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La naturalisation, entre discrétionnarité et territorialité

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 83-86)

Section 1. La construction d’un droit de la nationalité fondé sur le territoire (XVI-XVIIIe s.) « [L]es terres des particuliers réunies et contiguës

B. La naturalisation, entre discrétionnarité et territorialité

81. La naturalisation est un acte manifestant la souveraineté du Roi. Elle est donc

pronon-cée suivant un régime ultra-discrétionnaire, signifiant l’absence de toutes conditions préalable-ment fixées (1). Les récents travaux de Peter Sahlins démontrent cependant que la naturalisation demandée par l’étranger n’est jamais refusée, et qu’une fois prononcée, seule une condition rend la naturalisation valide : la présence sur le territoire (2).

1. Le régime ultra-discrétionnaire de la naturalisation

82. Une discrétionnarité en trompe l’œil. – Le régime juridique de la naturalisation est

paradoxal. Si tous les auteurs s’accordent sur son caractère souverain et donc discrétionnaire, il n’en demeure pas moins que dans les faits, la naturalisation demandée par l’étranger au Roi n’était jamais refusée. Georges Picot, dans son Histoire des États Généraux publiée en 1872, rapporte la demande du Tiers-Etat à propos des lettres de naturalité lors des Etats de Blois de 1576 :

« aussi suppliait-il le roi de “n’accorder lettres de naturalité et bourgeoisie aux étrangers, et défendre à tous juges d’y avoir égard, sinon qu’ils aient demeuré en votre royaume le temps de dix ans et en icelui acquis 200 livres de rente pour le moins, et ayant femmes et enfants, auquel cas lesdites lettres leur serviront seulement pour les successions et non pour tenir of-fices, ni bénéfices vacants, ni ferme de votre domaine ; et où ils s’absenteroient de votre royaume pour plus d’un an, ou acquerroient hors d’icelui, ils perdront les bénéfice de leursdites lettres.” Malgré la défaveur avec laquelle les étrangers étaient traités par l’ancien droit et la méfiance qu’ils inspiraient à la nation, les justes garanties réclamées par le tiers état ne par-vinrent par à prévaloir contre l’arbitraire royal. Le prince conserva le droit de naturaliser sans

conditions d’aucune sorte l’étranger auquel il lui plaisait de donner la jouissance des droits civils (…). »324 (nous soulignons)

323 Robert-Joseph Pothier, Traité des personnes, partie I, titre II, section 1ère, op. cit., p. 23.

L’auteur qualifie ainsi d’arbitraire le pouvoir de prendre des lettres de naturalité, ce qui revient à relever l’existence d’une prérogative ultra-discrétionnaire, inconditionnée juridiquement. De fait, la naturalisation est prononcée par le Roi « car tel est nostre plaisir », mention inscrite en clôture de la lettre325. Dans le même sens, les auteurs modernes s’accordent sur l’absence de conditions pour naturaliser un étranger. Bacquet précise ainsi que « le Roy seul peut naturaliser l’estranger ; c’est à dire le faire comme naturel François, tel que s’il estoit nay en France, & luy donner permission de demeurer & acquerir biens au Royaume, avec congé de tester & succeder à ses parens naiz & demeurans en France. »326 Domat mentionnera « une grace du prince »327

sans fixer davantage de conditions que Bacquet. Pothier conclura in fine que « Le roi seul peut naturaliser les étrangers : cet acte est un exercice de la puissance souveraine, dont il est le seul dépositaire. »328 Par ailleurs, la décision du Roi n’interviendra que sur la demande de l’individu étranger, comme le note Bodin en recourant à la métaphore civiliste : « Car tout ainsi que la donation ne vaut rien si le donateur n’a présenté, et le donataire accepté l’offre à luy faicte : aussi l’estranger n’est point citoyen ni subject du Prince estranger, s’il n’a receu le benefice du Prince estranger »329.

83. Peter Sahlins, dans son étude d’envergure sur la naturalisation sous l’Ancien Régime

à partir de documents d’archives, a constaté que la naturalisation était toujours accordée à l’étranger qui la demandait :

« Affirmer que la naturalisation était automatiquement octroyée semble paradoxal car, juridi-quement, ce privilège demeurait une prérogative discrétionnaire du Roi. Mais de fait, l’auto-maticité croissante de la naturalisation traduisait administrativement la transformation de la nationalité, passant du domaine de la politique vers celui du droit, celle-ci subissant une dépo-litisation au début de la période moderne. Spécialement au début du règne de Louis XIV, toutes les matières commencèrent à relever du droit administratif, du protocole. Si le protocole – incluant un enregistrement en bonne et due forme – était correctement exécuté, la couronne ne refusait que rarement, voir jamais, les demandes de naturalisation (…). »330

325 Voy. le modèle présenté par Jean Papon, Secrets du troisième et dernier notaire, livre VI, chap. 3, Lyon, Jean de Tournes, 1583, 2ème éd., p. 461.

326 Jean Bacquet, Traité du droit d’aubeine, partie III, chap. 24, § 1, op. cit., p. 53.

327 Jean Domat, Les quatres livres du droit public, livre I, titre II, section 2, § 9, op. cit., p. 30.

328 Robert-Joseph Pothier, Traité des personnes, partie I, titre II, section 3, op. cit., p. 33.

329 Jean Bodin, Les six livres de la République, livre I, chap. 6, op. cit., p. 138.

330 Peter Sahlins, Unnaturally French, Ithaca, Londres, Cornell University Press, 2004, p. 78. L’auteur ne donne par la suite aucun exemple de refus. Dans un article en français, il précise encore : « Tout concourt à montrer que, si le postulant acceptait de suivre les longues procédures bureaucratiques et si le protocole était correctement observé, l’octroi des lettres était automatique. », voy. Peter Sahlins, « La nationalité avant la lettre. Les pratiques de naturalisation en France sous l’Ancien Régime », Annales – Histoire, Sciences Sociales, 2000, vol. 55, n° 5, p. 1086.

Une telle analyse est confirmée par Denisart dans sa Collection de décisions et de notions pu-bliée entre 1754 et 1756 dans laquelle il énonce que « Ces Lettres [de naturalité] ne se refusent jamais aux Etrangers qui en demandent : à peine témoignent-ils quelqu’inclination pour rester en France, que le Prince les adopte & les aggrege au nombre de ses Sujets »331. Paradoxalement donc, l’exercice d’une prérogative ultra-discrétionnaire n’exclut pas que les demandeurs à la naturalisation obtiennent tous satisfaction.

2. La clause de résidence

84. L’exigence de transposer sa résidence en France. – Dans ses lettres de naturalités,

le Roi offre à l’individu naturalisé « qu’il puisse, & luy soit loisible, demeurer, resider & habiter en cestuy nôtre Royaume, Païs, terres & Seigneuries de nôtre obeïssance »332. Loin d’être pu-rement formelle, cette condition de résidence est en droit une condition de validité de la lettre de naturalité : l’étranger naturalisé doit fixer en France sa résidence pour que la lettre produise ses effets.

85. Bodin en fait mention sans équivoque dans sa République en notant que « Si

l’estran-ger qui a obtenu lettres de naturalité hors de son païs n’y veut demourer, il perd le droit qu’il y pretend »333. Domat mentionne quant à lui que la naturalisation intervient « lorsqu’un étranger veut établir sa demeure dans un état »334. Au XVIIIe siècle Pothier consacre le principe avec la plus grande clarté : « il faut observer que les lettres de naturalité sont censées renfermer la con-dition de demeurer dans le royaume, et que, pour que l’étranger puisse en profiter sans cette demeure, il faut qu’il y ait une clause qui l’en dispense. »335 Denisart confirme par ailleurs dans sa Collection : « Les Etrangers Naturalisés doivent faire résidence constante & permanente en France : s’ils n’y faisoient qu’une résidence momentanée, & s’ils demeuroient tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, leur Lettres de Naturalité, seroient sans effet. »336

86. Quel est le sens de cette clause de résidence ? Pour Peter Sahlins, elle apporte d’abord

la preuve de l’assimilation sociale et de l’intégration du demandeur, chère aux juristes de l’époque. Elle apporte ensuite la preuve de la loyauté de l’individu à la couronne qui l’a fait

331 Jean-Baptiste Denisart, « Naturalisation », in Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la

jurisprudence actuelle, vol. II, t. 2, Paris, Desaint, 1766, 5ème éd., p. 228.

332 Voy. les modèles présentés par Jean Papon, Secrets du troisième et dernier notaire, livre VI, chap. 3, op. cit., p. 461 ; le modèle présenté par Jean Bacquet, Traité du droit d’aubeine, partie III, chap. 22, op. cit., p. 51.

333 Jean Bodin, Les six livres de la République, livre I, chap. 6, op. cit., p. 139-140.

334 Jean Domat, Les quatres livres du droit public, livre I, titre II, section 2, § 9, op. cit., p. 30.

335 Robert-Joseph Pothier, Traité des personnes, partie I, titre II, section 3, op. cit., p. 35.

national, par la soumission territoriale au pouvoir temporel du Roi337. Sans surprise, cette clause de résidence témoigne à nouveau de l’essence territoriale de la nationalité. Les différentes ten-tatives de faire de cette exigence de résidence effective dans le royaume une simple condition de domicile d’intention ont échoué devant les Cours338. Le seul moyen de tenir en échec cette condition territoriale est d’obtenir du Roi une mention expresse dans les lettres de naturalité dispensant son récipiendaire de fixer sa résidence sur le sol français. En pratique, une telle dispense n’était accordée qu’aux familles de haute noblesse expatriées à l’étranger339.

§ 2. Sortie du territoire et perte de la nationalité

« La manière la plus commune de cesser d’être Citoien d’un Etat, c’est lors que, de son pur mouvement (…) on va s’établir dans un autre. »340

PUFENDORF « Défendons à tous nos sujets de s’établir sans notre permission dans les pays étrangers (…) à peine de con-fiscation de corps et de biens, et d’être réputés étran-gers. » 341

Ordonnance royale de 1669

87. Si la présence sur le territoire permet l’accès à la nationalité, l’Ancien Droit et ses

penseurs consacraient aussi – réciproquement – la perte de la nationalité par la sortie du terri-toire. La sortie volontaire, c’est-à-dire l’expatriation, conduit à la perte de la nationalité lorsque se trouve perdu l’esprit de retour. Le droit du sang va toutefois progressivement aménager ce principe sans le remettre en cause (A). La sortie involontaire du territoire, c’est-à-dire à titre de peine, conduit en revanche à une perte de la nationalité définitive (B).

A. Perte de la nationalité par la sortie volontaire : un principe aménagé par le droit du

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