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Impact de la question du développement durable sur les processus de fragmentation urbaine en Wallonie ?

1.3.4 « Gentrification » : pourquoi tant de haine ?

1.5.2 Impact de la question du développement durable sur les processus de fragmentation urbaine en Wallonie ?

Dans cette section, nous nous intéressons à la manière dont l’enjeu de « développement durable » impact les choix et comportements des différents actants des processus de fragmentation urbaine. L’on aurait pu penser que la diffusion des valeurs associées au « développement durable » constituerait le moteur d’un véritable retour vers la ville, après des décennies d’étalement urbain, pourtant, si elle produit certains effets sur les pratiques et modes de vie de la population wallonne, force est de constater que son effet sur les choix résidentiels des ménages reste mineur.

La timidité du retour à la ville s’explique d’abord par le fait que comme nous l’avons vu, les valeurs et pratiques associées au développement durable ne se diffusent pas uniformément à l’ensemble de la population. Les ménages sensibles à la question du développement durable sont encore peu nombreux, même s’ils sont en augmentation. D’autre part, rappelons que tous les ménages n’ont pas les mêmes moyens d’assouvir leurs désirs d’habiter. De nombreux ménages, même s’ils souhaitent « revenir en ville », ne trouvent ainsi pas de bien immobilier qui soit dans leurs moyens, en raison du coût et des difficultés associés au recyclage urbain. Le bâti hérité des centres-villes est en effet inadapté aux exigences actuelles des ménages (Halleux et Lambotte, 2008, p.10). D’une part, il est faiblement isolé (MRW, 2007; Kints, 2008; CPDT, 2011), et d’autre part de nombreuses maisons unifamiliales ont été divisées en petits logements. Dès lors, le coût lié à l’achat de ces biens, auquel s’ajoute le coût des travaux nécessaires pour recréer un logement unifamilial confortable, rend l’opération difficile pour la plupart des ménages. Par conséquent, la plupart des villes wallonnes, comme Liège par exemple, souffrent d’un déficit chronique de biens pouvant répondre aux besoins des familles et des familles en devenir. Le recyclage du tissu bâti urbain pose également problème aux promoteurs privés, car il reste de loin plus coûteux que la construction d’un quartier résidentiel neuf.

Enfin, une autre grande explication de la timidité de ce « retour en ville » est la faible attractivité de l’environnement urbain, souvent perçu comme gris, sale, ou insécurisant, et ne répondant donc pas aux attentes des ménages qui ont des enfants ou qui souhaitent fonder une famille. En conséquence de ces différentes barrières, l’exode urbain se poursuit dans les villes belges.

Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi la question du développement durable a été principalement traduite, dans les pratiques des acteurs de l’urbanisme, du logement et de l’immobilier, par la production de nouveaux « écoquartiers » ou « quartiers durables ». Ces quartiers, bien qu’encore peu nombreux, constituent une offre en plein essor.

Notons cependant que du côté de la demande, le fait d’habiter en « quartier durable » ne constitue une préoccupation que pour une portion encore très limitée de la population wallonne. Halleux et Strée (2012) ont par exemple mis en évidence, sur base d’une enquête réalisée en 2010 auprès de 80 ménages wallons ayant construit en milieu périurbain, que le modèle de l’écoquartier ne séduit qu’environ 10% de cette population. Cependant, ils notent à juste titre que ce pourcentage est susceptible d’évoluer dans le futur, sachant que le facteur « âge » influence fortement l’intérêt manifesté par les ménages interrogés pour ce modèle d’habitat. Les futures générations d’adultes pourraient donc bien montrer une sensibilité croissante à ce modèle.

Tout comme dans d’autres régions, certaines dynamiques citoyennes ou associatives (création de potagers collectifs, démarches citoyennes de végétalisation, mouvements associatifs liés à la transition, épiceries bio et groupes d’achat communs privilégiant les circuits courts, rénovation énergétique des bâtiments, etc.) semblent indiquer qu’un processus de transition durable pourrait se produire spontanément dans certains quartiers urbains. Pour l’heure cependant, ces dynamiques ne concernent qu’une toute petite partie de la population et sont donc loin de générer de véritables dynamiques de transition durable des quartiers urbains au sens où nous l’entendons.

En ce qui concerne le secteur associatif, qui comme nous l’avons vu (cf. section 1.4.1), est susceptible de diffuser les valeurs et pratiques associées au développement durable, il existe en Wallonie des ASBLs actives dans le domaine de l’environnement et du développement durable, et notamment une asbl « coupole », appelée Inter-Environnement Wallonie. Du côté de Charleroi et du Hainaut, on peut mentionner Espace Environnement, qui mène de nombreux projets alliant développement durable et aménagement du territoire. Du côté de Liège, il n’y a pas d’opérateur comparable, mais plutôt une série de petites ASBLs comme ExposantD, Le Beau Mur, Liège en transition, ou encore La Cité S’Invente, mais qui n’ont pas une réflexion et une action tournées vers la question de la transition durable des territoires, mêmes si certaines de leurs actions prennent physiquement place dans les quartiers (par exemple, les bacs potagers de l’asbl du Beau Mur, sur le modèle des « incredible edible »). Dès lors, malgré ces initiatives, on ne peut pas encore dire que le secteur associatif se soit pleinement emparé de cette question de la transition durable.

Enfin, en ce qui concerne l’action publique en Wallonie, la question de la transition durable y est principalement traitée via des mesures « non situées », avec le risque d’effets pervers que cela comporte en matière de fragmentation urbaine (cf. section 1.4.4). Assez classiquement, des primes et réductions fiscales sont offertes aux ménages effectuant des travaux de rénovation énergétique dans leur logement. La subsidiation des panneaux photovoltaïques a cependant été revue, étant donné les bénéfices qu’en retiraient certains ménages qui du reste n’en avaient pas vraiment besoin (« free-ridership » institutionnalisé). Une étude de l’IWEPS (2014) a montré que la répartition spatiale des demandes de primes classiques à l’isolation de toitures était assez inégale (cf. Figure 1.10 ci-dessous). On voit en effet assez clairement que la mobilisation de ce dispositif est plus faible dans les régions urbaines de Liège, Charleroi, Mons et Tournai43 alors que ces villes sont également connues pour avoir des indices de performance énergétique du stock bâti très faibles par rapport au reste de la région (Dujardin et al, 2011).

Une meilleure répartition spatiale a cependant pu être observée pour les demandes qui ont été introduites via le dispositif « écopack44 », mis en place par le gouvernement précédent (cf. Figure 1.11). En particulier, les communes de Liège, Charleroi, Mons et Tournai sont à nouveau dans la moyenne régionale avec ce dispositif. Ceci peut s’expliquer par la publicité réalisée autour de ce dispositif et les efforts d’engagement de la population réalisés dans certains quartiers plus fragilisés, notamment via des acteurs associatifs mobilisés à cet effet. Notons cependant que l’analyse de l’IWEPS a été réalisée à l’échelle des communes. Nous ne disposons pas de données permettant une analyse plus fine, par

43 Notons cependant que des communes rurales défavorisées sont également concernées par cette faible mobilisation. 44 Le dispositif “écopack” est un crédit à 0 % proposé aux ménages wallons afin de financer un bouquet de travaux de rénovation énergétique.

exemple à l’échelle d’une région urbaine, qui permettrait d’évaluer les différences de mobilisation du dispositif entre quartiers.

Figure 1.10 – Taux par ménage du nombre de dossiers relatifs à l’isolation de la toiture introduits via le système classique des primes pour chaque commune (Source : IWEPS, 2014).

Figure 1.11 – Taux par ménage du nombre de dossiers relatifs à l’isolation de la toiture introduits via les Ecopacks pour chaque commune (Source : IWEPS, 2014).

Les pouvoirs publics régionaux soutiennent par ailleurs la diffusion du modèle des « quartiers durables » auprès de la population et des acteurs de l’urbanisme, du logement, de l’immobilier et de la construction, au travers de différentes actions :

- Financement, édition et diffusion d’un ouvrage intitulé « Habiter en quartier durable » ;

- Appel à projets « quartiers en transition » pour les quartiers d’habitat social ; - Edition et diffusion d’un référentiel « quartiers durables » par la Région Wallonne ; - Appel à projets « quartiers en transition » pour les quartiers urbains : mobilisation

des acteurs associatifs locaux pour recruter des ménages candidats à l’« écopack ». En revanche, la question de la transition durable des quartiers urbains existants n’est toujours pas formulée ni soutenue dans le cadre de la politique wallonne de soutien aux « quartiers en difficulté » (dispositifs « Rénovation Urbaine » et « ZIP-QI »).

Enfin, dans certains contextes, les pouvoirs publics locaux peuvent faire preuve d’un déficit de sensibilité aux questions de transition durable, voire les rejeter farouchement parce qu’ils les perçoivent comme des enjeux poussés par les mouvements écologistes. Certains travailleurs sociaux, y compris au sein des quartiers, peuvent avoir le même type de réaction face à ces questions, qu’ils ont tendance à considérer comme annexes par rapport aux difficultés « sociales » de leur public. Tant les acteurs politiques que les travailleurs qui mettent l’accent sur la dimension « sociale » de l’action publique peuvent ainsi voir dans les questions de développement durable une forme de concurrence, au niveau des problématiques à traiter, et donc de l’attribution des budgets, de la part d’acteurs plutôt issus de la sphère « environnementale ». Une forme de compétition existe ainsi entre les enjeux sociaux et les enjeux environnementaux, qui ne sont pas portés par les mêmes acteurs. Pourtant, nous avons largement illustré les liens étroits et interdépendants qu’entretiennent les enjeux environnementaux et sociaux. La question pressante du cumul des inégalités sociales et écologiques en est la meilleure illustration. Il est donc urgent de dépasser ces clivages inopportuns et de prendre conscience que la question du développement urbain durable constitue aussi un enjeu social. Notons que cette situation est probablement amenée à évoluer. A l’heure de boucler ce travail, nous constatons par exemple que la FGTB, l’un des plus grands syndicats de Wallonie, s’empare actuellement de la question du développement durable et organise un colloque sur le sujet.

1.6 Conclusions et positionnement du travail : nécessité et

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