• Aucun résultat trouvé

La recherche-action pour soutenir l’innovation en matière de gouvernance urbaine

Chapitre II – Cadrage théorique

2.6 Vers un modèle d’innovation applicable à la politique des quartiers

2.6.2 La recherche-action pour soutenir l’innovation en matière de gouvernance urbaine

Comme l’illustre la figure 2.9, l’intérêt de la méthode de recherche-action est surtout de permettre l’intégration, l’explicitation et la structuration des dynamiques synthétisées à la section précédente, y compris le niveau croissant d’engagement et d’implication des acteurs-utilisateurs. Ce dernier point est particulièrement vrai dans le domaine de la gouvernance urbaine, où comme nous l’avons dit, la frontière entre acteurs-innovateurs et acteurs-utilisateurs est moins étanche que dans d’autres domaines de l’action publique, avec des acteurs qui ont tendance à développer sans cesse de nouvelles pratiques en raison de l’émergence régulière de nouveaux enjeux et de la complexification croissante des problèmes à traiter. Mais ces démarches de « recherche et innovation » pour mieux gérer la ville sont souvent peu organisées, et surtout peu évaluées et peu capitalisées, de sorte que leurs résultats peuvent prêter le flanc à la critique. La recherche-action permettrait donc de structurer la démarche, d’intégrer innovation et action au sein d’un même espace-temps et d’assurer la capitalisation. En somme, la recherche-action permet de raccourcir les différentes phases décrites à la section 2.6.1 et de les intégrer au sein d’un même processus itératif, dans lequel chaque acteur impliqué met ses connaissances, son expérience et ses capacités au service d’un objectif d’apprentissage collectif : le chercheur apporte sa capacité à formuler les problèmes, ses connaissances scientifiques, sa capacité à capitaliser et à diffuser les connaissances produites ; l’acteur apporte son expérience et ses connaissance pratiques, puis teste les instruments imaginés.

Figure 2.9 – La recherche-action, une méthode qui structure le processus d’innovation et favorise l’apprentissage.

La recherche-action est aussi une manière de « légitimer » les résultats de la démarche et de les rendre plus acceptables par les acteurs-utilisateurs: lorsqu’un collectif hybride constitué de chercheurs et d’acteurs divers (qui sont aussi des « portes-paroles » des différents groupes ou réseaux dans lesquels ils sont impliqués) est chargé de mener à bien une réflexion, ses résultats gagnent en légitimité (cf. section 2.2).

Les transferts horizontaux de pratiques ne sont pas fortuits mais font également partie intégrante de la démarche de recherche-action, au travers de l’exploration des pistes d’action possibles, qui comprend inévitablement une forme de ‘benchmarking’, mais aussi plus tard, grâce à la capitalisation et à la diffusion des solutions et connaissances produites par la démarche, qui pourront être appropriées par d’autres. L’expérimentation in-vivo et l’évaluation des résultats produits par les pratiques ou les instruments testés sont utilisées pour les améliorer et soutient ainsi un apprentissage collectif, selon un mode itératif de production de l’innovation et du savoir (« mode 2 », cf. section 2.4).

Notons pour terminer que le collectif créé pour la recherche-action et le réseau élargi d’acteurs qui gravite autour de ce collectif peuvent progressivement constituer un véritable « réseau d’apprentissage », au fur et à mesure que la réflexion autour de la problématique identifiée est approfondie, se structure et se formalise, ce qui peut aller jusqu’à générer un véritable champ de recherche et d’action (un acteur-réseau au sens où l’entend la SAR).

Dans la suite du travail, nous allons mettre à l’épreuve le modèle d’innovation que nous venons de proposer à travers deux applications :

(1) une application « in vitro » au travers d’une relecture de la « politique des quartiers » (cf. chapitre III), dans le cadre de laquelle nous l’utiliserons comme une grille d’interprétation.

(2) une application « in vivo » au travers d’une expérience de terrain (cf. chapitre IV) dans le cadre de laquelle notre modèle sera utilisé pour soutenir l’innovation et l’apprentissage en matière de soutien à la transition durable des quartiers urbains.

Chapitre III – La « politique des quartiers »

« Depuis un demi-siècle, dans tous les pays industrialisés, la ville n’a cessé d’être l’objet privilégié des volontarismes d’Etat, le lieu, par excellence, des

perfectionnismes technologiques, des grands gestes architecturaux, le territoire où convergent les flux croissants du tourisme urbain. Mais, en contrepoint de cette euphorie, la ville semble être, également, devenue le réceptacle majeur des nouveaux malheurs des temps. Elle concentre les nouvelles pauvretés, mais aussi tout le spectre des insécurités subies ou redoutées, tandis que dans certains de ses espaces

s’affichent ouvertement les signes et les effets de profonds dysfonctionnements sociaux. Sans doute, faut-il y voir, en France comme dans tous les pays comparables, la combinaison de taux d’urbanisation dépassant 80%, avec toutes les difficultés fondamentales des sociétés des pays au stade postindustriel, subissant les effets conjugués, d’une croissance économique incertaine et du grippage des processus d’intégration sociale, économique, voire culturelle, qui ont fonctionné, jusqu’aux années 1970 » (Chaline, 1997).

Dans le premier chapitre du travail, nous avons énoncé le problème qui nous préoccupe, à savoir l’existence d’inégalités de développement entre quartiers, et en particulier en termes de transition durable, et nous avons jeté les premières bases d’une action publique qui permettrait de rééquilibrer les choses. Dans le deuxième chapitre, nous avons proposé une modèle qui nous permette d’appréhender la question de l’innovation en matière d’action publique. Dans ce troisième chapitre du travail, nous allons d’abord observer les processus d’innovation en matière d’action publique au travers du cas concret que constitue la « politique des quartiers » et à la lumière de notre modèle, ce qui nous permettra également de le valider et de le compléter. C’est le premier objectif de ce chapitre.

Ce que nous appelons « politique des quartiers » (PDQ) est une modalité relativement récente de l’action publique qui s’est développée pour tenter d’apporter une réponse à l’émergence, durant la seconde moitié du 20ème siècle, de « quartiers en difficulté », c’est- à-dire de quartiers faisant l’expérience du déclin (cf. chapitre I) en raison de tendances structurelles et de la diffusion de nouvelles valeurs et modes d’habiter (aspiration à un air pur, un cadre de vie plus proche de la nature, etc.). La PDQ s’est développée dès la fin des années soixante aux Etats-Unis, et un peu plus tard en Europe, par exemple en France où elle se structure progressivement au début des années quatre-vingt, sous le vocable de « politique de la ville ». Nous avons volontairement choisi de ne pas utiliser cette appellation française dans le cadre de notre travail, afin d’éviter toute concentration du débat sur le cas français58. En effet, dans ce chapitre nous nous intéresserons, bien que de manière plus qualitative qu’exhaustive, à l’ensemble des contextes occidentaux dans lesquels cette démarche publique de soutien aux « quartiers en difficulté » s’est développée. Par ailleurs, nous souhaitons éviter tout amalgame entre le cas français et le cas wallon, qui nous intéresse plus particulièrement.

Nous commencerons donc ce troisième chapitre du travail par une brève analyse de la genèse et de l’institutionnalisation de l’IAP que constitue la PDQ, en nous appuyant pour

58 Cas français qui est par ailleurs un peu spécifique, étant donné les formes qu’y prend la fragmentation urbaine, en comparaison des villes belges ou anglo-saxonnes (cf. chapitre I).

cela sur la littérature qui existe à ce sujet, que nous analyserons à la lumière de notre cadre théorique et des concepts qui lui sont associés. Nous commencerons par retracer la phase de « problématisation », avec l’émergence progressive des « quartiers en difficulté » en tant qu’objet de débat public. Nous verrons que les visions du problème diffèrent selon les acteurs en présence, ce qui mènera à une définition in fine assez floue du problème, mais aussi à quelques glissements de cette définition au cours du temps. Nous nous pencherons sur les instruments de « mesure du problème », qui ont été progressivement développés pour tenter d’objectiver le problème, et qui ont ainsi largement contribué à conforter la PDQ, participant ainsi à son « institutionnalisation ». Nous nous pencherons également sur le « collectif de concepteurs » à la base de la PDQ: Qui étaient-ils ? Quels étaient leurs objectifs et leurs motivations ? Nous nous intéresserons bien sûr également aux « valeurs et modèles d’action » qui imprégnaient l’époque et qui se retrouvent partiellement incorporés dans la PDQ. Enfin, nous nous intéresserons aux représentations qu’avait ce collectif de concepteurs des futurs « acteurs-utilisateurs » de la PDQ mais aussi du « contexte de l’action ».

Nous nous intéresserons ensuite plus en détails à ce qu’est exactement la PDQ: Quelles sont ses principales caractéristiques ? Quels sont les grands principes d’action qui constituent en quelque sorte l’essence de la PDQ? Nous montrerons ensuite que, malgré quelques invariants méthodologiques, les caractéristiques et les modes d’action de la PDQ varient dans l’espace, en fonction des contextes socioculturels, des valeurs et des modèles d’action qui leur sont associés, de sorte que l’on devrait plutôt qualifier la PDQ de « méta- instrument », au sens où l’entendent Dehousse (2004) ou encore Hood (1986). Nous montrerons aussi et surtout que les modes d’action de la PDQ ont beaucoup évolué dans le temps, avec l’émergence permanente de nouveaux enjeux, de nouvelles valeurs et modèles d’action. La PDQ est donc une modalité de l’action publique qui se transforme en permanence, pour tenir compte d’un contexte qui change en permanence lui aussi.

Cette analyse fouillée de la PDQ a également pour objectif d’évaluer son intérêt et ses atouts dans le cadre d’un soutien à la transition durable des quartiers urbains, mais aussi d’identifier ses faiblesses et dès lors les améliorations à lui apporter pour qu’elle puisse jouer ce rôle. C’est le deuxième grand objectif de ce chapitre. L’hypothèse de notre travail est en effet, comme cela a déjà été exposé, que la PDQ constitue une base intéressante pour construire une action publique de soutien à la transition durable des quartiers urbains, puisqu’elle a été conçue au départ pour soutenir le développement de certains quartiers faisant l’expérience du déclin et donc pour soutenir une forme de « transition » dans ces quartiers qui se devaient d’évoluer car ils se retrouvaient, à un moment donné de l’histoire, à ne plus correspondre aux standards minimum attendus par les ménages en termes de qualité du cadre de vie, raison pour laquelle ils les ont progressivement boudés.

Nous terminerons donc ce troisième chapitre par un bilan de la PDQ orienté transition durable des quartiers urbains. Nous nous appuierons pour cela sur notre propre analyse, mais également sur les nombreuses contributions scientifiques et évaluations qui ont été faites de la PDQ en un peu plus de 30 ans d’existence. Ce bilan prendra la forme d’une grille atouts, faiblesses, opportunités et menaces, qui nous permettra de discuter de l’intérêt potentiel et des atouts de la PDQ : Constitue-t-elle une piste intéressante, une base sur laquelle construire une action publique en vue de soutenir cette transition durable ? En d’autres termes, le soutien à la transition durable des quartiers pourrait-il s’appuyer sur un recyclage ou un enrichissement de la PDQ ? Quels sont les risques éventuels qui lui sont associés ?

Outline

Documents relatifs