• Aucun résultat trouvé

Chapitre II – Cadrage théorique

3.1 Genèse et institutionnalisation de la PDQ

3.1.7 Conclusions et conséquences pour notre modèle d’innovation

Au fil des sections précédentes, nous avons mis en évidence que la PDQ est une construction collective et non le fait d’une personne ou d’un groupe de personnes en particulier. Nous avons montré qu’elle n’est pas non plus associée à un mouvement politique. Au contraire, la PDQ est une construction sociotechnique qui s’apparente à un vaste acteur-réseau au sens où l’entendent Callon et Latour, qui tente de répondre à un « problème » flou mais que fait de plus en plus l’objet d’un consensus, celui des « quartiers en difficulté ». On retrouve en effet dans cette construction l’ensemble des ingrédients qui avaient été identifiés dans notre modèle (cf. section 2.6):

- un phénomène, qui prend réalité et devient un problème de plus en plus reconnu d’abord en raison d’une évolution du regard posé sur la fragmentation socio-spatiale, puis plus tard par sa mesure et son « objectivation » à l’aide d’instruments statistiques ; - des acteurs engagés, qui ont des représentations contrastées et des objectifs parfois

divergents, mais se saisissent du problème et tentent d’y trouver des solutions ;

- des valeurs et modèles d’action, qui sont eux-mêmes le résultat de tendances lourdes en matière d’action publique d’une part (découlant notamment d’une économie en cours de mondialisation) et de nouvelles revendications sociales d’autre part ;

- des représentations (imparfaites) des futurs acteurs-utilisateurs de la PDQ et du contexte de l’action.

Mais cette construction n’a pas été un processus simple, qui coulait de source. Au contraire, la nécessaire rencontre et mise en cohérence de mouvements aussi antagonistes et contradictoires que le néolibéralisme et les nouveaux mouvements sociaux, de même que l’alignement d’acteurs aux intérêts aussi divergents que les représentants de l’Etat, les élus locaux et les associations locales, se sont faits au travers d’ « épreuves » successives. Par ailleurs, nous pouvons également noter à quel point la construction de la PDQ a été un processus lent et très progressif, qui s’inscrit dans un contexte préexistant et se réalise par ajustements successifs et non par rupture, même si certains auteurs ont tenté, après coup, de fixer précisément une date de naissance pour la PDQ. Le cas français est illustratif (cf. encadré ci-dessous), mais le cas anglais l’est tout autant puisque nous l’avons vu, le gouvernement Major avait mis en place, dès le début des années 90, les bases de la PDQ anglaise, sur lesquelles le gouvernement Blair s’est ensuite appuyé pour la développer davantage (cf. section 3.1.4).

Quelle date de naissance pour la politique de la ville ?

Le cas de la politique de la ville en France est illustratif de l’idée d’évolution lente puisque les scientifiques ne savent pas très bien à quel moment exact situer sa naissance: En 1977 avec les opérations Habitat et Vie Sociale (HVS)? Ou à l’automne 1981 avec la création de la commission Dubedout? (Jazouli et Loubière, 2011). Thibault Tellier (Jazouli et Loubière, 2011, p.39) remonte même plus loin: « La date de 1981 présentée comme une rupture doit être selon moi ré- interrogée. Il me semble qu’il y a aussi une continuité entre la procédure dite HVS et celle du DSQ. Certes, un autre contexte politique est à l’œuvre mais, en même temps, quand on regarde qui mène cette politique dans les années 1981- 1984, on retrouve des gens qui ont déjà participé activement à son invention dans les années 1970. On pourrait citer ici Dominique Figeat, premier secrétaire général de la CNDSQ, et bien sûr Hubert Dubedout. Ce qu’engage ce dernier à partir de 1981 est très largement inspiré de sa propre gestion de maire menée dans les années 1970. Il me semble surtout que, jusqu’au début des années 1990, on reste globalement dans une politique de rattrapage par rapport aux manques pointés de la Ville des Trente Glorieuses ». En somme, les HVS sont utilisées pour terminer les ZUP73 initiées. Ce qui est assez frappant dans les opérations HVS des années 1970, dit encore Thibault Tellier, c’est le discours suivant: « On n’a pas terminé les quartiers, on n’a pas achevé les équipements sociaux, alors cette politique va permettre, précisément, de finir ce qui a été entrepris ». Et Thibault Tellier de poursuivre son raisonnement : « J’ai donc l’impression que, jusqu’aux années 1983-1984, on achève la politique urbaine des Trente Glorieuses, avec ce que j’appellerais "l’humanisation de béton”. Si je devais parler de rupture en ce qui concerne la politique de la Ville, je la placerais plutôt dans les années 1990-1991 où il y a un phénomène d’institutionnalisation de cette politique. On crée d’abord, en 1988, la Délégation Interministérielle à la Ville, puis un ministère de la Ville, fin 1990 ».

La PDQ n’est donc pas née d’une page blanche, mais s’est appuyée largement sur des outils, des structures et des réseaux d’acteurs préexistants. Cette observation est de nature à compléter le modèle que nous avons proposé en deuxième partie du travail, dont la formulation actuelle peut donner l’impression que certains IAPs sont « inventés » de toutes pièces à un instant T, dans un processus relativement linéaire de traduction, alors qu’en

73 Zones à urbaniser en priorité (ZUP): procédure utilisée en France dans les années 60 afin de répondre à la demande croissante de logements. Les ZUP ont donné les grands ensembles de logements.

réalité, ils émergent très lentement et sont toujours le résultat d’ « ajustements » successifs comme l’illustrent les figures 3.1 et 3.2: combinaison ou rationalisation d’instruments préexistants, améliorations apportées aux instruments existants sur base de transferts de pratiques d’un contexte à l’autre, etc. Comme Lorrain (2004) nous l’explique: « Enfin, bien peu ont prêté attention aux remarques latérales de Braudel sur le poids des routines (Braudel, 1985) ou ont suivi la piste incrémentale proposée par North et les néo- institutionnalistes (North, 1990), selon laquelle les « institutions » se construisent bien plus par ajouts et adaptations à la marge que par grandes ruptures (guerre, révolutions). Ceci nous invite à explorer la piste du temps long et à accorder de l’importance au travail silencieux de la société sur elle-même ».

Figure 3.1 – Adaptation d’IAPs suite à l’émergence de nouveaux enjeux.

Enfin, étant donné la proximité entre acteurs publics et chercheurs au cours de la construction de la PDQ dans les deux contextes français et anglais illustrés plus haut, un rapprochement avec la démarche de recherche-action est assez tentant, d’autant plus qu’il y a d’autres similarités comme notamment le caractère indéterminé ou expérimental de la démarche. Cependant, le processus de construction de la PDQ n’a pas du tout été formalisé ni structuré comme une recherche-action au sens où nous l’entendons dans notre modèle, le caractère indéterminé de la démarche étant par exemple rarement assumé par les responsables politiques et publics. Par ailleurs, la collaboration entre acteurs publics et chercheurs s’est généralement limitée à quelques étapes clés, en particulier la phase de diagnostic et de problématisation puis éventuellement, plus tard, d’évaluation. Acteurs et chercheurs n’ont ainsi pas été rassemblés « officiellement » et durablement au sein d’une même équipe de travail, comme cela se fait tout au long d’une recherche-action. Par ailleurs, comme nous l’avons vu dans le deuxième chapitre de notre travail (et en particulier la SAR), la PDQ n’est ni la première ni la dernière politique publique a avoir été alimentée par le monde scientifique et/ou à avoir commandé et donc orienté certaines études scientifiques. Par contre, la méthodologie que constitue la recherche-action eut sans doute été utile pour davantage structurer la démarche et assumer pleinement son caractère expérimental, mais aussi et surtout pour assurer une meilleure évaluation et capitalisation des connaissances produites.

Outline

Documents relatifs