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Chapitre II – Cadrage théorique

3.2. Analyse et évolution du « méta-instrument » PDQ

3.2.1 Modes d’action et récurrences méthodologiques de la PDQ

La PDQ se traduit en pratique par un certain nombre de grands principes méthodologiques que l’on retrouve dans la plupart des contextes urbains occidentaux, y compris dans le contexte wallon (Ruelle et al, 2013), et qui sont le résultat des processus d’ajustements et de mises en convergence illustrés à la section 3.1.

i. Portage national (ou régional):

Avant toute autre chose, il faut signaler que même si l’action prend place au niveau très local des quartiers, la PDQ est une politique qui reste pilotée à un niveau stratégique (l’Etat ou la Région généralement, plus rarement la Ville), c’est-à-dire un niveau de gouvernement qui se veut « au-dessus de la mêlée », avec l’idée d’assurer une forme de justice redistributive entre les territoires en soutenant ceux qui sont les plus en difficulté. ii. Définition de zones prioritaires (approche territorialisée):

Une série de quartiers sont reconnus et identifiés comme prioritaires, principalement sur base d’indicateurs statistiques défavorables par rapport à une moyenne prise à l’échelle de la ville, de la région ou du pays. Les indicateurs concernent généralement surtout le profil de la population, leurs niveaux socioéconomiques et l’état du bâti.

iii. Engagement d’un « pilote » pour chaque quartier:

Cela se traduit par l’engagement d’un coordinateur, d’un « chef de projet » ou d’un neighbourhood manager, interlocuteur public privilégié au niveau local (volonté de se rapprocher du citoyen) et responsable du pilotage des opérations visant la « remise à niveau » du quartier. Son rôle est généralement aussi de chercher à coordonner et « animer » le réseau des acteurs locaux, afin de favoriser l’innovation locale et une auto- prise en main du quartier par ses acteurs locaux.

iv. Mise en place d’une structure publique de quartier:

La création au sein du quartier d’un « lieu » (« régie de quartier » ou autre struture apparentée) permet généralement de donner corps à la démarche, de la rendre visible et proche du public-cible.

v. Travail en partenariat et appel à la créativité:

Les agents officiels de la PDQ (« chefs de projet » ou « managers de quartier ») sont encouragés à travailler en réseau et à construire des partenariats avec d’autres acteurs locaux : autres acteurs publics locaux, acteurs associatifs ou organisations communautaires, écoles, associations de commerçants, groupements de citoyens, associations et acteurs culturels, entreprises locales, etc. Ils sont encouragés à trouver, ensemble, des solutions originales aux problèmes rencontrés par le quartier, et adaptées à son contexte spécifique. Ce point traduit la volonté de reporter la responsabilité du développement, avec l’idée d’un développement endogène qui repose sur la mobilisation des ressources locales (Pinson, 2004). Il s’agit de substituer à la conception traditionnelle descendante de l’action publique, une approche « remontante » (Estèbe, 2004).

vi. « Projet de quartier » pour une approche transversale ou « intégrée » :

L’action se concrétise généralement par la définition préalable et collective d’une « vision » ou d'un « projet de quartier » matérialisant une approche holistique ou intégrée, c’est-à-dire visant à la fois la rénovation physique, la redynamisation économique, ou encore la réinsertion sociale et professionnelle de publics fragilisés. Ainsi, comme le met en évidence Pinson (2004 ; p. 37), la PDQ est principalement mise en œuvre au travers d’une démarche de projet, qui allie volontarisme et indétermination.

vii. Traduction du « projet » en plan d’action:

Des objectifs opérationnels sont généralement formalisés de manière détaillée à l’échelle de chaque quartier74, sous la forme de plans d’action. Ceux-ci comprennent généralement des investissements visant à améliorer l’aspect physique du quartier et à ainsi restaurer son

74 A l’inverse de l’échelle stratégique, c’est-à-dire régionale ou nationale, où le but ultime de la PDQ reste souvent vague comme on l’a vu à la section précédente.

attractivité (réhabilitation du bâti et création de logements de qualité, réaménagement des espaces publics, création d’espaces verts, etc.), mais aussi des projets qui contribuent au développement social et économique du quartier (développement d’activités de services à la population locale, programmes de réinsertion sociale et soicioprofessionnelle de publics fragilisés, permanences et aides à la recherche d’un emploi ou d’un logement, etc.). Ces derniers sont généralement portés par les maisons de quartier et autres régies, et peuvent être vues comme l’héritage des luttes urbaines et des premières recherches-actions urbaines menées dans les années 1970 (cf. sections 2.5 et 3.1.5).

viii. Démarche participative:

La PDQ porte en elle l’idée de participation citoyenne et associative découlant des nouveaux mouvements sociaux et de l’idée de développement local (cf. section 3.1.5). Les acteurs associatifs locaux et les habitants sont invités à s’exprimer dans le cadre de la conception du « projet de quartier ». Ensuite, la démarche participative se concrétise par la création d’espaces locaux de discussion (« conseils de quartier », « commissions de rénovation urbaine », community development centers,…). Il s’agit de permettre aux habitants et acteurs locaux de participer aux discussions sur les opérations en cours, mais aussi de tenter de les responsabiliser vis-à-vis de leur quartier.

ix. Faiblesse des moyens financiers:

La PDQ se concevait en effet comme un « levier » qui allait permettre de ramener les les quartiers en décrochage dans une dynamique de développement vertueuse, ce qui explique que dans la plupart des contextes, elle reste marginale du point de vue du budget qui lui est consacré. L’hypothèse posée au départ était que pour chaque euro investi, la PDQ en rapporterait 4 ou 5 (voire plus), en suscitant le réinvestissement et la réappropriation des quartiers. Par exemple, on pensait que si l’acteur public s’occupait de réaménager l’espace public et de réhabiliter les bâtiments les plus délabrés, on allait attirer le réinvestissement privé sur le reste du tissu bâti. L’expérience a montré que c’était malheureusement loin d’être toujours le cas (en raison de barrières techniques et économiques diverses, et de perceptions négatives tenaces, cf. chapitre I). Par ailleurs, la PDQ compte aussi, comme nous l’avons vu, sur la bonne volonté des acteurs locaux et leur capacité à mobiliser d’autres types de fonds (publics et/ou privés). Ceci illustre l’influence du modèle néolibéral basé sur la concurrence.

Rapidement, Le Galès (1995), comparant les contextes français et anglais, a dénoncé le manque de moyens consacré à la PDQ. Comme le note également Bénédicte Madelin interrogée au sujet de la politique de la ville (cf. Jazouli et Loubière, 2011 ; p. 38), « il y a un vrai décalage entre une politique dont on parle beaucoup et, en même temps, une politique résiduelle par rapport à l’ensemble des politiques publiques, notamment sociales ». Et Bénédicte Madelin de rappeler que la politique de la ville occupait le devant des débats en 2002, lors du deuxième tour Chirac - Le Pen, alors qu’elle représentait seulement 0,36 % du PIB. Même si le budget de la politique de la ville a été temporairement révalorisé entre 2003 et 200775 (Epstein, 2013), il a depuis été revu à la

75 Les deux exceptions les plus connues à la faiblesse chronique des moyens consacrés à la PDQ sont la PDQ anglaise mise en place à la fin des années 90 et jusque 2004 environ, et la PDQ française mise en place en 2003 avec l’arrivée de Jean-Louis Borloo comme ministre responsable (cf. section 3.2.3). Comme l’explique Epstein (2013), à la fin des années 90, les gouvernements de Tony Blair et de Lionel Jospin initient d’ambitieux programmes de régénération de quelques dizaines de quartiers emblématiques de l’exclusion socio-spatiale, qui ont été prolongés et étendus par la suite dans le

baisse: à titre d’exemple, selon Epstein (2011), pour l’année 2009 il représentait 0,96% du budget de l’Etat (alors que les ZUS rassemblent environ 7% de la population française). La faiblesse des moyens financiers de la PDQ s’explique aussi par un consensus tacite sur le fait qu’elle ne peut se substituer à certaines politiques plus généralistes (politiques d’aide sociale, politiques du chômage, des pensions, etc.), qui contribuent par ailleurs elles aussi à atténuer certaines difficultés sociales au sein des quartiers en difficulté. Certains auteurs ont d’ailleurs explicité cette idée que la PDQ est un instrument de gouvernance urbaine utile, mais qui doit rester complémentaire aux outils plus stratégiques ou à portée plus universelle, auxquels elle ne peut se substituer (Séguin et Divay, 2004 ; Hamzaoui, 2002). Cependant, comme le note Epstein (2011), si en théorie, les moyens spécifiques de la PDQ viennent s’ajouter à ceux engagés par les politiques de droit commun de l’État et des collectivités, pour compenser les inégalités de traitement résultant notamment de ces politiques76, en pratique, les moyens supplémentaires de la politique de la ville ne suffisent pas à compenser les inégalités de traitement résultant des autres politiques publiques (Treguer, 2001; Fourcade, 2005) et de l’inéquitable distribution territoriale des bases fiscales, qui se combinent au détriment des quartiers pauvres.

Les neuf caractéristiques que nous venons d’énoncer constituent en quelque sorte l’essence de la PDQ. C’est à ces caractéristiques que la plupart des gens pensent quand on parle de PDQ. Si nous reprenons le modèle que nous avons proposé dans le deuxième chapitre, la PDQ est donc un IAP relativement « lâche », c’est-à-dire qui laisse une marge de manœuvre importante aux acteurs-utilisateurs chargés de sa mise en œuvre, voire même qui reporte vers eux la responsabilité de l’innovation puisqu’elle affirme ouvertement qu’elle compte sur eux pour trouver des solutions originales et adaptées aux problèmes rencontrés dans les quartiers. L’encadré ci-dessous illustre les caractéristiques de la PDQ et son mode de fonctionnement pour un quartier anglais bénéficiant de son soutien.

Illustration de ces modes d’action: le quartier ‘Burngreave’ à Sheffield.

La mise en œuvre du New Deal for Communities (NDC) est passée par la création d’organisations partenariales à l’échelle du quartier, chargées de la mise en œuvre de la politique dans les quartiers: les ‘New Deal for Communities Partnerships’. A titre d’exemple, il existait une organisation de ce type pour le quartier ‘Burngreave’ à Sheffield : BNDfC ou Burngreave New Deal for Communities. Ces organisations étaient financées par le gouvernement central, et plus spécifiquement par la Neighbourhood Renewal Unit (cf. section 3.2.3). BNDfC a par exemple reçu 52m£ pour travailler à la régénération du quartier sur une période de 10 ans, entre 2001 et 2011. Concrètement, BNDfC utilise ce budget pour financer et soutenir des projets qui associent les citoyens, les organisations bénévoles et communautaires, les agences publiques, les autorités locales et les entreprises, afin de lutter contre les problèmes rencontrés dans le quartier et générer des améliorations durables quant à l’évolution du quartier. Au total, 39 quartiers anglais ont bénéficié du même type de soutien.

Notons également d’ores et déjà que certaines des caractéristiques énoncées ci-dessus correspondent assez avec notre vision des processus de transition durable des quartiers (cf. section 1.6), et notamment l’idée de travail en réseau associant différents types d’acteurs (publics, associatifs, citoyens, etc.) ou encore l’idée de construction collective et contextualisée d’une trajectoire de développement. Nous y reviendrons à la section 3.3.

cadre de vastes plans nationaux de réduction des écarts territoriaux. Ensuite, pendant la première décennie des années 2000, la PDQ a bénéficié, des deux côtés de la Manche, de moyens budgétaires et de soutiens politiques inédits, qui l’ont fait sortir du registre symbolique auquel elle semblait condamnée.

Mais revenons pour l’heure à la description de la PDQ. Nous allons voir dans les sections suivantes que les neuf caractéristiques énoncées ci-dessus ne constituent en réalité qu’un méta-portrait de la PDQ : selon les périodes et les contextes, ce modèle de base s’enrichira de conceptions complémentaires de l’action publique ou sera au contraire égratigné.

3.2.2 La PDQ : un méta-instrument qui se décline différemment selon

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