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Chapitre II – Cadrage théorique

3.2. Analyse et évolution du « méta-instrument » PDQ

3.2.3 La PDQ : une politique en perpétuelle évolution

Au-delà des différences contextuelles, il nous semble également utile de montrer, dans une perspective historique, les importantes évolutions qu’a subies la PDQ dans différents contextes. La PDQ n’est en effet pas un instrument figé, les évolutions ont été nombreuses, en termes d’objectifs et de stratégies d’action mais aussi d’un point de vue institutionnel, avec notamment la création de nouveaux instruments, dispositifs, fonctions ou structures institutionnelles.

Nous commençons avec l’exemple de la politique de la ville en France qui, comme nous l’avons déjà esquissé, n’a pas toujours été cette politique de renouvellement urbain très interventionniste et menée exclusivement par l’Etat, avec un agenda « anti- empowerement » tel que décrit à la section précédente. Au départ, après l’élection de Mitterrand en 1981, l’objectif était de chercher des moyens et méthodes efficaces pour assurer la remise à niveau et le soutien des quartiers en difficulté, en s’appuyant pour cela

82 En effet, la « rénovation urbaine » en France prend la forme de vastes opérations de destruction-reconstruction. 83

Sur ce plan, la NSNR a connu une inflexion en 2006, le gouvernement de T. Blair redéfinissant ses priorités en mettant l’accent sur l’objectif de mixité sociale, en complément de l’objectif initial d’amélioration de la situation des résidents.

sur les ressources locales (au-delà de l’idée de développement endogène, il y avait aussi l’idée de quartiers « laboratoires »). Comme le dit Estèbe (2004), l’expérimentation commence à ce moment et se poursuit depuis lors, en traversant l’ensemble des changements politiques successifs. Cependant, si la politique de la ville (ou du moins son intitulé) survit aux alternances électorales, elle n’est pas immuable. Chaque changement politique d’envergure (en général il s’agit d’élections présidentielles) entraîne une redéfinition des objectifs et des moyens financiers et d’action de la politique de la ville. On peut ainsi identifier quatre grandes périodes dans la politique de la ville française (pour plus de détails, voir l’historique complet à l’annexe 1).

(1) Les débuts dans les années 80 : durant cette période, comme nous l’explique encore Estèbe (2004), les premiers quartiers choisis peuvent être qualifiés de « laboratoires »: « Il s’agit avant tout d’y tester un ensemble de méthodes d’action (territorialisation, globalité, projet) qui sont censées ensuite contaminer l’ensemble des institutions publiques. Ces foyers de rénovation s’inspirent clairement des expériences municipales et associatives conduites à Grenoble, dès les années 1960, et dans de nombreuses villes moyennes à partir du milieu des années 70 (Balme et Mabileau, 1988). Gérer la ville comme une association, s’appuyer sur le mouvement associatif pour gérer la ville ; mais aussi transformer l’Etat et ses méthodes à partir du local. Nombre de professionnels des premières années de la politique de la ville sont en fait des militants politiques ou associatifs qui reviennent dans les quartiers où ils avaient fait leurs premières armes ; nombre d’élus appartiennent à cette génération nouvelle, issue des élections de 1977 (Micoud, Ion et al, 1986) ». Il s’agissait donc, au départ, d’un mouvement très engagé et d’une conception très optimiste de l’action. L’idée de contrat entre l’Etat et les acteurs locaux était également très présente. Le rapport Dubedout (1983), considéré comme le texte fondateur de la Politique de la Ville, est un plaidoyer pour une démocratisation de la gestion urbaine.

(2) Les années 1990 : le début de la décennie est marqué par de nouvelles émeutes dans les régions parisienne et lyonnaise, le gouvernement imprime alors une inflexion nette à la politique de la ville. Un ministère de la ville est créé, avec Michel Delebarre à sa tête. Les quartiers perdent leur statut de laboratoire pour devenir des symptômes de la « nouvelle question sociale » (Donzelot, 1991). On assiste à une évolution des représentations associées à ces quartiers, et du coup des réponses proposées. A partir de quartiers au départ complexes (et diversifiés), le local est progressivement réduit à une mesure de concentration de publics à risques (et le problème réduit à celui de la question de la fragmentation sociale des territoires). En termes de modes d’action, on passe d’une logique d’expérimentation et de contractualisation à l’automatisation de l’action publique. Estèbe (2004) parle de « dépolitisation » pour désigner la création progressive de mesures automatiques et ciblées (comme la « discrimination territoriale positive84 ») à côté des dispositifs contractuels, voire en concurrence avec ceux-ci. La politique de la ville en France devient ainsi, au fil du temps, une politique extrêmement centralisée, maîtrisée par l’Etat via l’affinement progressif des techniques de désignation et de délimitation (notamment avec le « pacte de relance » entre 1996 et 1999), et par des dispositifs d’action automatiques. L’Etat et son administration reprennent donc progressivement la main, et le caractère bureaucratique et descendant de la politique de la Ville n’a alors fait que se

84 Par exemple, exonération de certains prélèvements pour les entreprises s’installant dans ces territoires. Dans d’autres contextes, il peut aussi s’agir d’une augmentation des moyens alloués à d’autres politiques dans les zones prioritaires identifiées : politique du logement, politiques de rénovation (avec par exemple majoration des primes à la rénovation octroyées aux ménages dans les zones prioritaires), etc. Ce type d’IAP implique un degré moindre d’ « implication » de la part des acteurs-utilisateurs (cf. chapitre II).

renforcer au fil des ans. Sylvie Harburger (cf. Jazouli et Loubière, 2011) confirme cette analyse lorsqu’elle dit qu’après la création de la DIV (en 1988), le rôle de l’Etat ne va cesser de se renforcer, « au point que les procédures sont devenues un enjeu majeur, alors que le discours du début de la CNDSQ était: le développement social des quartiers, ce n’est pas une procédure, c’est un processus. C’était des mots, mais quelque part c’était notre état d’esprit. Aujourd’hui, je suis affolée et attristée de voir combien les professionnels sont absorbés par la gestion des procédures. Certes les procédures sont nécessaires pour une bonne gestion des deniers publics, mais j’ai l’impression que leur omniprésence est telle qu’on en oublie le projet ».

(3) Les années 2000 : en particulier, à partir de 2002, avec l’arrivée de Jean-Louis Borloo comme ministre de la ville, la politique de la ville connaît une nouvelle inflexion majeure. Comme le dit Estèbe (2004), « l’heure est à la réduction de la « fracture sociale », appel est fait au privé comme partenaire du redéveloppement des quartiers populaires ». La Rénovation Urbaine, qui marque ce tournant, consacre une approche pilotée par l’Etat mais mobilisant le secteur privé, centrée sur la rénovation physique et destinée à restaurer la « mixité sociale » dans les quartiers.

(4) L’après-crise de 2008: en 2007, une véritable rupture était attendue avec l’élection de Sarkozy comme président et l’arrivée de Fadela Amara comme secrétaire d’Etat à la politique de la ville, mais dans les faits, et vu la conjoncture économique, le budget consacré à la politique de la ville n’a cessé de baisser (Marianne, déc. 2011): « en 2008, 1,02 milliards lui étaient consacrés, puis 794,6 millions en 2009, 704,8 en 2010, 624,3 en 2011 et, enfin 539,9 autres millions sont prévus pour 2012. Bref, les crédits ont chuté de 47,06% en 4 ans ». Cette réduction va de pair avec une réduction drastique des quartiers considérés comme prioritaires85, dans une période où de plus en plus de quartiers se retrouvent en difficulté suite à la crise économique de 2008.

Depuis 2012, le gouvernement Hollande semble vouloir renouer avec l’esprit des années 1980 et redonner vrai un pouvoir d’action aux habitants des quartiers prioritaires. Il a également simplifié la géographie prioritaire, en remplaçant tous les zonages antérieurs par un seul type de périmètre : les « quartiers prioritaires ». Le recul sur ces dernières évolutions est cependant insuffisant pour en faire un bilan.

Comme deuxième exemple, nous avons choisi le cas des politiques dites de ‘neighbourhood renewal’ anglaises86. Ici encore, on peut observer que de multiples évolutions ont été imposées à la PDQ, et qu’il est ainsi possible d’identifier trois grandes périodes (pour plus de détails, voir l’historique complet à l’annexe 2).

(1) Le début des années 90 : cette période correspond aux prémices de la PDQ anglaise, avec les premiers essais d’une action de régénération urbaine à l’échelle du quartier. Mais les interventions, à trop court terme, ne réussissaient pas à mobiliser la population : « les investissements physiques étaient privilégiés aux personnes » (Wallace, 2001). Par ailleurs, cette première version de la PDQ a été fortement critiquée : pour le déficit de coordination entre services, ainsi que pour le saupoudrage des moyens entre un nombre excessif de zones (Epstein, 2013), pour la mise en concurrence des zones bénéficiaires, dont la

85 Le plan “espoir banlieues” recentre l’aide de l’Etat sur 215 quartiers les plus défavorisés parmi les 750 ZUS identifiées depuis 1996 (cf. annexe 1).

86 La PDQ britannique s’applique en réalité uniquement à l’Angleterre; le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande du Nord ayant leur propre PDQ.

capacité à capter ces aides financières n’est pas indépendante de leurs difficultés (Lupton et al, 2013) et pour l’absence de contrôle et d’encadrement de la part du gouvernement central, qui a complètement laissé faire les bénéficiaires (Rhodes et al, 2007). Néanmoins, cette première approche constituait déjà un grand changement par rapport aux approches « market-led » des années 80 en encourageant une régénération qui s’appuie sur la « communauté » et la mise en place de partenariats locaux (Shaw et Robinson, 2009). (2) Les premières années de la décennie 1997-2007 : durant cette période, la PDQ anglaise prend un tournant décisif, avec l’arrivée de Tony Blair au pouvoir. Celui-ci place la question des disparités entre quartiers au centre du nouvel agenda contre l’exclusion sociale et organise autour de cette question une vaste réflexion associant différents types d’acteurs. Cette démarche aboutira à la construction d’une PDQ qui s’appuie davantage que la précédente sur les ressources locales et en particulier les citoyens et les acteurs locaux. Par ailleurs, un budget conséquent lui est consacré : son budget annuel durant cette période était d’environ 500m£ venant du Neighbourhood Renewal Fund (Lupton et al, 2013). Ce budget a en outre été complété par divers autres : Sure Start, Decent Homes, Housing Market Renewal, New Deal for Communities (NDC), Excellence in Cities et beaucoup d’autres (Lupton et al, 2013).

(3) Depuis 2007 : à partir de cette année, la PDQ anglaise va connaître une longue agonie sur fonds de crise économique majeure, d’abord sous le gouvernement travailliste de Gordon Brown (2007-2010) puis avec l’arrivée en 2010 du gouvernement de coalition de David Cameron, qui procédera alors à un véritable changement de paradigme: la position de ce gouvernement est en effet qu’il faut « stimuler la croissance économique pour rendre possible la régénération », le gouvernement central se limitant à un rôle d’encadrement et de soutien à la croissance économique (Lupton et al, 2013). La PDQ est alors démantelée et remplacée par de nouveaux instruments, qui illustrent cette nouvelle philosophie : Regional Growth Fund, New Homes Bonus, investissements dans de grands projets d’infrastructures (train à grande vitesse, etc.). L’idée sous-jacente est que si les régions qui dépendaient jusqu’ici d’un financement public prospèrent à nouveau, tout le monde bénéficiera in fine de ce redéploiement économique via la création d’entreprises et d’emplois87. L’intervention publique se concentre donc sur le renforcement de l’efficacité économique, avec presque plus aucune trace ni argument concernant une distribution plus juste des conditions de vie, des services ou opportunités entre quartiers (Lupton, 2013). Ce changement de représentation du problème a aussi pour conséquence de ramener l’action aux échelons territoriaux supérieurs que sont la ville ou la région (les quartiers ne pouvant être transformés d’un point de vue économique par des actions à l’échelle du quartier). Selon Lupton (2013), ce changement s’est fait très progressivement, et dès le début des années 2000, on pouvait en observer les prémices dans le chef des travaillistes (il ne s’agit donc pas, ou pas uniquement, d’une « rupture » liée au changement de majorité en 2010): « Malgré les premiers succès, au début des années 2000, le discours autour de la régénération des quartiers a commencé à changer. Un premier changement notable concerne l’importance accordée aux résultats économiques, avec le taux de chômage émergeant comme thème central, et la nécessité de réduire le chômage et de promouvoir l’entreprenariat devenant la priorité numéro un (Cabinet Office, 2004:18). La représentation de l’origine des problèmes économiques de certains quartiers évolue

87 Nous avons vu dans le premier chapitre que les choses ne sont pas aussi simples et qu’au contraire, lorsqu’une région urbaine prospère, les inégalités infra-urbaines tendent à s’accentuer.

également, l’absence d’emploi qui était alors vue comme le résultat des vagues de récession et de déclin qui ont touché l’industrie manufacturière (SEU, 2001:17) est progressivement associée à l’idée que les niveaux d’activité économique sont trop bas dans les quartiers en difficulté (Cabinet Office, 2004:12). Un autre changement observé a été l’attention croissante portée à la concentration de la pauvreté et à la nécessité d’introduire une plus grande mixité sociale afin de rendre les communautés plus durables sur le long terme (ODPM, 2004). Tout ceci indiquait une évolution vers des ambitions plus « transformatrices », incarnées notamment dans le Housing Market Renewal Programme ».

Notons que dans les deux cas, français et anglais, on peut observer des mouvements réguliers de balancier entre les approches de type « place », « people » et « community ».

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