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La méthode historico-critique dans le TTP

CHAPITRE 6 MÉTHODES D'EXPOSITION DE SA PENSÉE

6.5 La méthode historico-critique dans le TTP

La méthode historico-critique est née du désir de Spinoza de remédier aux affects passifs que produisait l’enseignement de la religion par des Prédicants, entre autres : l’intolérance et la haine des uns envers les autres et le mépris de la raison. Le nœud du problème qu’identifie Spinoza serait plutôt, selon Sylvain Zac, « que leur façon de lire l’Écriture est mauvaise et pernicieuse. D’où la nécessité d’une nouvelle méthode pour interpréter les livres saints332 ». Mais outre le danger pour la paix sociale que représentaient

des éducateurs conduits par la passion, Spinoza ne pouvait pas supporter que la théologie dénigre la raison, « cette véritable charte divine », et menace la philosophie. Sa solution sera de démontrer, en passant l’Écriture au tamis de la méthode historico-critique, que « l’Écriture recommande absolument la lumière naturelle et la loi divine naturelle333 ».

La méthode historico-critique que Spinoza invente est basée sur la connaissance de tous les éléments qui participent à la rédaction d’un texte : la langue et ses ambiguïtés dans le texte, l’histoire de l’auteur, les circonstances de la rédaction de son livre, le caractère particulier des personnes à qui le livre s’adresse, l’époque de publication334. Cette méthode a été utile

pour interpréter l’Écriture mais aussi son utilisation s’est étendue à toutes sortes d’œuvres littéraires. Sa valeur a été reconnue par la culture en général. La littérature l’a adoptée et elle est universellement employée pour toutes les études de textes. « The method is applied to the Bible, but may be adapted mutatus mutandis, to any literary work »335.

331 ZOURABICHVILI, op.cit., p. 9.

332 Sylvain, ZAC, Principe de l’interprétation de l’Écriture, op. cit., p. 10. 333 TTP, chap. 4, p. 97.

334Ibid.

Cette méthode a le mérite de disposer l’esprit à être actif à l’égard du texte. Celui-ci est replacé dans le contexte de l’histoire politique et épistémologique où il a été écrit, ce qui est nécessaire pour comprendre ce que les auteurs ont réellement voulu dire. Spinoza a reconnu que même les mots ont une histoire et que leur signification évolue selon les époques. La particularité de cette méthode est de comprendre le sens du texte d’après la connaissance que nous avons de son histoire. On peut dire que la méthode historico-critique fait participer la lumière naturelle à la lecture de l’Écriture. « La nature et la vertu de cette lumière consistent en ce qu’elle déduit et conclut par voie de légitime conséquence les choses obscures de celles qui sont connues ou de celles qui sont données comme connues; notre méthode n’exige rien d’autre336. » Et comme le chercheur enchaîne ses idées selon

l’ordre de l’entendement, il s’épargne de se laisser affecter par les mots et les histoires qui avaient pour but d’impressionner les Hébreux du temps de Moïse. Cette méthode permet donc de se libérer de la passivité attachée aux histoires de l’Écriture et de ne garder que le message essentiel.

De même, que, dans l’étude des choses naturelles, il faut s’attacher avant tout à la découverte des choses les plus universelles et qui sont communes à la nature entière (…); de même dans l’histoire de l’Écriture nous chercherons tout d’abord ce qui est le plus universel, ce qui est la base et le fondement de toute l’Écriture, ce qui enfin est recommandé par tous les Prophètes comme une doctrine éternelle et de la plus haute utilité pour tous les hommes.337

Nous n’en dirons donc pas plus sur la méthode historico-critique sinon que nous la concevons comme une adaptation de la méthode réflexive exposée dans le TRE. La méthode réflexive s’applique à trouver l’idée essentielle de l’entendement, alors que la méthode historico-critique fait de même à l’égard de l’Écriture. Dans les deux méthodes, il s’agit de discerner l’idée vraie des idées fausses, fictives ou douteuses, de diriger l’esprit vers une idée corrélée avec l’affect de la plus grande certitude.

Conclusion

On peut dire que la méthode réflexive ou la méditation de l’idée vraie innée à l’entendement est la mère des deux autres méthodes, géométrique et historico-critique, qu’utilise Spinoza pour exposer ses idées. On peut dire que ses méthodes sont toutes

336 TTP, chap. 7, p. 153. 337 TTP, chap. 7, p. 143.

génétiques au sens où elles engagent l’esprit dans un retour l’idée à l’origine de sa propre essence : l’idée vraie innée de l’entendement, la cause initiale, la loi divine, l’origine du pacte social, la jouissance infinie de l’exister ou la béatitude. Elles ont toutes le même objet de recherche : l’idée de la source de leur nature, le même but perfectionner la raison selon les mêmes conditions, en disposant l’esprit de l’intérieur de manière à ce qu’il opère plusieurs liaisons et puisse discerner avec certitude l’idée de sa propre essence. Elles exercent toutes l’esprit de son lecteur aux opérations cognitives suivantes :

1. La réflexion ou la méditation en soi de l’idée à la source de la nature, de l’idée de l’entendement en tant qu’elle est un instrument d’auto perfectionnement des idées ayant pour but de produire des œuvres de plus en plus puissantes.

2. La recherche historico-critique de l’idée à la source de l’Écriture, en tant qu’elle est conçue comme un instrument ayant pour but d’augmenter la cohésion sociale et la puissance de l’État.

3. L’ordonnance des idées à partir cette idée, en tant qu’elle est l’essence, l’origine, la cause, l’idée la plus constante en soi, afin de bien mener le raisonnement.

4. Le discernement entre les idées de l’imagination et celles de l’intellection par rapport aux effets, passif ou actif, que produisent ces idées sur l’esprit, surtout lorsqu’il est affecté par les affects tenaces que sont les joies passives.