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L’éducation au désir selon Rabenort

CHAPITRE 3 AVANTAGES D’UNE ÉDUCATION AU DÉSIR

3.3 L’éducation au désir selon Rabenort

Heureusement, l’évolution de la connaissance et de la civilisation au cours des siècles suivants a permis l’augmentation des idées adéquates et du nombre d’hommes conduits par la raison.

Au début du XXe siècle, aux États-Unis et plus précisément, à l’Université de

Columbia, William Louis Rabenort présente sa thèse de doctorat qui a pour titre Spinoza

as Educator (1911)164 . Il se donne pour tâche de construire la théorie de l’éducation

qu’implique la philosophie de Spinoza. Il explique le retard que nous avons à reconnaître la découverte de Spinoza par son extrême brillance qui remplacerait la lumière pâlotte de la révélation si les hommes n’avaient pas tant de difficulté à ouvrir les yeux. « Spinoza had found the way to God by the light of reason, but its direct rays were too bright for most men; they had to let the reflected light of revelation guide them165. » Il faut dire que

Spinoza a été étiqueté de panthéiste et cela même s’il avait pris soin de différencier Dieu et les choses. Rabenort invite les étudiants à dépasser cette étiquette et à considérer la philosophie de Spinoza comme étant une philosophie de la nature166.

164 W. L. RABENORT, op. cit., p. 17. 165 Rabenort, Ibid.

Selon Rabenort, la découverte que l’homme a une essence est la plus grande contribution de Spinoza à l’éducation parce qu’elle nous permet de comprendre la nature de l’homme. Ce qui est très utile pour savoir ce qu’on peut attendre de lui. « The fact that man’s essence is at once what makes him rational and what makes him put every effort for physical as well as mental supremacy is the most fundamental principle that Spinoza’s philosophy has to contribute to education, and to it, as the sequel should show, his other principles must be related167. » Nous pensons que Rabenort était prêt à remplacer la

conception de l’homme comme étant une tabula rasa par celle de l’homme doté d’une essence qui convient avec le système rationnel de la nature. Pour lui, examiner l’essence, c’est prendre en compte la nature ou la capacité de l’objet à parvenir à l’objectif désiré. Alors seulement, l’éducateur peut découvrir la raison de son échec à obtenir l’effet désiré. Rabenort ne met pas l’accent sur l’essence en tant qu’elle est le désir mais en tant qu’elle exprime la nature et la puissance singulière d’un homme relié à l’ordre de la nature.

À la fin de sa thèse, Rabenort pose la possibilité d’utiliser la philosophie de Spinoza dans l’éducation parce qu’elle satisfait les quatre critères suivants : 1. L’objectif de l’éducation. En effet, bien que Spinoza ne soit pas un finaliste (téléologiste), il a pour but d’éduquer l’homme à vivre selon la raison afin qu’il puisse s’accorder avec les autres, évaluer son utile propre, diriger son ambition à comprendre les vérités éternelles au lieu de posséder des biens éphémères, réaliser l’entraide pour augmenter le conatus de tous et cela, dans la compréhension et non dans la domination. 2. La méthode. Pour Rabenort, l’essentiel de la méthode de Spinoza consiste à augmenter la part d’idées adéquates dans l’esprit et à répondre aux commandements de la raison : s’aimer soi-même, rechercher son utile propre, désirer son perfectionnement intellectuel. 3. L’ordre de la matière enseignée. Pour Spinoza, éduquer consiste à enchainer ses idées selon l’ordre de la raison de sorte que son lecteur, en l’imitant, s’engage sur la voie de son propre perfectionnement. « Indeed man cannot attain to a complete realization of his obligations and privileges in society without excelling in the higher type of thinking. Even experience and that which it knows must give account to reason168. » Il a donc enseigné le

perfectionnement de la raison par la compréhension de sa nature et de son expérience

167W. L. RABENORT, op. cit., p. 17. 168 RABENORT, op. cit. p. 74.

humaine dans la vie pratique, c’est-à-dire, de son désir et de ses affects. 4. Le problème de la discipline et du contrôle. Pour Spinoza, l’éducateur n’est pas un législateur. Il n’impose pas l’obéissance aux lois, mais celle-ci vient d’elle-même lorsque l’homme peut comprendre le vrai but des lois.

Nous nous accordons entièrement avec Rabenort : la philosophie de Spinoza est possible en éducation parce qu’elle est une philosophie de la nature. De même nous pouvons concevoir que les critères de l’éducation sont au sein même de l'activité ou du

conatus. Ils ne sont pas personnels mais sociaux. Ils répondent à la nécessité des essences

pour canaliser leur puissance.

Les critères de l'éducation que pose Rabenort mettent en lumière que la fin de l'homme est d'être éduqué. C’est la condition pour avoir un esprit libre de la passivité, savoir s’allier à l’ordre de la nature et se perfectionner pour parvenir à sa plus haute puissance intellectuelle. Cette fin s’explique d’ailleurs par les limites naturelles de la conscience humaine au moment de la naissance du corps. Selon nous, Spinoza a pensé deux méthodes, la méthode ordo geometricus pour démontrer sa conception de la nature de l’esprit et de la joie à laquelle il peut prétendre; et la méthode de compréhension des affects pour guérir l’esprit de la passivité, c’est-à-dire, le rendre actif à son propre perfectionnement en soi.

Rabenort a éclairé également la nature commune de l'essence humaine. Il nous rappelle que l’acte de penser est un acte social et que la discipline est une nécessité de l’essence elle-même. Seulement, l’homme doit comprendre le but des lois et y obéir avec joie plutôt que de les subir. Pour Rabenort, une éducation digne de ce nom conduit à l’auto-éducation, qui se poursuit au fur et à mesure que l’homme progresse. Nous pensons donc que le regard de Rabenort sur la philosophie de Spinoza selon l’angle de l’éducation a fait ressortir la possibilité d’intégrer la philosophie de Spinoza à l’éducation contemporaine pour mieux connaître la nature de l’esprit humain que l’éducation veut perfectionner.