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Le désir de la joie éternelle

CHAPITRE 5 L’ACTE D’ÉDUQUER (parfaire la raison, guérir l’entendement)

5.4 Remèdes ou moyens pédagogiques dans l’œuvre de Spinoza

5.4.3 Le désir de la joie éternelle

L’idée du remède est présente dans l’introduction du TRE. L’auteur trouvait alors le remède in extremis : « Je me voyais en effet dans un péril extrême, et contraint de toutes mes forces de chercher un remède, même incertain. De même qu’un malade mortellement atteint et qui sent venir une mort certaine s’il n’applique un remède, est contraint de le rechercher de toutes ses forces, si incertain soit-il, car il place tout son espoir en lui294. »

Nous pensons qu’à l’égal du corps qui a besoin de respirer l’air et de boire de l’eau pour survivre, l’esprit a besoin de former des idées qui s’accordent avec quelques choses de la jouissance infinie de l’exister. Ce que Spinoza a trouvé quand il réfléchit à fond, c’est-à- dire, quand il a considéré son conatus ou sa force d’exister comme étant l’idée de l’éternité à la source de toutes ses actions295 ». Sa réflexion eut sur lui l’effet d’une grande

consolation. « Mais je ne voyais qu’une chose : tant que mon esprit était préoccupé de ces pensées, il se détournait des faux biens, et pensait sérieusement à son nouveau projet. Ce qui fut une grande consolation. Car je voyais que ces maux ne sont pas de telle nature qu’ils ne dussent céder à aucun remède296. » Misrahi pense que le désir d’une joie éternelle est au

début de la guérison. « Toutes ces passions sont des actes de tristesse en ce sens qu’elles expriment une réduction, une diminution de la puissance de vivre (vim existendi) et c’est le désir de la joie, de la joie active et véritable qui sera le moteur de la libération297. » Lacroix

emprunte le même vocabulaire. « C’est l’amour de la béatitude qui a été le moteur de l’itinéraire de Spinoza. Par-là se manifeste l’importance et la spécificité du désir298. » Ces

commentateurs pointent le désir de la joie éternelle comme étant un moyen particulièrement efficace pour faire progresser l’esprit humain d’un état passif à un état actif. Il faut dire que la joie a beaucoup de puissance sur l’esprit, pour le guérir et pour le faire passer à une plus

294 TRE, par. 7.

295 J. LACROIX, op.cit., p. 81. 296 TRE, par. 11.

297 R. MISRAHI, « 12. Déterminisme et liberté dans la philosophie de Spinoza », in Paul Bourgine et al.,

Déterminismes et complexités & nbsp :du physique à l’éthique. Distribution électronique Cairm.info pour La Découverte « Recherches » 2008, p. 215-225, p. 222.

grande perfection. Et bien sûr, c’est la joie éternelle qui est la plus puissante pour l’esprit car la joie éphémère le trouble, le déstabilise et le rend passif.

En conclusion, Spinoza nous propose des moyens pédagogiques qui sont aussi des remèdes pour favoriser la compréhension de sa philosophie et maintenir son esprit actif. Premièrement, pour guérir la passivité que génère la pensée que le monde est absurde, il est nécessaire de se penser à son échelle dans un univers infini. Il donne à Oldenburg l’exemple du ver dans le sang dont les commentateurs feront le système moniste qu’ils comprendront comme le système de la totalité. Deuxièmement pour guérir de la passivité de l’esprit causée par les affects passifs inhérents aux aléas de la condition humaine, il suffit d’appliquer les cinq remèdes aux affects donnés dans la cinquième partie de l’Éthique est dont l’essentiel est de comprendre ses affects selon la raison. Enfin pour guérir de la déception des biens éphémères ou de la vanité du monde, rien de tel que de rechercher de toutes ses forces l’idée d’une joie sans mélange, d’une joie éternel. D’ailleurs, comme nous l’avons dit, la joie est un affect qui a une réelle puissance pédagogique dans le progrès de l’esprit.

Conclusion

Aussi, l’acte d’éduquer, en tant que Spinoza le définit comme étant parfaire la raison et guérir la passivité de l’esprit est l’acte de conduire un homme à la connaissance vraie de son idée adéquate de Dieu en disposant son esprit de sorte qu’il puisse se concevoir dans un ensemble, être libre de la passivité qu’induit la condition humaine et rechercher de toutes ses forces une joie éternelle. Ce qui est exactement ce que fait l’auteur du prologue du

TRE.

Éduquer, quelle que soit la locution employée, est l’acte de partage d’une joie avec un autre être humain qui peut lui-aussi concevoir le système moniste, l’activité libre de l’esprit qu’est la compréhension en soi, et en quoi consiste la véritable puissance de l’esprit humain qui peut concevoir de plus en plus clairement l’idée de Dieu qui compose sa propre essence.

Nous avons tenu à souligner que l’idée de Dieu à laquelle nous instruit Spinoza est nécessairement une notion commune. Ce qui nous a conduits à une discussion avec

Deleuze qui, de son côté, ne comprend pas l’idée de Dieu comme étant une notion commune. De notre côté, nous avons revendiqué le statut de notion communes pour l’idée de Dieu en arguant une équivalence parfaite pour l’esprit entre l’idée de Dieu et l’idée de l’éternité qui l’explique, le fait que l’esprit humain ne dispose que d’un seul mode de penser les choses infinis et enfin l’universalité de l’idée de Dieu comme objet universel d’éducation au moment de la formation des peuples.

L’évolution dans la manière d’éduquer qui s’est produite du TRE à l’Éthique nous a permis de déduire que Spinoza a jugé que la meilleure façon de parfaire la raison était de conduire l’homme à guérir lui-même la passivité des affects. Éduquer un homme consiste donc à l’aider à comprendre ses affects selon la raison. C’est la façon automatique pour maintenir son esprit actif de sorte qu’il puisse se perfectionner selon sa détermination, c’est-à-dire, percevoir clairement l’idée de l’éternité qui constitue sa propre essence. Il nous donne des moyens ou des remèdes pédagogiques pour favoriser la progression de sa puissance intellectuelle, entre autres, comme il l’explique à Oldenburg, concevoir toutes les choses selon l’exemple du ver dans le sang, puis, comme dans l’Éthique, en appliquant les cinq remèdes aux affects passifs et enfin comme dans le TRE, en recherchant intensément une joie éternelle pour se guérir de la misère des biens éphémères.