’éducation à la compréhension du désir en soi

selon Spinoza

Thèse

Denise Gendron

Doctorat en philosophie de l’Université Laval

offert en extension à l’Université de Sherbrooke

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Faculté des lettres et des sciences humaines

Université de Sherbrooke

Sherbrooke, Canada

Faculté de philosophie

Université Laval

Québec, Canada

© Denise Gendron, 2016

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L’éducation à la compréhension du désir en soi

selon Spinoza

Thèse

Denise Gendron

Sous la direction de:

Syliane Charles, directrice de recherche

Thomas De Koninck, codirecteur de recherche

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RÉSUMÉ

Cette thèse a pour point de départ le désir d’éduquer de Spinoza et pour point d’arrivée sa conception originale d’une éducation au perfectionnement de la raison qui s’accomplit par la compréhension de son conatus, le désir ou l’idée de l’affection du corps qui le rattache à sa cause. Cet ancrage de l’éducation dans la compréhension de notre essence désirante permet notamment de résoudre le paradoxe d’une vocation d’« éducateur » pour Spinoza, sachant que son but est de développer l’autonomie rationnelle (la liberté), mais que les moyens à sa disposition pour y parvenir relèvent de l’extériorité (parole, écriture). L’hypothèse que nous avons défendue est que Spinoza a fondé sa conception de l’éducation dans l’Éthique sur une idée originale de l’éternité du fait qu’elle était corrélée avec la jouissance infinie de l’exister et pouvait être découverte en soi-même par tout être humain. Or, pour communiquer cette idée, Spinoza devait repenser l’éducation et régler la difficulté qu’ont les hommes à concevoir leur idée de l’éternité. Ce qu’il fit en l’identifiant au conatus, c’est-à-dire, en appliquant cette idée de l’éternité à la fois à l’esprit et au corps. Selon nous, cette découverte fut aussi la cause de l’inachèvement du TRE, ce qui nous a conduit à réfuter l’hypothèse de Deleuze. En effet, elle a donné lieu à des modifications importantes dans sa conception de la nature de l’esprit, du désir et des affects, de la puissance, de l’activité ou de la passivité de l’esprit, de sa façon de connaître et de guérir. En éduquant, Spinoza a voulu donner aux hommes la connaissance nécessaire pour garder leur esprit actif et parvenir au troisième genre de connaissance. Ce qui, de l’avis de Rabenort, Misrahi, Ravven et de nous-mêmes, est un grand apport à l’éducation : Spinoza peut servir de fondement aux éducateurs contemporains par sa perspective holiste (moniste), sa reconnaissance de l’importance du corps, des affects et de la connaissance de soi, et son insistance sur l’autonomisation, qu’il oppose dans le TTP à la transmission d’une autorité par l’imagination. La philosophie de Spinoza a l’avantage d’avoir compris la nature de l’esprit, sa façon de connaître, les conditions nécessaires pour qu’il puisse former des idées adéquates et se concevoir dans une perspective de perfectionnement intellectuel. Notre tableau, en annexe, met en lumière les modifications des concepts relatifs à l’éducation du désir dans l’histoire de la civilisation occidentale.

(4)

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... iv

DÉDICACE ... vii

REMERCIEMENTS ... viii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 L’IDÉE FONDATRICE DE SA CONCEPTION ORIGINALE DE L’ÉDUCATION ... 21

1.1 L’hypothèse de Deleuze concernant l’inachèvement du TRE ... 22

1.1.1 Réfutation de l’hypothèse de Deleuze ... 23

1.2 Notre hypothèse ... 27

1.2.1 Retour à la fin du TRE ... 27

1.2.2 La propriété affective de l’idée de l’éternité ... 29

1.2.3 Découverte de cette idée à la fin du TRE... 30

1.3 L’originalité de l’idée de l’éternité de Spinoza ... 32

1.3.1 Comparée à celle de Platon et d’Aristote ... 32

1.3.2 Comparée à celle des Chrétiens et de Maïmonide ... 34

1.3.3 Comparée à celle de St-Thomas D’Aquin ... 37

1.4 La conception du temps chez Spinoza ... 39

1.5 Guérison de Spinoza lui-même ... 41

1.6 Une nouvelle conception de l’éducation ... 44

Conclusion ... 46

CHAPITRE 2 L'OBJET D'ÉDUCATION Le conatus de l'Éthique ... 48

2.1 Définitions dans le Court Traité ... 50

2.2 Définitions dans le Traité de la Réforme de l’Entendement ... 54

2.3 Définitions dans le Traité Théologico-Politique ... 58

2.4 Définitions dans l’Éthique ... 62

Conclusion ... 70

CHAPITRE 3 AVANTAGES D’UNE ÉDUCATION AU DÉSIR ... 75

3.1 Selon nous ... 75

3.2 La privation de l'idée du conatus dans l'éducation ... 79

3.3 L’éducation au désir selon Rabenort ... 81

3.4 L’éducation au désir selon Misrahi ... 84

3.5 L’éducation au désir de Ravven ... 86

(5)

CHAPITRE 4 CONCEPTION DE L’ÉDUCATEUR ET DU SUJET À ÉDUQUER ... 93

4.1 L’éducateur conduit par la raison ... 94

4.2 L’éducateur conduit par la passion ... 99

4.3 Le lecteur utile ... 105

Conclusion ... 112

CHAPITRE 5 L’ACTE D’ÉDUQUER (parfaire la raison, guérir l’entendement) ... 114

5.1 Parfaire la raison ... 115

5.2 L’idée de Dieu est-elle une notion commune? ... 118

5.2.1 Un seul mode pour concevoir les modes infinis ... 118

5.2.2 Un objet universel d’éducation ... 123

5.3 Guérir l’entendement ... 125

5.3.1 Conception de la santé ... 126

5.4 Remèdes ou moyens pédagogiques dans l’œuvre de Spinoza ... 127

5.4.1 Le système moniste ... 128

5.4.2 Les remèdes aux affects passifs ... 134

5.4.3 Le désir de la joie éternelle. ... 137

Conclusion ... 138

CHAPITRE 6 MÉTHODES D'EXPOSITION DE SA PENSÉE... 140

6.1 Vue d’ensemble des méthodes de Spinoza... 141

6.2 Principes et idées communes à ses méthodes ... 142

6.3 La méthode réflexive dans sa correspondance ... 146

6.4 La méthode géométrique de l’Éthique ... 148

6.5 La méthode historico-critique dans le TTP ... 151

Conclusion ... 152

CHAPITRE 7 L’ÉVOLUTION DE L’ÉDUCATION AU DÉSIR DANS LE TTP ... 154

7.1 Contexte de l’écriture du TTP ... 156

7.2 La loi de la modification des affects, principe de l’éducation... 157

7.3 L’enseignement législatif de Moïse et des Prophètes ... 159

7.3.1 La conception du désir dans la Genèse ... 163

7.3.2 L’éducation selon le premier genre de connaissance ... 164

7.4 L’enseignement moral de Jésus et des apôtres ... 166

7.5 Discussion sur l’imagination ... 169

7.5.1 Incompatibilité de l’imagination et de la connaissance adéquate ... 169

7.5.2 Définition de l’imagination ... 171

7.5.3 L’exemple de la persistance de l’idée erronée de la distance du soleil ... 172

7.5.4 La crise, un effet de la séparation nécessaire entre le premier et le deuxième genre ... 174

7.5.5 L’imagination est-elle réellement utile à l’éducation? ... 175

7.6 L’enseignement philosophico-éthique de Spinoza ... 178

7.6.1 Conception originale de l’obéissance ... 183

Conclusion ... 186

(6)

ANNEXE 1 Évolution des concepts relatifs à l’éducation dans le TTP ... 194

ANNEXE 2 Conception des enfants de Spinoza ... 196

1.1 L’enfance au temps de Spinoza ... 196

2.2 L’enfance selon Spinoza ... 198

2.3 L’éducation des parents hollandais selon Spinoza ... 203

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REMERCIEMENTS

Cette thèse de doctorat fut soutenue le 16 février 2016, à l’Université de Sherbrooke. Mes remerciements vont particulièrement à la Professeure Syliane Charles qui fut ma directrice de recherche ainsi qu’à M. Thomas De Koninck qui fut codirecteur; ainsi qu’aux Professeurs Mme France Jutras, M. André Duhamel qui furent évaluatrice et évaluateur internes et M. Lorenzo Vinciguerra qui fut l’évaluateur externe. Leurs remarques et leurs observations ont été une source de perfectionnement pour moi.

(9)

INTRODUCTION

Lorsque Spinoza réordonne l’essentiel de son exposé sur la droite manière de vivre dans l’appendice de la quatrième partie de l’Éthique1, il nous dit que pour lui l’action la

plus utile et valorisante à accomplir, c’est d’éduquer les hommes à augmenter leur puissance de comprendre les choses. « En outre, puisque parmi les choses singulières nous ne reconnaissons rien de supérieur à l’homme conduit par la raison, chacun ne peut donc mieux montrer sa valeur acquise ou naturelle (arte et ingenio) qu’en éduquant les hommes de sorte qu’ils vivent enfin sous l’autorité propre de la Raison2. » Et, en effet, Spinoza a si

bien démontré sa valeur d’éducateur en écrivant l’Éthique qu’il est possible de considérer son œuvre sous l’angle de l’éducation. C’est bien ce qui se passe depuis le début du XXe siècle et en divers endroits du globe. Un nombre croissant de chercheurs en éducation

regardent l’Éthique sous l’angle de l’éducation telle que la définit Rabenort : « this process of mutual liberation from whatever checks the application of reason to the affairs of human life, progressively pursued in co-operation3 ». D’où nous pouvons voir que la définition de

l’éducation de Rabenort s’accorde absolument avec la conception de la chose la plus utile et valorisante à faire pour Spinoza. « C’est pourquoi, dans la vie, il est avant tout utile de perfectionner l’entendement, autrement dit la Raison, autant que nous le pouvons et en cela seul consiste la félicité et la béatitude de l’homme4. » Tôt ou tard, une rencontre entre la

philosophie de Spinoza et la science de l’éducation allait s’imposer.

La considération de la philosophie de Spinoza sous l’angle de l’éducation a pris naissance aux États-Unis, avec Rabenort (1911) où elle continue à se développer avec Heidi M. Ravven (1990)5 et Daniel Hansson (2012). Elle a été présente en Russie avec le

1 SPINOZA, l’Éthique, traduction et introduction Roland Caillois, Paris, Gallimard, collection Folio/essais,

2004 (première édition en 1954).

2 E 4 App. Chap. 9.

3 William Louis RABENORT, Spinoza as Educator, Teachers College Columbia University, New-York City,

1911, p. 61: « this process of mutual liberation from whatever checks the application of reason to the affairs of human life, progressively pursued in co-operation, is education ».

4 E 4 App. Chap. 4.

5 Heidi M. RAVVEN, « Spinoza’s Materialist Ethics: The Education of Desire », International Studies in

(10)

psychologue pédagogue Vygotski (1926)6. Aujourd’hui, on la retrouve en Finlande avec Tapio Puolimatka (2001)7, en Israël avec Nimrod Aloni (2006)8 et en France avec, entre

autres, Jaquet, Misrahi (2005)9 et Zourabichvili (2002)10.

Les travaux de ces commentateurs et chercheurs, en tant qu’ils considèrent la philosophie de Spinoza sous l’angle de l’éducation, seront utiles à notre thèse. En effet, nous aussi nous adoptons ce même angle de vision dans notre relecture de l’œuvre de Spinoza. Notre but est de dégager une idée claire de sa conception originale de l’éducation au perfectionnement de la raison, que nous supposons fondée sur le principe du conatus, et par conséquent, de ce qu’elle implique : sa conception de l’objet d’éducation, de l’éducateur, de l’acte d’éduquer, de la connaissance, de l’obéissance et de la loi.

Avec notre thèse nous voulons faire une double contribution à la recherche scientifique. Nous voulons contribuer à la recherche en philosophie du seul fait que nous considérerons l’œuvre de Spinoza sous l’angle de l’éducation. Et vice-versa, nous voulons contribuer à la recherche en éducation du seul fait que nous la considérerons en regard de notre héritage philosophique rationaliste. Notre but est donc de faire connaître l’utilité de la philosophie de Spinoza pour l’éducation. Nous porterons un regard neuf sur l’inachèvement du Traité de la Réforme de l’Entendement11, nous identifierons l’idée

fondatrice de l’Éthique, nous reconnaîtrons l’efficacité de la méthode réflexive, c’est-à-dire, la puissance de la méditation de l’idée vraie. Ce qui nous conduira à réfuter l’hypothèse de Deleuze concernant l’inachèvement du TRE et sa conception de l’idée de Dieu comme n’étant pas une notion commune. À la place, nous proposerons notre hypothèse qui stipule que l’inachèvement du TRE est dû à sa découverte d’une idée très

6 J.-P.BRONCKART, & J. FRIEDRICH, L. Vygotski, La signification historique de la crise en psychologie,

Lausanne, Paris : Delachaux et Niestlé, 318 p. 1999.

7Tapio PUOLIMATKA, « Spinoza’s Theory of Teaching and Indoctrination », Educational Philosophy and

Theory, Vol. 33, Nos 3&4, 2001, p. 397-410

8 Nimrod ALONI, « Spinoza as educator », Educational Philosophy and Theory, Vol. 40, No. 4, 2008, p.

531-554.

9 Robert MISRAHI, « La responsabilité de l’éducation, former à la joie, non au travail », Le monde de

l’Éducation, Entretiens, Paris, février 2005.

10 François ZOURABICHVILI, Le conservatisme paradoxal de Spinoza. Enfance et royauté, Paris, PUF, coll.

« Pratiques théoriques », 2002.

11 SPINOZA, Œuvres complètes, texte présenté, traduit et annoté par Roland Caillois, Madeleine Francès et

Robert Misrahi, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2002, (première édition en 1954). Nous utilisons le Court Traité et le TRE compris dans cette édition, sauf indication contraire.

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perfectionnée de l’éternité accordée à un affect de joie. D’ailleurs, nous pensons que cette découverte a eu une telle puissance sur l’esprit de Spinoza qu’elle a eu trois conséquences : l’inachèvement du TRE, l’évolution de sa conception de l’éducation au perfectionnement de la raison, la guérison de la crainte des théologiens de son temps qu’il subissait.

Ensuite notre contribution à la recherche en éducation sera dans la clarification de la conception de l’éducation au perfectionnement de la raison de Spinoza. C’est-à-dire, au perfectionnement de l’intelligence. Ce qui ne sera pas inutile non plus, à tous les domaines connexes tels que la pédagogie, la psychologie et le counseling. Nous allons rendre la philosophie de Spinoza plus accessible aux éducateurs, aux thérapeutes, aux professionnels de la relation d’aide. En effet, nous dégagerons une conception de l’éducation au perfectionnement de la raison en toute autonomie, laquelle est aussi une éthique et une hygiène pour la bonne santé mentale. Nous présenterons en annexe un tableau retraçant l’évolution de l’éducation morale dans la civilisation occidentale, telle qu’elle se présente dans le TTP.

Notre thèse démontrera qu’il y a une évolution de la conception de l’éducation au perfectionnement de la raison chez Spinoza, du TRE à l’Éthique, ce qui justement nous permet de la remarquer. Nous supposons que la cause de cette évolution se situe à la fin du

TRE au moment où Spinoza perçoit la corrélation entre l’idée de l’éternité et la jouissance

infinie de l’exister. À ce moment-là il a compris la puissance active de l’idée de l’esprit uni à son corps. Or, cette puissance active de l’idée de l’éternité va justement être cette idée originale de l’éternité, qui deviendra le conatus dans l’Éthique, et le fondement à sa conception originale de l’éducation au perfectionnement de la raison. Par conséquent, elle sert aussi de fondement à sa conception de l’éducateur et de l’homme à qui il peut être utile, de l’acte d’éduquer, et des méthodes pédagogiques pour conduire le lecteur à percevoir par lui-même sa propre idée de l’éternité.

Notre point de départ

Tout d’abord, nous supposons que le désir d’éduquer de Spinoza, exprimé comme étant la chose la plus utile et valorisante à faire pour lui, s’accompagne d’une conception originale de l’éducation qui doit nécessairement être identifiable. Nous supposons que nous

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pouvons la retracer en suivant l’évolution de sa conception du conatus dans son œuvre, laquelle s’étend sur un peu plus d’une vingtaine d’années (1656-1677) et comprend le

Court Traité, le Traité de la Réforme de l’Entendement, le Traité Théologico-Politique,

l’Éthique, et sa correspondance. Nous supposons en effet que sa conception de l’éducation au perfectionnement de la raison correspond à l’évolution de sa conception du conatus, qui commence, dans le Court Traité par être l’effort pour conserver son être à l’égard duquel l’esprit humain est passif pour devenir, dans l’Éthique, l’effort de comprendre et de se concevoir adéquatement, effort à l’égard duquel l’esprit est maintenant actif. Nous situerons le moment charnière de son évolution entre le TRE et l’Éthique, lorsque Spinoza a perçu son idée originale de l’éternité et formulé sa définition de l’essence de la pensée. Nous disons que cette idée de l’éternité est originale parce qu’elle a une propriété affective que peut percevoir l’esprit actif. Il la perçoit comme étant le désir de se comprendre adéquatement ainsi que toutes les choses qui tombent sous son intelligence et de s’allier ainsi au désir de persévérer de l’idée de son corps.

L’expression du désir d’éduquer de Spinoza

Disons tout de suite que Spinoza est constant dans l’expression de son désir d’éduquer, qui est présente dans chacune de ses œuvres. Il exprime le désir de partager sa joie avec d’autres hommes qui connaissent eux-aussi la perfection que peut atteindre la puissance de l’esprit humain au troisième genre de connaissance.

Dans l’Éthique, il formule clairement ce désir d’éduquer dans l’appendice de la quatrième partie (déjà cité ci-dessus) : « En outre, puisque parmi les choses singulières nous ne connaissons rien de supérieur à l’homme qui est conduit par la Raison, chacun ne peut donc mieux montrer sa valeur acquise ou naturelle qu’en éduquant les hommes de sorte qu’ils vivent enfin sous l’autorité propre de la Raison12. »

Dans le Court traité, il exprime le désir de conduire les hommes à leur perfection. « Et, puisqu’un homme parfait est la meilleure chose que nous connaissons présentement, le mieux pour nous tous et pour chacun est de toujours nous efforcer de conduire les

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hommes à cette perfection; car c’est alors seulement qu’ils peuvent tirer de nous et nous d’eux les plus grands avantages13. » Un peu plus loin, il précise :

(…) mon seul but est de pouvoir goûter l’union avec Dieu et de produire en moi des idées vraies et de faire partager ces choses à mon prochain. Car nous pouvons tous avoir part également à ce salut, comme c’est le cas quand il excite en eux le même désir qu’en moi et fait ainsi que leur volonté se confonde à la mienne et que nous formions une seule et même nature où l’accord règne toujours14.

Dans l’introduction du TRE, il l’affirme également très clairement :

Voilà donc la fin vers laquelle je tends : acquérir cette nature supérieure et tenter que d’autres l’acquièrent avec moi; cela fait partie de mon bonheur de donner mes soins à ce que beaucoup d’autres comprennent comme moi, de sorte que leur entendement et leur désir s’accordent avec mon entendement et mes désirs. Pour y arriver, il est nécessaire de comprendre assez la Nature pour acquérir une telle nature humaine, puis, de permettre au plus grand nombre d’arriver aussi facilement et aussi sûrement que possible à ce but15.

Nous pouvons donc voir la constance de Spinoza à exprimer son désir de partager sa connaissance de la perfection que peut atteindre l’esprit, le troisième genre de connaissance. Cependant, et c’est ici qu’arrive notre problématique : comment ce désir d’éduquer pouvait-il être cohérent avec sa conception de l’homme (ambitieux et influençable), de la connaissance (difficile à saisir clairement lorsqu’elle vient de l’extérieur) de la vérité (s’auto-révélant de l’intérieur), de la liberté (qui consiste à suivre sa propre nature)?

Problématique et hypothèse

Un homme peut-il conduire un autre homme à jouir d’une liberté véritable en l’éduquant?

Premièrement, Spinoza considère l’homme comme étant un être influençable, crédule et craintif. En effet, il est toujours susceptible de rencontrer une force plus grande que la sienne qui peut, soit l’asservir, soit l’aider à s’affranchir. Tous les hommes sont craintifs et la crainte rend leur esprit instable. Dès lors qu’il craint, l’homme est facile à illusionner.

13 CT, partie II, chap. 6, par. 7. 14 CT, partie II, chap. 26, par. 8, no. 4. 15 TRE, par. 14.

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Spinoza rapporte que même le grand Alexandre croyait les idioties des devins lorsqu’il craignait la mauvaise fortune. « Ils (les hommes) sont crédules ou incrédules dépendant de ce qu’ils espèrent ou craignent16. » De plus, l’homme a tendance à imiter les autres. Les

hommes sont affectés par les affects imaginaires qu’ils prêtent aux autres17 et leurs désirs

sont souvent excessifs. Tous les hommes sont ambitieux et veulent rallier les autres à vivre selon leur naturel propre18. Enfin, selon Spinoza, il suffit d’un an à un homme qui détient

une position d’autorité pour devenir arrogant19. Les choses étant ainsi, toute éducation

n’expose-t-elle pas l’homme à un autre homme ambitieux qui voudra le conduire à adopter sa manière de vivre et ses idées?

Deuxièmement, Spinoza tient la connaissance par ouï-dire, ou selon le premier genre de connaissance, comme étant la cause de tous les maux et de toutes les erreurs. Or la lecture n’équivaut-elle pas à acquérir la connaissance par ouï-dire?

Ceci dit, voyons quel mode de perception il convient d’adopter. Pour le premier, il est évident de soi que par le ouï-dire, outre sa foncière incertitude, nous ne percevons nulle essence de chose comme le fait voir notre exemple; et comme l’existence singulière d’une chose n’est connue que si son essence est connue, comme on le verra plus loin, nous en déduisons très clairement que toute certitude acquise par ouï-dire doit être exclue des sciences. Car, par simple ouï-dire, quand un acte de l’entendement ne le précède pas, personne ne peut être affecté20.

Troisièmement, quelle est l’utilité d’un éducateur si la vérité se révèle elle-même21?

En effet, selon Spinoza lui-même, c’est par nature que l’esprit a le moyen de son autonomie. Dans le TRE, l’entendement dispose d’une idée vraie innée qui est un instrument de l’auto-perfectionnement en soi des idées subséquentes. Dans l’Éthique, chaque l’esprit dispose d’une idée adéquate de Dieu du seul fait qu’il a une essence.

16 E 3P50S. 17 E 3P27.

18 E 3P31C, « De là et de la proposition 28, il suit que chacun, autant qu’il le peut, fait effort pour que chacun

aime ce qu’il aime lui-même, et haïsse également ce qu’il hait lui-même; d’où les mots du poète :

Amants, craignons et espérons tout à la fois; Insensible est celui qui aime ce que l’autre l’autorise d’aimer »

et E 3P31S, « Cet effort pour faire que chacun approuve ce que l’on aime et ce que l’on hait est en réalité l’ambition (voir le scolie de la proposition 29). Et nous voyons par conséquent que chacun a naturellement le désir que les autres vivent selon son naturel (ingenio) à soi, et comme tous ont un pareil désir, ils se font pareillement obstacles; et comme tous veulent être loués et aimés de tous, ils se haïssent réciproquement. »

19 TP, chap. 7, par. 27, « L’insolence caractérise tous les hommes en position de dominer; même les gens en

place, désignés pour un an, deviennent insolents. »

20 TRE, par. 26. 21 TRE, par. 44.

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Quatrièmement, un homme peut-il en éduquer un autre à la liberté? Souvenons-nous de la définition de l’homme libre dans la quatrième partie de l’Éthique : « (…)le second (l’homme libre) n’obéit à personne d’autre que lui-même et fait seulement ce qu’il sait être primordial (prima) dans la vie, et que pour cette raison, il désire le plus22. » Un homme

éduqué peut-il obéir seulement à lui-même?

Bref, les hommes étant ce qu’ils sont, la transmission de la connaissance ayant ses limites, la vérité, son autonomie et la liberté étant d’obéir à sa nature singulière, on peut se demander si le désir d’éduquer de Spinoza est un désir de sa raison ou de son imagination. Si c’est un désir issu de la raison, alors, nous devons admettre qu’il a élaboré une conception de l’éducation compatible avec : 1), sa conception de la nature de l’homme, ambitieuse, craintive, influençable, 2), sa conception de la supériorité de la connaissance immanente sur la connaissance qui vient de l’extérieur, 3), sa conception de l’autonomie de la vérité, 4), sa conception de l’homme libre qui n’obéit qu’à lui-même. Ainsi, comme nous sommes convaincue que le désir d’éduquer de Spinoza est issu de la raison, car il est inséparable du désir d’être utile aux autres, il nous sera possible de démontrer une conception de l’éducation compatible avec sa conception de l’homme, de la connaissance, de la vérité, de la liberté.

C’est donc ici qu’arrive notre hypothèse. Selon nous Spinoza résout tous les paradoxes que soulève notre problématique, en fondant sa conception de l’éducation au perfectionnement de la raison dans l’Éthique, sur l’idée originale de l’éternité qu’il a perçue et qui l’a affecté à la fin du TRE. Nous supposons que cette idée de l’éternité a eu un effet très puissant sur son esprit. Spinoza a alors compris l’idée de l’éternité en tant qu’elle se fait connaître par l’idée d’une affection du corps en acte ou d’un affect en acte (la jouissance infinie de l’exister) et que l’action de compréhension de l’esprit a été de la reconnaître comme sa cause et son essence propre. Dès lors, le Court Traité et le TRE ont été dépassés. Spinoza ne pouvait plus dire, comme dans le Court Traité, que les affects étaient tous des passions ni que la compréhension était un « pâtir ». Il ne pouvait plus ignorer, comme dans le TRE, la correspondance entre les idées et les affects ni la supériorité de l’affect sur l’idée vraie pour faire passer l’esprit à une plus grande perfection.

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Désormais, il devait concevoir toutes les idées comme étant des idées des affections du corps qui expriment plus ou moins clairement l’idée de l’éternité en soi. Il devait démontrer que l’idée du corps vivant et la joie participent à la connaissance de l’idée de l’éternité en soi. L’idée de l’éternité n’était plus l’idée d’un être abstrait que seuls pouvaient percevoir les plus méritants. Elle s’incarnait dans le corps vivant et se faisait connaître par l’esprit actif comme étant un affect. Cette nouvelle conception de l’idée de l’éternité résolvait la difficulté « naturelle » qu’avaient eue les hommes à concevoir l’idée de l’éternité en même temps que le corps vivant. Spinoza avait donc trouvé, avec son idée de l’éternité corrélée avec la joie de l’exister, la solution, non seulement pour aider le corps vivant à percevoir en toute autonomie l’idée de l’éternité qui compose sa propre essence, mais aussi pour aider l’esprit à augmenter sa puissance de se comprendre soi-même et, ce faisant, à satisfaire son désir suprême de se concevoir adéquatement.

Comment Spinoza peut-il traduire une idée si originale de l’éternité dans les termes du deuxième genre de connaissance, c’est-à-dire, selon la raison, alors qu’il l’a perçue selon le troisième genre de connaissance, c’est-à-dire, la science intuitive? Selon nous, il y parvient en reconnaissant que la corrélation entre l’idée de l’éternité qu’il a perçue et l’affect de joie qui l’a affecté est son conatus. Aussi, dans le TRE, le souverain bien était la connaissance de la perfection de la nature humaine en tant que son esprit est uni à la nature totale, et dans l’Éthique, le souverain bien est l’union de l’esprit et du corps avec la nature totale. Nous pensons qu’il nous donne sa solution dans troisième partie de l’Éthique. Il a appliqué le conatus à la fois au corps et à l’esprit, l’a reconnu comme étant le désir du corps conscient de lui-même et comme étant la cause du désir suprême de l’esprit de se connaître soi-même, Dieu et toutes les choses. L’application de l’idée de l’éternité simultanément à l’esprit et au corps, à l’idée du corps en acte qui définit l’essence de l’esprit, lui a fait voir que l’action de l’esprit était de penser à partir de sa cause parce qu’ainsi le corps était affecté de la jouissance infinie de sa force d’exister. Ce qui est une grande évolution dans l’histoire de l’homme et de l’humanité. Avant Spinoza, l’homme ignorait la cause de son désir et ne pouvait que le subir. Maintenant que Spinoza nous a démontré que le conatus est la cause du désir, l’homme peut comprendre son désir et ses affects selon la raison, l’agir au lieu de le subir.

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Selon nous, Spinoza arrive à un moment dans l’histoire de l’Humanité où enfin l’esprit humain commence à être assez perfectionné pour que l’homme puisse concevoir clairement l’idée de l’éternité qui constitue l’essence de son propre esprit et jouir des avantages de cette connaissance. Par exemple, savoir que chaque esprit possède une idée adéquate de Dieu qui est la cause de son désir, sa puissance intérieure propre, qu’il peut comprendre par nature pour conserver sa vie et se perfectionner. Dès lors, cet homme est de moins en moins susceptible d’être asservi par les choses extérieures et il conquiert de plus en plus sa liberté. Il agit en étant d’accord avec lui-même car il se sait utile à lui-même en même temps qu’il est utile aux autres. Et de plus, telle est notre hypothèse, cette découverte a l’avantage de donner naissance à une conception plus perfectionnée de l’éducation au perfectionnement de la raison. Celle-ci ne sera plus seulement une méditation pour les sages. Elle sera une pratique de la compréhension rationnelle de ses affects pour l’homme conduit par la raison. Il s’agit, dans l’Éthique, de comprendre ses affects pour maintenir son esprit actif et le guérir lorsqu’il est atteint de la passivité inhérente à la condition humaine. Ainsi, l’esprit de son lecteur ne sera pas empêché de se perfectionner naturellement.

Nous allons donc soutenir que l’idée fondatrice de sa conception originale de l’éducation au perfectionnement de l’esprit dans l’Éthique est l’idée originale de l’éternité qu’il a perçue à la fin du TRE, l’idée d’une affection de son corps qu’il a reconnue comme étant l’essence de la Pensée.

Pourquoi tenons-nous à situer à la fin du TRE la découverte de l’idée originale de l’éternité fondatrice de sa conception de l’éducation au perfectionnement de la raison dans l’Éthique?

Nous voyons trois avantages à situer notre hypothèse à la fin du TRE. Le premier est de pouvoir confirmer l’efficacité de la méthode réflexive. Nous pensons en effet que la pratique la méthode réflexive ou la méditation de l’idée vraie innée qui a accompagné la rédaction du TRE a permis à Spinoza d’augmenter la puissance de son esprit et de dépasser la difficulté naturelle des hommes à concevoir l’idée de l’éternité ou de l’infinie. Ainsi, nous pensons que si Spinoza a conçu une idée de l’éternité plus perfectionnée que celle des courants classique, chrétien, juif, scolastique, c’est à cause de l’efficacité de sa méditation

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qui l’a conduit à percevoir la corrélation entre l’idée de l’éternité et la jouissance infinie de l’exister et la reconnaître comme l’idée de son corps sous le regard de l’éternité, le conatus enfin intelligible à l’homme durant la vie de son corps. Le deuxième avantage est de pouvoir suivre l’évolution de Spinoza en regard de sa conception de l’éducation de l’homme au perfectionnement de la raison, qui était autant sa priorité dans l’Éthique que dans le TRE. Le troisième est de mettre ainsi en évidence que Spinoza a élargi son auditoire du TRE à l’Éthique. Dans le TRE, il ne s’adressait qu’aux sages qui pouvaient concevoir l’idée de l’éternité alors que dans l’Éthique, il s’adresse aux hommes conduits par la raison, qui sont plus nombreux et qui ont aussi le désir suprême de connaître leur propre essence.

Selon nous, Spinoza a perçu la propriété affective de l’idée de l’éternité en même temps qu’il a perçu la propriété active de l’esprit qui enchaîne ses idées selon l’ordre de l’entendement, ou l’ordre thérapeutique de la compréhension des affects. Sa découverte a modifié sa conception du souverain bien. Par conséquent, sa découverte l’avait aussi conduit à identifier que la véritable puissance de l’esprit, son agir, était sa compréhension rationnelle. Et comme la lumière dévoile ce qui était dans l’ombre, l’impuissance ou la passivité se résumait à ne pas pouvoir enchaîner ses idées selon l’ordre de l’entendement à cause de la prégnance des idées confuses venant de l’extérieur.

Spinoza, en comprenant que la passivité était causée par les idées inadéquates et que le remède ou la puissance de l’esprit était la compréhension des choses selon l’ordre de la raison venait de dépasser Descartes qui attribuait les passions au corps et le remède à la domination de l’esprit sur le corps. Au lieu de la domination de l’esprit sur le corps, Spinoza pouvait prescrire la compréhension rationnelle de ses affects pour guérir les passions et permettre à l’esprit de poursuivre naturellement son perfectionnement. Il venait aussi de dépasser son propre TRE parce que dorénavant il voyait la limite de l’idée vraie innée de l’entendement qui n’avait pas été reliée à un affect, ni même à l’idée du corps en acte, non plus qu’à l’état d’activité de l’esprit. Le TRE était réservé aux sages, aux hommes déjà libres des passions du corps qui savent naturellement comment garder leur esprit libre et actif dans la méditation de l’idée vraie. Mais son Éthique serait réservée aux hommes conduits par la raison, plus nombreux que les sages, qui veulent, en toute autonomie, se

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libérer de la passivité des passions, augmenter consciemment leur puissance de comprendre et éventuellement parvenir au troisième genre de connaissance.

Notre hypothèse vient donc résoudre tous les paradoxes que peut soulever l’éducation à la liberté d’un homme singulier par un autre. Elle offre une pédagogie originale pour régler la difficulté des hommes à percevoir l’idée de l’éternité et pour guérir l’esprit de la passivité reliée à la condition humaine. En concevant une éducation au perfectionnement de la raison où la compréhension de ses affects est la voie pour garder son esprit actif et libre, Spinoza s’assure que son interlocuteur ne pourra pas être asservi, ni par lui, ni par personne d’autre; et si pour une raison quelconque il l’était, ce lecteur pourra rétablir l’activité de son esprit de manière autonome, par la simple compréhension rationnelle de ses affects.

Évolution de Spinoza

Nous soutenons qu’il y a eu une évolution dans la conception de l’éducation au perfectionnement de la raison du TRE à l’Éthique. En effet, nous pensons qu’au début de l’exposé de la méthode réflexive dans le TRE, Spinoza ne voit rien de supérieur à la méditation de l’idée vraie innée de l’entendement pour perfectionner l’entendement.

Cependant, lorsqu’il fut rendu au moment d’établir « quelque raison commune dont ces propriétés (de l’entendement) découlent nécessairement, c’est-à-dire, tel qu’une fois donné, ces propriétés le soient aussi, et une fois supprimée, elles le soient toutes également23 », il fut affecté de la jouissance infinie de l’exister corrélée à l’idée de

l’éternité. Il a pris conscience que le corps participait à la connaissance des vérités éternelles, qu’il y avait un rapport de correspondance entre l’idée et l’affect, que la compréhension était un acte de l’esprit. Nous pensons qu’après avoir reconnu la participation du corps à la connaissance des vérités éternelles, la correspondance entre l’idée et l’affect et la compréhension comme étant l’activité de l’esprit, Spinoza jugea son

Traité de l’Entendement complètement dépassé. Il ne voulut plus le poursuivre. En effet, le TRE ignorait la concordance de l’idée et de l’affect, de même qu’il ignorait que l’état

d’activité suprême de l’esprit. Spinoza pensait que l’idée de l’éternité était l’idée de l’être

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pur et il s’est aperçu que pour l’esprit humain, l’idée de l’éternité est l’idée de son corps en acte. Sa découverte le conduisit à évoluer. Dorénavant Spinoza devait d’admettre que l’idée vraie innée de l’entendement était plus précisément l’idée éternelle d’une affection du corps en acte, le conatus, et que sa compréhension selon l’ordre de la raison était le désir suprême de l’esprit. Il était donc prêt dans l’Éthique à proposer une nouvelle conception de l’éducation au perfectionnement de la raison et une nouvelle pédagogie de l’idée de l’éternité. Il voulait contribuer à ce que d’autres hommes profitent de tous les avantages, en particulier de la béatitude, qui suit de la conception adéquate de cette idée.

Cependant, Spinoza était conscient que même en s’aidant de la méthode géométrique, démontrer les tenants et les aboutissants d’une idée de l’éternité représentait un défi pédagogique énorme. Dans sa lettre XII à Louis Meyer, Spinoza lui parle de la difficulté qu’ont les hommes à comprendre l’idée de l’infini. « Le problème de l’Infini a toujours semblé le plus difficile qui soit, et on l’a même cru insoluble (…)24. »

Nous pensons qu’il trouva la solution à la difficulté des hommes de concevoir clairement l’idée de l’éternité lorsqu’il réalisa qu’elle était corrélée à un affect, que la compréhension de ses affects en soi était l’activité de l’esprit, en même temps que son remède à la passivité, et même que les affects étaient supérieurs aux idées pour faire progresser la puissance intellectuelle. Comme tout le monde peut concevoir clairement ses affects, il décida de passer par la compréhension des affects pour conduire l’esprit à augmenter son activité. Ainsi, l’originalité de Spinoza est d’avoir conçu l’idée de l’éternité en soi comme étant le conatus et l’action de perfectionnement de l’esprit, son agir ou son remède naturel à la passivité comme étant la compréhension de ses affects selon l’ordre de l’entendement.

Sa découverte à la fin du TRE ne changea pas sa priorité. Spinoza veut toujours perfectionner l’entendement, mais seulement, il voit une autre façon de le faire. C’est pour cela qu’il laisse le TRE inachevé. Spinoza va changer sa conception de l’éducation du TRE à l’Éthique : non plus conduire à réfléchir à l’idée vraie innée de l’entendement mais conduire à comprendre ses affects pour favoriser l’activité de son esprit. Il change aussi d’objet d’éducation, non plus l’idée vraie innée de l’entendement qui était désincarnée,

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plutôt, le conatus appliqué au corps et à l’esprit en acte, en tant qu’il explique le désir et les affects. Enfin, il va changer sa méthode, non plus la méthode réflexive, plutôt la méthode de la démonstration géométrique qui a l’avantage d’avoir un vocabulaire dépassionné et de suivre l’ordre rationnel.

Spinoza va ainsi élaborer une éthique de la modération des affects qui est, en même temps, une pratique quotidienne du maintien de l’esprit actif, de la compréhension de son effort variable. Or, rien de plus utile à l’homme que cette pratique de la compréhension de ses propres affects car elle est à la fois le remède à la passivité de l’esprit, la voie à suivre pour parvenir au troisième genre de connaissance, l’objet du désir suprême de l’esprit, la mesure de l’utile propre et le critère de la morale.

L’utilité de l’Éthique de Spinoza pour l’éducation contemporaine

Selon nous, la découverte de la corrélation entre l’idée de l’éternité et la jouissance infinie de l’exister, de même que l’établissement de la compréhension en tant qu’elle est l’agir de l’esprit, a permis à Spinoza de concevoir plusieurs idées utiles pour l’avancement de la recherche en éducation. Nous en nommons quelques-unes. 1. Sa conception originale de l’homme, en tant qu’il possède une essence et que la véritable puissance de l’esprit, son désir, son action et sa liberté est de la comprendre en soi. 2. Sa conception de l’esprit, en tant que nous possédons deux principaux modes de penser, l’un pour percevoir les choses infinies et éternelles, l’autre, les choses finies et éphémères. 3. Sa conception de la compréhension rationnelle des affects en tant qu’elle est l’activité de l’esprit et le remède à sa passivité; c’est-à-dire, ce qui favorise ou contrarie la puissance de comprendre. 4. Sa compréhension de la force supérieure de l’affect sur l’idée vraie pour produire un changement d’affect, c’est-à-dire, opérer la transition de l’esprit actif à l’esprit passif et vice-versa. Et cela, pour au moins trois raisons. A. « La connaissance vraie du bon et du mauvais ne peut, en tant que vraie, contrarier aucun affect; elle ne le peut qu’en tant qu’elle est considérée comme un affect25. » B. Il appartient à l’homme de percevoir ses affects

plus clairement que ses idées vraies; « chacun a le pouvoir de se comprendre, soi-même et ses affects, clairement et distinctement, sinon absolument, du moins, en partie, et par

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conséquent de faire qu’il soit moins passif dans ces affects26. » C. Les idées des affections

de son corps en acte sont le seul moyen de connaissance de l’esprit. D’où nous pouvons déduire que la connaissance est affective ou elle n’est pas.

Nous concevons les idées concernant le perfectionnement de la raison en parfait accord avec l’éducation telle que l’a définie Rabenort. Nous pensons que Spinoza lui-même a vu plusieurs avantages à éduquer l’homme à la compréhension de son idée de l’éternité, en tant qu’elle est son conatus, sa force d’exister qui le relie à l’ordre de la nature totale, force d’exister qui varie dans la rencontre des conatus.

Le premier avantage d’éduquer l’homme à la connaissance de son conatus était de l’éduquer à la cause de son désir, de sa nature et de la puissance de son propre esprit, c’est à dire d’élargir la perspective de la conscience. Le deuxième avantage était de l’éduquer à comprendre la variation de sa puissance d’exister en comprenant ses affects, ce qui était en soi un remède à la passivité de l’esprit. Le troisième, était de pouvoir reconnaître que l’esprit avait un désir spécifique qu’il était déterminé à satisfaire: se comprendre soi-même, Dieu et toutes les choses qui tombent sous son intelligence27. Le quatrième était de

conduire son lecteur à prendre conscience de la valeur rationnelle de la connaissance immanente de Dieu en lui pour l’aider à persévérer dans l’existence. Le cinquième était de reconnaître que la compréhension rationnelle de ses affects était un agir et un remède naturel pour le progrès de l’esprit. En effet, « chacun a le pouvoir de se comprendre, soi-même et ses affects, clairement et distinctement, sinon, du moins en partie, et faire qu’il soit moins passif dans ses affects28 ». À l’inverse, chacun n’a pas le pouvoir de discerner le

degré de vérité dans les idées, surtout lorsque les idées n’affectent pas son corps. Le sixième, était qu’il ouvrait la voie à une pédagogie innovante de l’idée de l’éternité où la difficulté des hommes serait résolue par la découverte que le conatus est le principe du perfectionnement de l’esprit. Le septième était que l’idée de l’éternité conçue selon la raison était une notion commune plus facile à saisir qu’une idée vraie quelconque. Elle pouvait être démontrée selon une méthode rationnelle et être vérifiée dans la vie pratique. Le huitième était qu’en reconnaissant que l’activité de l’esprit était la compréhension

26 E 5P4.

27 E 4 App. Chap. 4. 28 E 5P4.

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rationnelle, il était facile de voir que la cause de la passivité était les idées inadéquates et non les pulsions du corps. Comme nous l’avons dit, Spinoza dépassait Descartes et son

Traité des Passions. Le neuvième, était l’autonomie de perfectionnement que pouvait

acquérir l’homme qui sait se guérir tout seul de la passivité de son esprit. Le dixième, qui résume tous les autres, était que Spinoza pouvait proposer une éthique de la modération des désirs sur le principe du perfectionnement de la puissance intellectuelle et de l’augmentation de la force d’âme du citoyen, ce qui par conséquent, était utile à l’augmentation de la puissance de l’État.

Règlement des paradoxes soulevés par la problématique

Nous pensons que sa conception de l’éducation au perfectionnement de l’esprit dans l’Éthique, fondée sur l’idée que l’idée de l’éternité corrélée à la jouissance infinie de l’exister, ou le conatus, est le principe du perfectionnement de la compréhension intellectuelle; le conatus en tant qu’il explique la cause du désir, augmente le champ de conscience de l’esprit, et se révèle un remède naturel à la passivité de l’esprit, qui règle tous les paradoxes soulevés par notre problématique.

En effet, Spinoza a réglé le problème de l’homme ambitieux et influençable en s’adressant uniquement aux hommes conduits par la raison et en avertissant les autres de passer leur chemin. Spinoza, comme nous le verrons lorsque nous étudierons son refus d’une chaire de professeur à l’Université de Heidelberg, a préféré la tranquillité à la gloire. Il n’aimait pas les polémiques des hommes passionnés. Il n’a pas hésité à interrompre sa correspondance avec Blyenbergh lorsqu’il a découvert que ce dernier concevait les choses selon le premier genre de connaissance. Spinoza veut s’adresser à des hommes qui pourront voir l’utilité de sa science. Il ne veut pas s’adresser aux hommes qui placent l’Écriture au-dessus de la raison, croient au diable et aux miracles, pensent plus à disputer qu’à comprendre.

Ensuite, Spinoza règle les limites de la connaissance transmise de l’extérieur en proposant d’étudier une idée de l’éternité immanente à l’esprit uni au corps humain qui est l’effort pour persévérer dans l’existence, l’idée de l’éternité du corps vivant. Il traite ainsi d’une idée de l’éternité qui est à la fois singulière à chaque corps et universelle à l’espèce

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humaine. D’où la définition de ce qu’est une notion commune qui est nécessairement une idée adéquate à tous les esprits. Il traite de cette idée selon la méthode la plus rationnelle à l’époque, la méthode de la mathématique, l’ordo geometricus qui consiste à partir de la cause pour expliquer les effets. En misant sur la perception d’une connaissance intrinsèque et affective, qui est la puissance intérieure de l’homme, Spinoza a réduit les désavantages de la connaissance venant de l’extérieur. De plus, cette connaissance intrinsèque est une notion commune, c’est-à-dire une idée qui ne peut se concevoir adéquatement qu’en concevant l’idée de son corps dans un ensemble, en se concevant comme une idée parmi une infinité d’autres.

(…) toutes les fois que de l’intérieur –c’est-à-dire toutes les fois qu’il (l’esprit) considère plusieurs choses ensemble–, il est déterminé à comprendre leurs convenances (convenientias), leurs différences, leur oppositions. Toutes les fois en effet qu’il est disposé de telle ou telle manière, alors il considère les choses simplement et clairement, comme je le montrerai plus bas29.

Il règle aussi le paradoxe de l’autonomie de la vérité en venant, comme éducateur externe, favoriser le perfectionnement autonome de l’homme. Ce qu’il fait en le comblant d’une idée dont il était privé et qui était nécessaire à l’augmentation de son champ de conscience et en concevant une pédagogie de l’idée de l’éternité selon la raison.

Premièrement, il pallie à la privation de la cause initiale du désir en dévoilant que le

conatus, notre force intrinsèque d’exister, est la cause de notre désir. Spinoza a expliqué

dans l’appendice de la première partie de l’Éthique que cette privation était due la limite naturelle de la conscience native. Selon lui, l’ignorance native des hommes concernant la cause initiale du désir a maintenu leur conscience dans une perspective étroite. La conscience ignorante ne peut concevoir que les causes finales et non la cause initiale. Ce qui a donné naissance à la doctrine finaliste qui a conduit les hommes à confondre les causes et à enchaîner la nature à l’envers. D’après Spinoza, il est dans la nature de l’homme de faire les choses en vue d’une fin, de juger les choses d’après son propre

ingenium, de s’illusionner. Un éducateur extérieur est donc nécessaire pour pallier à cette

ignorance native et lever la limite naturelle de la conscience, c’est-à-dire, pour instruire

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l’homme de la cause initiale de son désir30. Spinoza nous comble ici de la privation de

l’idée de la cause initiale du désir qui était un obstacle au perfectionnement de la raison depuis très longtemps. Cet obstacle levé, la vérité pourra se faire connaître plus facilement. Deuxièmement, sa pédagogie de l’idée de l’éternité accordée à la joie de l’exister aplanit non seulement la difficulté de concevoir l’idée de l’éternité mais aussi la difficulté de comprendre par soi-même l’ingrédient actif dans les remèdes naturels aux affects passifs. Et cela, même après avoir fait l’expérience de la guérison. Spinoza comble cette limite en écrivant l’Éthique.

Donc, puisque la puissance de l’esprit, ainsi que le j’ai montré plus haut, se définit par la seule intelligence, les remèdes aux affects, dont tout le monde a en réalité l’expérience, mais qu’on ne paraît pas, il me semble, observer avec soin ni voir avec discernement, la seule connaissance de l’esprit nous permettra de les déterminer, et d’en déduire tout ce qui concerne sa béatitude31.

De plus, comme nous l’avons dit, il résout la difficulté qu’ont les hommes de concevoir l’idée de l’éternité selon la raison de manière très originale. Au lieu de concevoir l’idée de l’éternité comme une connaissance, il la conçoit comme étant l’effort d’exister dont la puissance est variable selon l’état, actif ou passif, de l’esprit.

Enfin, Spinoza règle le paradoxe de la liberté en recadrant la définition de l’homme libre et de l’esclave. L’homme libre est celui qui est libre d’obéir aux lois de sa propre nature et aux lois civiles en étant conscient de l’utilité de son obéissance pour lui-même et de sa force d’âme pour le bien de tous car il n’en est pas empêché par des affects passifs.

Notre hypothèse contredit donc l’hypothèse de Deleuze qui attribuait l’inachèvement du TRE à la découverte des notions communes. Selon Deleuze, cette découverte entraînait la modification du stade intermédiaire dans sa théorie de la connaissance. Spinoza ne voulant pas revenir en arrière, car il avait déjà écrit sa théorie, aurait préféré laisser le Traité

de la Réforme de l’Entendement inachevé et plutôt corriger sa théorie de la connaissance

dans l’Éthique.

30 E 1 Appendice. 31 E 5Préface.

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Selon nous, l’inachèvement du TRE est dû à la découverte d’une idée très perfectionnée de l’éternité, le conatus, en tant qu’il est l’effort de persévérer de son corps et le principe du perfectionnement intellectuel de l’être uni à un corps vivant. Le conatus intelligible était donc un meilleur objet d’éducation pour perfectionner la raison que l’idée vraie du TRE qui n’avait pas d’objet précis. Du coup, Spinoza vit que son TRE était dépassé et il l’a laissé inachevé.

Notre thèse entend vérifier notre hypothèse. À la fin nous pourrons répondre à la question : l’originalité de la conception de l’éducation au perfectionnement de la raison de Spinoza, et tout ce qui en suit, sa conception de l’objet d’éducation, de l’éducateur, de sa méthode et sa pédagogie, de l’acte d’éduquer, repose-t-elle bien sur la découverte que son esprit a opérée à la fin du TRE, c’est-à-dire, sur la découverte de la corrélation entre l’idée et l’affect en même temps que la reconnaissance que l’action ou le désir suprême de l’esprit est la connaissance en soi de sa propre essence?

Quelle méthode sera pertinente pour faire cette vérification?

Comme nous voulons connaître à fond la pensée de Spinoza, nous allons utiliser la méthode historico-critique. Walter Vogels nous dit, dans son article intitulé « Les limites de la méthode historico-critique », publié dans Laval Théologique et Philosophique en 1980 : « La méthode historico-critique cherche à reconstruire d’une façon critique le contexte historique dans lequel les textes bibliques ont pris leur origine. On veut découvrir le sens d’un texte, le sens que ce texte avait pour la communauté à qui il était destiné. » L’auteur ajoute que cette méthode fait appel non seulement à l’histoire mais à la géographie, l’archéologie, la linguistique, la sémantique. Pour notre part, nous l’appliquerons à l’œuvre de Spinoza et chercherons à acquérir la meilleure compréhension de son vocabulaire en comprenant les différents contextes où, dans son œuvre, apparaissent les mots relatifs à l’éducation, au perfectionnement de la raison, à l’entendement, à la conduite de l’homme à vivre selon la raison, à l’obéissance à la loi et à la liberté.

Nous utiliserons aussi la méthode synthétique en intégrant les travaux des philosophes/chercheurs et commentateurs de Spinoza dont nous avons cité les noms au début de cette introduction.

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Voici notre plan :

Notre chapitre 1 servira à réfuter l’hypothèse de Deleuze concernant l’inachèvement du TRE et à poser notre propre hypothèse de l’inachèvement du TRE qui est aussi l’hypothèse de l’origine de l’évolution de la conception de l’éducation chez Spinoza. Nous dirons que l’idée fondatrice de la conception originale de l’éducation au perfectionnement de l’esprit dans l’Éthique, a été la découverte d’une idée originale de l’éternité corrélée avec la jouissance infinie de l’exister (l’idée du corps selon le regard de l’éternité) et aussitôt le TRE fut dépassé. Nous nous aiderons alors des recherches de Jaquet pour spécifier l’originalité de l’idée de l’éternité de Spinoza en la comparant à celle du courant classique, c’est-à-dire, Platon et Aristote ainsi qu’à celles des Chrétiens, de Maïmonide, et de St-Thomas D’Aquin.

Le chapitre 2 s’intéressera à l’évolution de son objet d’éducation. En effet, selon notre hypothèse, Spinoza a associé son idée originale de l’éternité au conatus pour régler la difficulté qu’ont les hommes de concevoir l’éternité. Il l’a ainsi modifié pour l’instituer comme essence de l’homme et cause du désir. Ce qui va entraîner l’évolution des concepts relatifs au désir et aux affects, à l’entendement et à la compréhension, à l’activité et à la passivité. Nous suivrons ces modifications de manière à bien voir comment le conatus s’est enrichi pour parvenir à signifier l’essence intelligible de l’esprit humain, en même temps que l’esprit gagnait en puissance d’activité. Nous verrons alors que les modifications du

conatus suivent fidèlement la voie du perfectionnement de l’esprit humain.

Dans le chapitre 3 nous ferons voir les avantages que nous concevons d’une conception de l’éducation à la nature, à l’essence ou au désir de l’esprit. Nous parlerons de l’obstacle qu’a constitué l’idée de Locke, qui pensait que l’esprit de l’enfant était une

tabula rasa. Nous nous aiderons des travaux de Rabenort, Misrahi et Ravven pour faire

voir d’autres avantages de donner une éducation à son essence. À la fin, nous ferons la synthèse des avantages que devrait comprendre une éducation au désir pour être fidèle à la philosophie de Spinoza.

Dans le chapitre 4 nous préciserons sa conception de l’éducateur et du sujet à éduquer. Nous tracerons le portrait de l’éducateur conduit par la raison, principalement

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présent dans la quatrième partie de l’Éthique, et le portrait de l’éducateur conduit par la passion que nous tirerons de sa critique des Prédicants. Nous ferons aussi le portrait du lecteur à qui il pensait être utile. Nous nous aiderons principalement de Delbos, Misrahi, Sévérac et Bove.

Dans le chapitre 5, nous approfondirons le sens de l’acte d’éduquer chez Spinoza. Nous approfondirons son désir de parfaire la raison ou guérir l’entendement. Comme l’acte de parfaire est de conduire à la connaissance de Dieu et de ses attributs à l’aide des notions communes, nous retrouverons Deleuze pour discuter avec lui à savoir si l’idée de Dieu est une notion commune. Nous préciserons ce que veut dire guérir l’entendement. Nous en profiterons alors pour dégager sa conception de la santé mentale selon Spinoza. Nous présenterons trois moyens pédagogiques de Spinoza pour aider à guérir l’esprit passif et nous aider à intégrer certaines notions qui peuvent paraître nouvelles, par exemple, le monisme. Nous remarquerons que Hansson, Aloni, ont l’utilité de ces remèdes pédagogiques pour la société.

Le chapitre 6 fera l’analyse des méthodes privilégiées par Spinoza pour exposer ses idées, par exemple, le récit, la méthode réflexive, la méthode géométrique et la méthode historico-critique. Nous utiliserons les travaux de Lagrée, Deleuze, Macherey, Misrahi et Zourabichvili pour mieux comprendre comment la méthode d’exposition de la pensée de Spinoza participe elle-même au perfectionnement de l’esprit du lecteur.

Dans le chapitre 7, nous relirons le TTP sous l’angle de l’évolution de la façon d’éduquer l’homme à modérer son désir et à obéir aux lois civiles. Nous montrerons qu’avant la lettre, l’idée du conatus fut le premier objet d’éducation utilisé pour conduire l’homme à modérer ses désirs et à obéir aux lois. Nous retracerons l’évolution de cette idée dans le TTP que nous présenterons dans un tableau dans l’annexe 1. Ce qui nous donnera l’occasion de voir trois genres d’éducation à la modération du désir et à l’obéissance aux lois selon deux genres de connaissance. Nous ferons intervenir Deuleuze, Puolitmatka, Aloni. Nous prendrons le temps de discuter de la persistance de l’imagination dans l’éducation avec Syliane Malinowski-Charles et Pierre-François Moreau.

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CHAPITRE 1

L’IDÉE FONDATRICE DE

SA CONCEPTION ORIGINALE DE L’ÉDUCATION

Comme nous supposons que la conception originale de l’éducation au perfectionnement de la raison dans l’Éthique repose sur la découverte d’une idée originale et très perfectionnée de l’éternité perçue à la fin du TRE, nous présenterons notre hypothèse en deux temps.

D’abord, nous réfuterons l’hypothèse de Deleuze concernant l’inachèvement du TRE. Selon Deleuze, Spinoza avait découvert les notions communes et ne voulait pas retravailler sa théorie des genres de connaissances parce qu’il l’avait déjà écrite. Nous montrerons que l’enchaînement des idées de Spinoza ne le conduisait pas, à la fin du TRE, à la découverte des notions communes.

Ensuite, nous poserons notre propre hypothèse concernant l’inachèvement du TRE. Selon nous, Spinoza a découvert une idée très perfectionnée de l’éternité à la fin du TRE, car elle l’a affecté de la jouissance infinie de l’exister. Il a donc découvert le rapport de concordance entre les idées et les affects. Comme il était affecté par la joie de sa découverte, il a reconnu que la compréhension était un agir et non un pâtir. Son idée très perfectionnée de l’éternité confirme, selon nous, la fonction d’auto-perfectionnement qu’il avait reconnue à l’idée vraie de l’entendement et l’efficacité de la méthode réflexive qu’il a pratiquée durant la rédaction du TRE. Selon nous, la découverte du rapport de concordance entre l’idée de l’éternité et la jouissance de l’exister a bouleversé sa conception des idées, des affects, de l’action, de l’entendement. Elle a eu un effet très puissant sur l’esprit de Spinoza et nous pensons qu’elle a provoqué trois changements importants chez Spinoza : l’inachèvement du TRE, une conception nouvelle de l’éducation au perfectionnement de la raison, que nous pouvons voir dans l’Éthique, et la guérison de la passivité qu’il subissait à cause de sa crainte d’être désigné comme étant un athée par les Théologiens de son temps.

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En la comparant à celles de Platon et d’Aristote, des Chrétiens et de Maïmonide et enfin de Saint-Thomas D’Aquin, nous ferons ressortir l’originalité de l’idée de l’éternité de Spinoza et ses propriétés multiples; par exemple, elle est donnée de naissance, est libre du générique, de la durée, est applicable au corps et l’esprit vivant, est intelligible par nature à l’esprit humain puissant et sa compréhension est la béatitude.

1.1 L’hypothèse de Deleuze concernant l’inachèvement du TRE

Plusieurs raisons ont été invoquées par les commentateurs (Alquié, Appuhn, Deleuze) pour expliquer l’inachèvement du TRE car il était clair que Spinoza tenait, avec la méthode réflexive ou la méditation de l’idée vraie innée, une façon très acceptable d’exercer l’esprit à enchaîner les idées selon l’ordre du bon raisonnement. « Spinoza s’arrête avant même d’avoir achevé l’analyse qu’il a reconnu indispensable et qui n’était que le premier moment de la recherche entreprise32. » Nous rappellerons ici l’hypothèse de Deleuze et la

commenterons. Deleuze nous donnera l’occasion de préciser l’originalité des notions communes chez Spinoza, sa fonction pédagogique dans l’Éthique, son origine, son rapport avec l’idée de Dieu.

Deleuze pensait que l’inachèvement du TRE était dû à la découverte des notions communes, découverte qu’il situait vers les derniers paragraphes. « Nous supposons qu’il n’eut le pressentiment des notions communes qu’en avançant dans la rédaction du Traité de

la réforme33 ». Il s’accorde avec Alquié pour reconnaître l’importance des notions

communes dans la philosophie de Spinoza. « L’introduction des notions communes dans l’Éthique marque un moment décisif dans le spinozisme34». Selon Deleuze, en découvrant

les notions communes, Spinoza a compris que l’esprit humain percevait les propriétés des choses avant de percevoir les essences. Sa compréhension nouvelle de la façon de connaître de l’esprit aurait alors placé Spinoza devant la nécessité de corriger sa théorie des modes de connaissance. « D’où, les choses fixes et éternelles faisant fonction d’universaux ne trouvaient de place qu’au niveau du mode ou du genre suprême35. » Spinoza ne pouvait

plus réserver la perception des vérités éternelles uniquement pour le mode supérieur car il

32 C. APPUHN, Notice du TRE, GF Flammarion, Paris, 2006, (première édition 1964), p. 171. 33 G. DELEUZE, Spinoza et le problème de l’expression, Paris, éditions de Minuit, 1968. p. 273. 34 Ibid., p. 272.

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