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Chapitre II – Cadrage théorique

2.1 Pourquoi le choix de ces cadres théoriques ?

Tout d’abord, notre travail se focalise sur la question de l’action publique en vue de soutenir la transition durable des quartiers urbains. Mais comme nous l’avons vu dans le premier chapitre de la thèse, le processus de transition durable est complexe et éminemment collectif. Il s’agit plus d’une question de gouvernance (urbaine en l’occurrence) que de gouvernement, puisque comme nous l’avons vu, l’acteur public ne peut régler à lui seul tous les problèmes qui se présentent dans les quartiers et notamment, assurer leur transition durable. Il s’agit donc de redéfinir le rôle de l’acteur public, mais aussi celui d’autres acteurs, comme les acteurs associatifs, les acteurs privés et les citoyens, sans oublier les chercheurs. Il était donc essentiel de s’appuyer sur des modèles théoriques qui intègrent cette idée de travail en réseau, impliquant une diversité d’acteurs. Et cette idée, nous allons le voir, est absolument centrale dans les quatre cadres théoriques que nous mobilisons.

Par ailleurs, le champ de recherche qui s’est formé autour des « transitions durables » (sustainability transitions) s’appuie ouvertement sur la sociologie de l’innovation. Comme nous l’avons indiqué à la section 1.6, ce champ de recherche envisage la transition durable sous l’angle du « système sociotechnique » c’est-à-dire d’un réseau composé à la fois d’actants humains (contexte institutionnel et social,…) et non-humains (techniques et technologies, normes et règlements,…). La « sociologie de l’acteur-réseau » (SAR), théorie proposée notamment par Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour (2006) et qui fait aujourd’hui partie des fondamentaux de la sociologie de l’innovation, est à la base de cette idée de système sociotechnique, qu’elle nomme « acteur-réseau ». Elle est donc susceptible de nous fournir des clés de lecture des processus de transition durable. L’action publique sur laquelle nous avons choisi de concentrer notre travail constitue elle aussi un système socio-technique, et donc un acteur-réseau, souvent stable et hérité du passé. La SAR nous permettra donc de mieux comprendre les résistances qui apparaissent lorsqu’un changement est envisagé dans les modalités de son exercice, et nous fournira également des pistes pour comprendre quels sont les approches et passages obligés pour faire évoluer cette action publique.

La SAR nous permettra enfin de commencer à réfléchir au rôle potentiel du chercheur et de l’activité scientifique en général dans cette démarche d’adaptation de l’action publique en vue de soutenir la transition durable des quartiers, réflexion qui sera poursuivie plus loin et approfondie avec la méthode de recherche-action. Le cadre théorique que constitue la SAR nous semblait donc à plus d’un titre incontournable.

« L’approche par les instruments » est une grille de lecture de l’action publique proposée par Bruno Lascoumes et Patrick Le Galès (2004), qui s’appuie largement sur la SAR52 et met en évidence à quel point l’action publique repose et s’appuie sur des « instruments ». Ce cadre théorique semblait donc un complément tout indiqué à la SAR étant donné notre sujet de recherche. La SAR et l’approche par les instruments sont par ailleurs assez

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Michel Callon, l’un des principaux contributeurs à la théorie de l’acteur-réseau, a d’ailleurs collaboré avec Pierre Lascoumes, notamment dans le cadre de l’ouvrage suivant: Callon, Lascoumes et Barthes (2001), Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil.

complémentaires dans la mesure où la première relève surtout de la sociologie des sciences et de l’innovation, c’est-à-dire qu’elle s’intéresse avant toute chose à la fabrique du savoir et des innovations, soit à des processus qui se situent en amont de l’action proprement dite, tandis que la seconde, bien qu’intéressée également par les processus d’innovation, s’aventure également du côté de la sociologie de l’action. En particulier, l’approche par les instruments s’intéresse aussi à l’exercice quotidien de l’action publique, et à ce qu’implique l’utilisation des « instruments d’action publique » (IAP).

Par ailleurs, l’approche par les instruments nous permettra de mieux comprendre les conditions nécessaires pour que puissent se créer et s’installer de nouvelles pratiques de gouvernance urbaine en faveur de la transition durable des quartiers. En particulier, elle suggère que toute modification de l’action publique nécessite de passer par une révision des instruments d’action publique (IAP) ou par la création de nouveaux instruments. Ce passage par les instruments serait une manière de rendre possible la collaboration entre les différents acteurs concernés, porteurs de différentes représentations, valeurs et idées. Les processus de production du savoir et des innovations ont par ailleurs donné lieu au développement d’un véritable champ de recherche, dont les représentants (Gibbons et al, 1994; Etzkowitz et Leydesdorff, 1995; Edquist, 1997; Lundvall et al, 2002; etc.) ont proposé une série de concepts et modèles dont certains ne sont pas encore stabilisés mais qui mettent en évidence une évolution constante au cours des dernières décennies vers des modes de production plus ouverts, avec notamment le déplacement de la production du savoir et de l’innovation du giron des universités et des entreprises vers des groupements hybrides, des réseaux d’acteurs dont les compétences et les rôles au sein de la société sont différents mais complémentaires. D’après ces auteurs, cette évolution serait liée à la complexité croissante des problèmes à traiter, associée depuis peu à l’intégration des enjeux de développement durable. Etant donné notre sujet de recherche, nous ne pouvions donc pas passer à côté de ces modèles.

La SAR, l’approche par les instruments et les modèles récents en matière de production du savoir et des innovations nous fournissent donc avant tout des grilles de lecture. Elles nous fournissent également quelques pistes méthodologiques en vue de soutenir la recherche et l’innovation en matière de gouvernance urbaine et de transition durable. Mais c’est aussi et surtout sur le cadre méthodologique que constitue la « recherche-action » que nous nous appuierons pour soutenir ces démarches d’innovation et de transition durable. Cette méthodologie, exploratoire et non-déterministe porte par ailleurs en elle une double démarche: transformer la réalité (dimension « action »), tout en construisant des connaissances sur ces transformations (dimension « recherche »). Par ailleurs, elle est reconnue comme étant un puissant vecteur de « changement social » et d’apprentissage collectif. Toutes ces caractéristiques ne sont pas sans rappeler les processus de transition durable tels que nous les avons décrits à la section 1.6. La recherche-action pourrait donc contribuer à les soutenir.

Ces quatre modèles théoriques nous fournissent donc des grilles d’analyse et méthodologiques complémentaires. Elles présentent toutes un intérêt pour notre travail de recherche, et sont par ailleurs convergentes. En effet, il existe par exemple une proximité évidente entre la SAR et la recherche-action, que nous développerons à la section 2.5. La recherche-action complète par ailleurs la SAR et les modèles récents de production du savoir et de l’innovation en fournissant également une vision assez claire et éprouvée du rôle que peuvent jouer les chercheurs dans ces processus. C’est pour toutes ces raisons que

nous avons choisi de ne pas nous limiter à un seul de ces quatre cadres théoriques, mais au contraire de nous nourrir de chacun d’eux et d’en retenir le ou les éléments les plus intéressants afin de construire sur cette base un modèle d’innovation en deux volets (analytique et méthodologique), adapté à notre sujet de recherche. Les cadres théoriques mobilisés ici étant de toute façon toujours en mouvement53, pourquoi devrions-nous en effet les considérer comme figés et les prendre tels quels et isolément ?

Le volet analytique de notre modèle sera mobilisé dans le troisième chapitre de la thèse, dans lequel nous intéresserons à une modalité récente de l’action publique (la « politique des quartiers »), à la manière dont elle s’est mise en place et à son potentiel en matière de soutien à la transition durable des quartiers. Dans le quatrième chapitre de la thèse, qui concerne l’expérience du projet Interreg SUN, nous mobiliserons le volet méthodologique de notre modèle, soit principalement la recherche-action. Enfin, à la fin de ce quatrième chapitre, nous mobiliserons à nouveau le volet analytique de notre modèle, principalement la SAR, pour une analyse critique de la recherche-action développée dans le cadre du projet SUN.

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