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Chapitre II – Cadrage théorique

3.1 Genèse et institutionnalisation de la PDQ

3.1.2 Problématisation(s) et objectifs

Comme nous l’avons expliqué dans le premier chapitre du travail (cf. section 1.3.1), parallèlement à l’intensification des phénomènes de déclin de certains quartiers urbains durant la seconde moitié du 20ème siècle, le regard posé sur la fragmentation urbaine a beaucoup évolué, à partir des années 70, sous l’influence de la sociologie marxiste. C’est la combinaison de ces deux facteurs – un phénomène nouveau qui crée de la fragmentation et une évolution des valeurs générant un changement de regard – qui a contribué à l’émergence des « quartiers en difficulté » en tant que problématique ou enjeu de société. Bien que ce soit le déclin de certains quartiers urbains qui au départ pose problème, c’est ensuite sur la paupérisation qui lui est associée que l’attention s’est souvent focalisée. Cette tendance à se concentrer sur le symptôme plutôt que sur l’explication contribuera à entourer la définition exacte du problème à la base de la PDQ d’un certain flou: le problème est-il la « paupérisation » de ces quartiers ou la « dégradation » physique et économique qui lui est associée, ou les deux? Selon les acteurs et les observateurs, la définition du problème (souvent implicite dans les discours) n’est pas tout à fait la même, et il existe, comme notre cadrage théorique nous l’a appris, autant de problématisations qu’il y a d’acteurs. Cependant, on peut observer certaines convergences selon le background de ces acteurs.

Dans le champ des sciences sociales, comme nous l’avons déjà évoqué (cf. section 1.3.2), le constat de la défavorisation croissante de certains quartiers urbains durant la seconde moitié du 20ème siècle alimente des réflexions qui tournent autour de l’ « exclusion », de la « marginalité », du « ghetto », de « l’inégalité des chances ». L’accent est mis sur l’isolement social, l’anomie, la galère, ou encore le décrochage civique. Tout un champ de recherche se développe autour des éventuels « effets de quartier ». C’est donc avant tout la fragmentation sociale des territoires qui est vue comme un problème.

60 Projet Annuel de Performance.

Dans le champ de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, au-delà des questions sociales, c’est aussi la déréliction « physique » et « économique » de ces quartiers qui pose question. Les bâtiments se dégradent progressivement, la population s’appauvrit, certaines entreprises et commerces ferment, renforçant un peu plus la perte d’attractivité résidentielle et économique de ces quartiers. C’est donc le processus plus général de « déclin » de ces quartiers qui interpelle les acteurs de ce champ disciplinaire.

A ces analyses des acteurs sociaux et de l’urbanisme, viennent s’ajouter celles des acteurs responsables de la sécurité (police, responsables politiques, etc.), notamment suite à l’émergence de mouvements de violence dans certains de ces quartiers en déclin (par exemple, les émeutes dans la banlieue lyonnaise en 1981, ou les émeutes de Bradford et d’Oldham au Royaume-Uni en 2001).

La définition du « problème » à partir duquel la PDQ a pu progressivement se déployer ne s’est dès lors pas faite sans heurts. Le consensus qui s’est finalement imposé propose une définition assez « floue » du problème, à cheval sur les trois champs d’action (la rénovation urbaine, l’action sociale et la sécurité ; cf. Donzelot, 2008) et matérialisée par cet objet-frontière que constituent les « quartiers en difficulté ».

Aujourd’hui encore et plus que jamais, il existe, même entre les acteurs qui s’accordent sur l’existence de « quartiers en difficulté » et dès lors sur l’importance de maintenir une PDQ, des controverses quant à la définition et aux contours exacts du problème à régler. Certains auteurs issus des sciences sociales analysent la PDQ comme une « politique sociale territorialisée » dont l’objectif principal est la « lutte contre la pauvreté » (par exemple Hamzaoui, 2002 ; Séguin et Divay, 2004 ; Bernoux, 2005 ; Cauquil, 2004 ; de Maillard, 2000), soit une politique dont le principal objet est la pauvreté des personnes, tandis que d’autres auteurs (Wallace, 2001; Bacqué et al, 2003 ; Chaline, 1997 ; Lupton, 2013) la voient comme une politique plus systémique ou globalisante, et parlent de « revitalisation urbaine », de « régénération urbaine », de « renouvellement urbain », de « rénovation urbaine », ou encore de « développement local ». Dans cette vision des choses, l’objet de la PDQ est le déclin de certains quartiers, certes dans leurs dimensions physiques, économiques et sociales, mais les « quartiers » quand même, c’est-à-dire un système qui inclut tout à la fois les « gens » qui y vivent et leur cadre de vie. L’objet travaillé, le point d’entrée, les représentations et les conceptions qui sous-tendent la PDQ sont donc, on le voit, très différents selon les personnes et leur parcours. Certaines dérives vers une approche qui se centre quasi-exclusivement sur la rénovation physique des quartiers ont également pu être observées, nous y reviendrons.

Selon les acteurs, les attentes vis-à-vis de la PDQ sont elles aussi très différentes, et la définition des objectifs concrets de la PDQ sera dès lors tout aussi floue et changeante que la définition du problème. S’agit-il de supprimer le problème des « quartiers en difficulté » ? Et si oui, s’agit-il de supprimer la fragmentation socio-spatiale ? Voire de supprimer la pauvreté urbaine ?Certains, du moins au départ, y croient fermement. Encore aujourd’hui, certains auteurs ont tendance à évaluer la PDQ à la lumière de ces objectifs, et d’en conclure qu’elle est assez inefficace, voire contre-productive (par exemple Tissot, 2007 ; Chevalier, 2005 ; Séguin et Divay, 2004; Overman, 2011). S’agit-il, plus modestement, de lutter contre les éventuels « effets de quartiers », c’est-à-dire les difficultés que les habitants de ces quartiers rencontreraient par le fait qu’ils y habitent? C’était en tout cas l’un des objectifs affichés par la PDQ britannique lancée en 2001:

« qu’en 10 à 20 ans, plus personne ne soit sérieusement désavantagé par le lieu où il vit » (SEU, 2001). S’agit-il enfin de renverser la dynamique de déclin dans laquelle certains quartiers sont enfermés et donc de soutenir une forme de transition dans les quartiers concernés? C’était en tout cas l’objectif affiché par la PDQ française à ses débuts. C’est encore et toujours l’idée sous-tendue par la PDQ dans de nombreux contextes comme Montréal, Genk (Flandre, Belgique), Bruxelles, mais aussi en Allemagne (programme Sozial Stadt), ou encore dans le cadre du programme européen URBACT, qui est en quelque sorte la PDQ développée au niveau européen.

La persistance de ce flou, qui génère évidemment de nombreux malentendus et des stratégies d’action parfois très différentes (nous le verrons à la section 3.2.2), peut paraître surprenante, mais si l’on analyse la genèse et l’institutionnalisation de la PDQ à la lumière de notre modèle d’innovation (cf. section 2.6), ceci se comprend plus facilement: ce flou était nécessaire pour, dans un premier temps, mobiliser et engager un vaste réseau d’acteurs dont les objectifs et les centres d’intérêt différaient (et qui se sont réunis autour d’un socle d’intérêt commun, que matérialisaient les « quartiers en difficulté »), et reste nécessaire pour, dans un second temps, assurer la cohésion et la pérennité de l’acteur- réseau qui porte l’instrument PDQ.

Par contre, une idée commune à la plupart des « acteurs-innovateurs » qui ont conçu la PDQ était que le problème était temporaire et allait être réglé en quelques années, voire une décennie. Sylvie Harburger, dont les propos sont rapportés par Jazouli et Loubière (2011 ; p. 36) confirme cette idée lorsqu’elle revient sur les convictions qui ont imprégné le DSQ61 à l’époque, et qui découlent d’un contexte économique à présent révolu : « Le contexte économique est également important parce que ce n’était pas encore le chômage de masse, mais le chômage des personnes non qualifiées. Du coup, les pouvoirs publics, en mettant en place une politique de développement des quartiers, pensaient que “si on travaille bien à l’école, on trouve un boulot” ». Le « problème » n’était donc pas considéré comme un problème structurel et persistant, avec lequel il allait falloir compter, c’est l’expérience et le temps qui nous l’ont montré. Du coup, comme le dit Daniel Béhar, si la PDQ est aujourd’hui perçue comme un échec, c’est parce qu’elle s’est largement fabriquée cette représentation en s’affichant au départ (et encore en filigrane aujourd’hui) comme une politique à durée déterminée, sa durée de vie étant corrélée à la durée du problème qu’elle allait traiter et résoudre (Jazouli et Loubière, 2011 ; p. 37). Comme le souligne encore Daniel Béhar, « Nous avons là un premier nœud, à la fois sur le bilan, la méthode et la stratégie. Les pouvoirs publics sont-ils capables d’afficher que la politique de la Ville doit être pérenne, comme la politique de la Jeunesse par exemple, parce que la question sociale dans l’espace urbain est une question permanente? ».

Nous considérons également pour notre part que la PDQ ne supprimera pas le problème des « quartiers en difficulté », et qu’il est donc vain de vouloir l’évaluer à la lumière de cet objectif. Nous pensons en effet avoir suffisamment illustré, dans la première partie du travail, les mécanismes de fragmentation urbaine à l’œuvre pour que le lecteur soit convaincu du caractère structurel et persistant du problème des « quartiers en difficulté », mais aussi du fait qu’il est amené à bouger dans l’espace, à se reconfigurer, notamment avec l’émergence et la diffusion de nouvelles valeurs et modes d’habiter, comme celles, par exemple, associées au développement durable.

Certains opposeront à cela que certains quartiers sont sujets à une aide de la PDQ depuis sa création, et c’est vrai. Mais il est aussi impossible de savoir ce qu’il serait advenu de ces quartiers en l’absence de la PDQ. D’un point de vue méthodologique, c’est en effet impossible à évaluer. Par ailleurs, le développement des quartiers ne dépend pas uniquement de conditions locales et endogènes. Tout ce que la PDQ peut donc faire, c’est améliorer la condition des quartiers qui se retrouvent à un moment donné en difficulté et contribuer à sortir certains d’entre eux des difficultés si toutes les conditions sont remplies, y compris des conditions exogènes, indépendantes de ces quartiers.

Une dernière observation que nous pouvons faire, c’est que si certains quartiers sont toujours les mêmes qu’aux débuts de la PDQ, leurs habitants, eux, ne sont plus les mêmes. Comme le note Daniel Béhar, « il est difficile de faire la part de ce qui est imputable à la PDQ mais elle a certainement aussi participé aux processus d’insertion sociale » (dans Jazouli et Loubière, 2011 ; p. 37), qui pour certains habitants, sont passés par une mobilité résidentielle « ascensionnelle » (cf. section 1.1.3), ce qui exeplique que les quartiers visés par la PDQ soient restés des « quartiers en difficulté ».

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