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La PDQ : un méta-instrument qui se décline différemment selon les contextes

Chapitre II – Cadrage théorique

3.2. Analyse et évolution du « méta-instrument » PDQ

3.2.2 La PDQ : un méta-instrument qui se décline différemment selon les contextes

A y regarder de plus près, ce que nous désignons par le vocable « politique des quartiers » est un ensemble de politiques urbaines relativement hétérogènes en fonction des contextes. Elles portent d’ailleurs, c’est assez révélateur, des noms très différents. En France, elle est appelée « politique de la ville », au Canada, on parle de « Revitalisation Urbaine Intégrée » (RUI), au Royaume-Uni de « Neighbourhood Renewal Policies » et en Allemagne de « Soziale Stadt ».

En Wallonie, il n’y avait pas, jusqu’ici, d’appellation officielle ou communément admise, même si certains, comme Chevau et al (2008), ont parlé de « politique de la ville » pour désigner les dispositifs de soutien aux quartiers en difficulté existant en Wallonie, par mimétisme avec le contexte français. Ces dispositifs dépendaient, jusqu’à la 6ème réforme de l’Etat (2011) de différents niveaux de pouvoir: le niveau régional d’abord, avec les dispositifs « ZIP/QI »77, « Rénovation Urbaine » et « Régie de quartier78 », qui ont été développés à partir du début des années nonante, en s’inspirant du modèle français ; le niveau fédéral ensuite, avec la « Politique Fédérale des Grandes Villes » (PFGV)79. C’est cette dernière qui est devenue une compétence régionale lors de la 6ème réforme de l’Etat. Une réflexion de fonds a lieu en ce moment au niveau régional, visant à intégrer l’ensemble de ces dispositifs dans une « politique wallonne de la ville » cohérente. Toutefois, notons que dans sa définition actuelle, elle a non seulement pour objectif de soutenir les quartiers en difficulté mais aussi, plus généralement, de soutenir le développement des villes wallonnes. Elle se différencie donc de la « politique de la ville » française, même si elle portera le même nom.

Dans le cadre de ce travail, notre ambition n’est pas d’offrir une vue exhaustive sur les différentes déclinaisons de la PDQ, mais de montrer, au travers de quelques exemples, que ces déclinaisons correspondent à des conceptions plus ou moins différentes de l’intervention publique (Chevau et al, 2008), selon le poids relatif de l’influence de différentes « valeurs et modèles d’action » (cf. section 3.1.5). Par ailleurs, au niveau des objectifs poursuivis par la PDQ, même si le principal objectif reste toujours le soutien aux « quartiers en difficulté », on peut également observer des différences notoires entre contextes quant au poids relatif accordé aux objectifs de type « place », « people » ou « community » (cf. Donzelot et Mevel, 2001).

Les approches américaines, canadiennes et anglaises relèvent davantage du développement communautaire, d’abord appuyé par l’Etat puis poussé vers le secteur privé (Bacqué, 2003). Les fameuses Community Development Corporations jouent en effet un rôle central

77 Zones d’Initiatives Privilégiées – Quartiers d’Initiatives

78 Notons cependant que les Régies de quartier, qui assurent une présence indispensable dans les quartiers et jouent un rôle important d’insertion socioprofessionnelle, dépendent du ministre du logement, à l’inverse des deux autres

dispositifs, qui dépendent du ministre de l’aménagement du territoire. La PDQ en Wallonie ne bénéficie donc pas de son ministre comme en France. Les compétences sont morcellées au sein du gouvernement régional.

79 Compétence qui doit être régionalisée depuis la dernière Réforme de l’Etat et l’accord gouvernemental du 1er décembre 2011, mais ne l’est pas encore vraiment aujourd’hui.

aux Etats-Unis et au Canada, où le « local » se construit et se définit à partir de la community, comme entité sociale plutôt que comme territoire géographique80 (Bacqué, 2003). La community assure la gestion du « local », dont l’Etat s’occupe peu. Elle constitue donc un échelon local de la démocratie, assez indépendante. La capacité des populations à se prendre en charge est également très encouragée dans le modèle montréalais de la Revitalisation Urbaine Intégrée (Séguin et Divay, 2004). Au Royaume-Uni, l’influence des approches américaines est perceptible de sorte que la PDQ, bien que pilotée par les acteurs publics et en particulier par le gouvernement central, était également basée (jusqu’à sa suppression pure et simple en 2013) sur l’ « empowerement »81 des citoyens et des organisations communautaires. En Allemagne également, le programme « Soziale Stadt » cherche à mobiliser les énergies et ressources locales et s’appuie pour cela sur l’ « activation » des populations locales (Blanc, Emelianoff, et al, 2008).

A l’inverse, la politique de la ville française est une politique d’Etat, mise en œuvre par les collectivités territoriales (Bacqué, 2003). La gestion du « local » reste de la compétence des pouvoirs publics. Même si la participation des habitants y est encouragée, dans les faits elle est surtout une manière de légitimer les décisions, qui restent du ressort de l’appareil étatique. Les approches françaises ont par ailleurs tendance à se focaliser sur les opérations d’amélioration du cadre de vie (accent sur le volet physique, soit une approche de type « place »), conduites par les pouvoirs publics. Cette analyse vaut aussi pour la Wallonie, même si la PDQ y est dorénavant exclusivement portée par les autorités régionales.

Dans l’ensemble des contextes, la PDQ participe aussi de l’objectif dit « people », visant la réinsertion et la promotion sociale de publics fragilisés, via notamment des programmes de formation, mais aussi des mesures de discrimination positive ou encore une aide à la mobilité résidentielle ascensionnelle (par exemple le programme américain « Moving to Opportunity » ; cf. section 1.3.3).

Epstein (2013), comparant la PDQ en France et en Grande-Bretagne, explique leurs différences notamment par le fait qu’elles sont encastrées dans des modèles nationaux fort dissemblables sur le plan des traditions politiques, de l’organisation et du fonctionnement administratifs, de la forme et des réformes de l’Etat providence, ou des rapports entre les institutions publiques et la société civile (Garbaye, 2011). Ceci explique qu’à l’approche anglaise fondée sur la mobilisation conjointe des pouvoirs publics et des communautés locales, dont l’existence et les compétences sont reconnues, s’oppose un agenda « anti- empowerment » de la politique de la ville française (Kirszbaum, 2011), puisqu’elle s’est affirmée autour d’un impératif de « retour de la République dans les quartiers » et une défiance croissante à l’égard de toute forme d’organisation communautaire.

Pourtant, la politique de la ville française n’a pas toujours été sur cette ligne philosophique. Pour Epstein (2013), ce sont les réformes menées d’un côté et de l’autre de la Manche au tournant des années 2000 qui ont radicalisé l’opposition franco-britannique, avec un New Deal for Communities (NDC) affichant une ambition de développement communautaire et un Plan National de Rénovation Urbaine (PNRU) qui devait conjurer le spectre du

80 A l’inverse, dans les contextes français et belge, le quartier est défini selon un clivage essentiellement géographique. Selon les contextes, la notion de « quartier » fait donc référence soit à un périmètre incluant-excluant, soit est utilisée avec un certain flou, le quartier se définissant plutôt comme source de proximité, comme un pôle autour duquel s’organise la communauté, et auquel chacun est libre de se sentir rattaché ou non.

81 Terme dont la traduction en français n’est pas encore stabilisée: capacitation, autonomisation, pouvoir d’agir… (Bacqué et Biewener, 2013).

communautarisme (associé à tort au « développement communautaire » anglo-saxon ; cf Kieszbaum, 2011). Ceci s’est traduit, nous dit encore Epstein (2013), par des stratégies et des modèles d’action antagonistes, et ce malgré un objectif commun aux deux pays: « la loi Borloo a rabattu la politique de la ville sur une stratégie sectorielle et purement place- based de banalisation urbaine82 qui devait conduire au rétablissement de la mixité sociale (et, implicitement, ethno-raciale) par la dispersion spatiale des pauvres et l’attraction dans les quartiers rénovés d’habitants moins défavorisés. Cette perspective de mixité exogène était en revanche absente du NDC et de la National Strategy for Neighbourhood Renewal (NSNR)83, qui privilégiaient une stratégie de développement social endogène, appuyée sur la mobilisation de toutes les parties prenantes de la gestion des quartiers dans le cadre de projets transversaux articulant la requalification des lieux et la promotion sociale des résidents ».

Ces différences contextuelles, qui reflètent donc avant tout des différences en termes de « valeurs et modèles d’action » mais également en termes de représentation du problème, nous montrent bien les limites de la comparaison entre les différentes versions de la PDQ. Certains acteurs et observateurs, soit qu’ils ne sont pas conscients de ces différences, soit qu’ils le sont pertinemment, peuvent néanmoins soutenir des transferts de pratique d’un contexte à l’autre, qui contribuent alors à l’hybridation des modèles et à l’évolution générale du méta-instrument « politique des quartiers ».

En ce qui concerne la plus ou moins grande pertinence de ces différentes approches, et en particulier la comparaison et la courante opposition faite entre les extrêmes que constituent la politique de la ville française, qui privilégie une approche « place », et les PDQs anglo- saxonnes qui privilégient les approches « people » et « community », nous tirons la conclusion qu’aucune ne constitue une panacée et qu’une combinaison des trois approches correspond mieux au problème de départ, qui est lui aussi multi-dimensionnel. Comme le dit Daniel Béhar (cf. Jazouli et Loubière, 2011 ; p. 41), « la question aujourd’hui n’est ni celle des catégories de publics ni celle des catégories de territoires, c’est de réinventer les deux. Et comment agir sur cette dialectique public / territoire autrement ».

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