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Le rapport des settlement and removal laws avec la nationalité fédérée

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 196-200)

B. La consécration tardive de la liberté d’établissement (XXe siècle)

3. Le rapport des settlement and removal laws avec la nationalité fédérée

233. Il est nécessaire à ce stade de montrer l’influence des législations relatives à

l’établis-sement et au renvoi des indigents sur l’accès à la nationalité américaine. De fait, sans avoir été explicitement pensées ou théorisées ainsi, les législations sur les pauvres constituent des prévi-sions supplémentaires quant à l’acquisition de la nationalité fédérée.

234. La fondation de la nationalité fédérée sur un critère de résidence. – Pour mieux

comprendre cette relation, il faut brièvement détailler les principes qui régissent le droit de la nationalité américaine. Dans l’Amérique coloniale, c’est le droit anglais qui s’applique, il y coexiste donc deux voies d’accès à la nationalité : l’attribution par le droit du sol (le territoire des colonies, comme celui de l’Angleterre, est placé sous la souveraineté royale), et l’acquisi-tion par la naturalisal’acquisi-tion, qu’elle soit prononcée par le Parlement de Westminster (accès au plein statut de citizen) ou le Roi (accès au statut inférieur de denizen)842. Progressivement, face à l’afflux migratoire de sujets étrangers, les colonies adoptent chacune leur propre forme de naturalisation (« colonial naturalization ») sans grande concertation sur les critères d’accès ou sur les effets territoriaux de celle-ci – la naturalisation prononcée par la colonie du Massachus-setts ne vaut pas forcément pour la Caroline – et cette accaparation du pouvoir de naturaliser ne va pas sans résistance de la part du pouvoir anglais843. La Révolution américaine achevée,

841 Note (Editorial Board), « Depression Migrants and the States », op. cit., p. 1034, note 16. À cette époque, les États utilisent souvent leurs forces de police ou des patrouilles civiles pour renvoyer les indigents, en dehors de tout cadre juridique, voy. Frank L. Dunlap, « Constitutional Law : Power of States to Prevent Entry of Paupers from Other States », California Law Review, 1938, vol. 26, n° 5, p. 603-610.

842 Plus tard, en 1740, le Parlement de Westminster déléguera son droit aux colonies pour faciliter la naturalisation des étrangers sous une condition de résidence de sept années, voy. James H. Kettner, The Development of American

citizenship (1608-1870), op. cit., p. 65 s.

les colons perdent leur qualité de sujet d’un même Roi et recréent une forme d’unité juridique et politique sous l’empire de la Constitution confédérale de 1777 : les ressortissants de chaque Etat fédéré, moyennant les exceptions déjà évoquées, ont droit aux privilèges et immunités des citoyens dans chacun des autres Etats fédérés. Pour autant, chaque Etat fédéré demeure maître des conditions d’accès à sa nationalité. En matière d’attribution, la règle est uniforme, c’est celle du droit du sol ; en revanche, dans la continuité de la période prérévolutionnaire, chaque Etat dispose de sa propre législation sur la naturalisation. Madison critique durement cet état juridique : « la dissemblance des règles de naturalisation est depuis longtemps jugée comme une faute de notre système politique »844. De fait, les étrangers peuvent aller chercher leur na-turalisation dans l’Etat disposant en la matière de la législation la plus favorable, puis venir s’installer ensuite dans n’importe quel autre Etat fédéré et être traité en citoyen de celui-ci, moyennant l’application de l’article 4 de la Constitution confédérale845. Les critiques sont en-tendues et la nouvelle Constitution de 1787 prévoit la compétence exclusive du Congrès pour « établir une règle uniforme relative à la naturalisation » (art. I, section 8, 4.), c’est chose faite dès 1790846.

235. Dès lors, l’ensemble des États fédérés disposent des mêmes règles pour déterminer

leurs nationaux, que ce soit par le droit du sol ou la naturalisation. Émerge alors dès les années 1800, dans la jurisprudence des juges fédérés, le système de nationalité fédérée par la rési-dence : puisque tous les Américains accèdent à la nationalité de la même manière, leur natio-nalité fédérée est déterminée par leur résidence dans un Etat particulier847. La Cour suprême confirme cette interprétation dans un arrêt Shelton v. Tiffin rendu en 1848 : « Lors d’un chan-gement de domicile d’un État à l’autre, l’accès à la citoyenneté dépend de l’intention de l’indi-vidu. Et cette intention est mieux montrée par les actes que par les déclarations. »848 La domi-ciliation juridique – le terme est plus rigoureux que la notion de résidence849 – emporte donc

844 James Madison, « XLII. General view of the powers proposed to be vested in the union – The same view continued », op. cit., p. 231 : « The dissimilarity in the rules of naturalization, has long been remarked as a fault

in our system (…). »

845 Voy. les critiques de Joseph Story, Commentaries on the Constitution of the United States, Boston, Hilliard, Gray and Company, Cambridge, Brown, Shattick and Company, 1833, 1ère éd., n° 1097-1099, p. 1-3 et n° 1799-1800, p. 673-675.

846 Act to establish an uniform Rule of Naturalization, 26 mars 1790, in Richard Peters (dir.), United States Statutes

at Large, I, Boston, Chales C. Little et James Brown, 1845, p. 103-104 et la note sur les révisions successives. 847 Voy. James H. Kettner, American citizenship (1608-1870), op. cit., p. 262-263.

848 United States Supreme Court, Shelton v. Tiffin, 47 U.S. 163 (1848), ici 185.

849 Voy. Willis L. M. Reese et Robert S. Green, « That Elusive Word, “Residence” », Vanderbilt Law Review, 1953, vol. 6, p. 561-580.

l’accès à la nationalité fédérée, dès lors que l’individu est soit né dans un Etat fédéré américain, soit naturalisé en vertu de la législation fédérale.

236. Ce principe comprend toutefois une exception notable : en application de théories

ra-ciales, la naissance dans certains États fédérés du Sud – esclavagistes – ne confère pas la natio-nalité aux Noirs-Américains. Dès lors, ces personnes ne disposant pas de la nationatio-nalité fédérée, ils ne peuvent se prévaloir de l’appartenance à la communauté nationale, que ce soit dans leur Etat de naissance ou dans un autre État fédéré. La Cour suprême confirme cette exception dans une célèbre affaire Dred Scott v. Sandford rendue en 1857 sous la plume de son Chief Justice, Roger Taney. Dans cette décision, Taney confirme que « parmi les compétences que les États possèdent indiscutablement se trouve celle de déterminer quelles personnes doivent ou ne doi-vent pas être considérées comme des citoyens. »850 En particulier, excluant de ce principe les règles relatives à la naturalisation (constitutionnellement réservées au Congrès), le juge consi-dère que « la Constitution a laissé aux États le soin de déterminer quelles personnes, parmi celles nées sur leur territoire, devaient obtenir la nationalité des États-Unis par la naissance. »851

Autrement dit, si les États fédérés sont constitutionnellement liés par les règles fédérales rela-tives à la naturalisation, ils demeurent libres d’appliquer le droit du sol (d’en exclure l’applica-tion en réalité) selon leurs propres critères, et ainsi exclure, le cas échéant, les populal’applica-tions noires-américaines. Ces individus exclus du droit du sol dans leur État de naissance ne peuvent donc pas être considérés comme des citoyens et accéder aux privilèges et immunités de l’article IV de la Constitution. La défaite militaire du Sud en 1865 lors de la Guerre de Sécession ouvre finalement la voie à l’adoption d’un XIVème amendement constitutionnel en 1868, explicitement prévu pour renverser cette jurisprudence. Il dispose : « Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis et de l’État dans lequel elle réside. » (sect. 1) Par ce nouvel amendement, les règles relatives à l’obtention de la nationalité par le droit du sol sont fédéralisées, autrement dit les États fédérés n’ont plus de compétence juridique pour discriminer entre les individus nés sur leur territoire. Ainsi, les personnes noires-américaines accèdent toutes à la nationalité fédérée de l’État dans lequel elles sont nées, ou, après une mobilité interétatique, de l’État dans lequel elles résident. Le XIVème amendement

850 United States Supreme Court, Dred Scott v. Sandford, 60 U.S. 393 (1857), ici 579 : « Among the powers

unquestionably possessed by the several States, was that of determining what persons should and what persons should not be citizens. ».

851 Ibid. 582 : « The Constitution has left to the States the determination what persons, born within their respective

consacre ainsi la position déjà arrêtée par la jurisprudence selon laquelle, une fois né ou natu-ralisé aux États-Unis, la nationalité fédérée se déduit de la résidence852.

237. L’encadrement de la résidence, et donc de la nationalité, par la législation sur les pauvres. – La Cour suprême des États-Unis juge en 1873 dans les affaires Slaughter-House,

par l’opinion majoritaire délivrée par le Justice Samuel Miller, qu’« un citoyen américain peut, par sa propre volonté [of his own volition], devenir un citoyen de n’importe quel Etat fédéré par le biais d’une résidence de bonne foi [bona fide residence] sur son territoire, acquérant alors les mêmes droits que les autres citoyens de cet Etat. »853 La Cour respecte ainsi, sur ce point854, l’apport du XIVème amendement, et reste d’ailleurs dans la continuité de sa jurisprudence déjà arrêtée en matière de nationalité fédérée et de résidence. Dès lors, selon ce principe, un citoyen américain fixant son domicile dans un Etat fédéré en acquiert la nationalité, ce qui n’est pas sans importance puisque la possession de la nationalité fédérée emporte plusieurs protections constitutionnelles, notamment contre les discriminations.

238. Or, les États fédérés, par l’édiction de législation prévoyant le renvoi des pauvres non

établis, privent potentiellement les citoyens américains d’une résidence sur un territoire fédéré, et donc de la nationalité fédérée qui s’en déduit normalement. Ainsi, il est possible de démontrer que les États qui prévoient des lois sur l’établissement et le renvoi des pauvres créent en réalité une période probatoire pendant laquelle les Américains, pourtant juridiquement domiciliés sur leur territoire, n’acquièrent pas pour autant la nationalité fédérée855. En ce sens, la Cour Su-prême de Pennsylvanie juge en 1878 dans une affaire Limestone v. Chillisquaque (préc.) que deux enfants mineurs, non établis et à la charge de l’État de Pennsylvanie, n’en sont pas citoyens mais « étrangers [strangers] » – ils y résident pourtant depuis plus d’un an avec leur mère et leur grand-père856. De la même manière, la Cour Suprême du Dakota du Nord juge en 1929

852 Pour un aperçu de droit comparé, voy. le résumé sommaire mais complet sur l’évolution de la nationalité alle-mande dans le contexte fédéral de Rainer Hofmann, « German Citizenship Law and European Citizenship », in Massimo La Torre (dir.), European Citizenship : An Institutionnal Challenge, La Haye, Kluwer Law International, 1998, 160-164.

853 United States Supreme Court, Slaughter-House Cases, 83 U.S. 36 (1873), ici 80 : « a citizen of the United

States can, of his own volition, become a citizen of any State of the Union by a bona fide residence therein, with the same rights as other citizens of that State. »

854 La décision est contestée sur l’interprétation du contenu des privilèges et immunités reconnus aux citoyens, voy. infra n° 250.

855 Cette analyse matérielle de la nationalité, sortant des cadres formels des citizenship cases, est également retenue par Peter J. Spiro, « Review – The Citizenship Dilemma : Civic Ideals : Conflicting Visions of Citizenship in U. S. History by Rogers M. Smith », Stanford Law Review, 1999, vol. 51, n° 3, p. 619, note 112 et Ann Pieter van der Mei, Free Movement of Persons within the European Community. Cross-Border Access to Public Benefits, thèse, Maastricht, 2001, p. 108 (cette thèse remarquable porte, comme son nom ne l’indique pas, sur une comparaison entre l’Union européenne et les États-Unis ; elle est parue dans une version réduite chez Hart Publishing en 2003).

dans une affaire Hilborn v. Briggs qu’ordonner le renvoi d’un indigent vers un autre État, quelle que soit la durée de sa résidence, revient à considérer qu’il n’est pas citoyen de l’État dans lequel il réside857. Les lois américaines sur les pauvres interférent ainsi avec la notion de natio-nalité fédérée par résidence consacrée par le XIVème amendement, et recréent une compétence étatique pour réguler l’accès à la nationalité fédérée. Autrement dit, si à partir de 1868 (adoption du XIVème amendement) les États fédérés n’ont plus la maîtrise des conditions d’accès à la nationalité fédérale (le droit du sol et la naturalisation étant tous deux prévus par la Constitution fédérale), ils conservent la capacité d’empêcher l’acquisition de la nationalité fédérée en agis-sant sur la résidence du citoyen américain indigent.

239. À ce stade historique de la construction fédérale américaine, l’articulation entre

natio-nalité fédérée et libre installation des indigents est inédite et originale par rapport aux exemples allemands et suisses. Dans ces deux pays, le principe est que la nationalité fédérée est fixée à la naissance ou par naturalisation, et que les ressortissants d’un Land ou d’un Canton peuvent s’installer sur tout le territoire fédéral, sauf à se faire renvoyer par leur État fédéré d’accueil (pour des motifs d’indigence ou d’ordre public) vers leur Land ou Canton de nationalité – et ce renvoi peut intervenir à n’importe quel moment de leur installation, que la personne soit instal-lée depuis moins d’un an ou trente ans858. Aux États-Unis en revanche, au moins à partir de l’adoption du XIVème amendement, les Américains ne possèdent pas une nationalité fédérée fixe ou immuable859. C’est par leur résidence qu’ils vont obtenir une telle nationalité, moyen-nant pour les indigents l’acquisition d’un « établissement » au terme d’une période probatoire (variable selon les Etats) pendant laquelle ils peuvent être expulsés vers un État qui ne les re-connaîtra pas nécessairement comme ses ressortissants860. En revanche, une fois la nationalité fédérée acquise par la résidence, plus aucune expulsion ne peut intervenir puisque l’Etat de nationalité correspond à l’Etat de domicile. Il en ressort toutefois un point commun : dans ces

857 North Dakota Supreme Court, Hilborn v. Briggs, 58 N.D. 612 (1929).

858 La situation est évidemment différente en Suisse pour les indigents à partir de la période de conclusion des concordats d’assistance au lieu de domicile, ou en Allemagne si l’indigent possède un domicile de secours sur son lieu de résidence.

859 Comme le note Louis Le Fur, État fédéral et confédération d’États, Paris, Marchal et Billard, 1896, p. 695, note 2, en se fondant manifestement sur la structure américaine : « Aussi l’acquisition de l’indigénat local [la

nationalité fédérée] est-elle soumise à des règles toutes particulières, et parfois même effectuée de plein droit en

dehors de toute formalité, par le seul fait que ce citoyen vient fixer son domicile dans un État autre que son État d’origine. Le changement d’indigénat s’opère donc en ce cas exactement comme le changement de domicile dans l’État unitaire ».

860 Le dernier Etat de résidence légale (par défaut l’Etat de naissance) peut posséder lui aussi une période probatoire avant d’autoriser l’établissement. Il est de fait courant qu’un Américain soit renvoyé vers un Etat où il n’est plus légalement établi et, par conséquent, dont il n’est plus citoyen. Voy. Note (Editorial Board), « Depression Migrants and the States », op. cit., p. 1033.

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 196-200)

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