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Surtout, dans ses acceptions purement juridiques, selon la définition bien connue de

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 31-35)

A. L’approche statique des notions : quels sens ?

14. Surtout, dans ses acceptions purement juridiques, selon la définition bien connue de

Carré de Malberg, la souveraineté est « la qualité de puissance d’un État qui ne connaît aucune puissance supérieure à la sienne au dehors, aucune puissance égale à la sienne au dedans », c’est-à-dire « d’une part en [une] absolue indépendance au regard des États étrangers, d’autre part en [une] absolue supériorité à l’intérieur de l’État. »77 La souveraineté comprend ainsi deux facettes, l’une interne, l’autre externe. La souveraineté interne est la « puissance de l’État », ce que la langue allemande nomme la « Staatsgewalt ». Elle s’exprime sur les terrains fonctionnels et institutionnels. Sur le plan fonctionnel, la souveraineté peut se résumer dans le « monopole d’édiction du droit positif »78. Bodin est à l’origine de cette formalisation autour de la fonction législative :

« Sous ceste mesme puissance de donner et casser la loy, sont compris tous les autres droits et marques de souveraineté : de sorte qu’à parler proprement on peut dire qu’il n’y a que ceste seule marque de souveraineté, attendu que tous les autres droits sont compris en cestui là : comme decerner la guerre, ou faire la paix : cognoistre en dernier ressort des jugemens de tous magistrats, instituer ou destituer les plus grands officiers : imposer ou exempter les sujects de charges et subsides : ottroyer graces et dispenses contre la rigueur des loix : hausser ou baisser le tiltre, valeur et pied des monnoyes : faire jurer les sujects et hommes liges de garder fidelité sans exception à celui auquel est deu le serment, qui sont les vrayes marques de souveraineté, comprises sous la puissance de donner la loy à tous en general, et à chacun en particulier »79

Cette approche formelle rompt avec les différentes tentatives d’établir la souveraineté par réfé-rence à une énumération des « marques de la souveraineté »80. Autrement dit, depuis Bodin, la souveraineté dans son sens interne est définie par le pouvoir de donner la loi, qui comprend et subsume notamment les prérogatives considérées comme caractéristiques de la souveraineté (par exemple lever les impôts, battre la monnaie, faire la guerre, etc.). En ce sens, comme le notent Michel Troper et Francis Hamon, « la souveraineté consiste (…) [dans l’exercice] de la

75 Michel Troper, Le droit et la nécessité, Paris, PUF, 2011, p. 90.

76 Olivier Beaud, La puissance de l’État, op. cit., p. 20.

77 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, vol. I, Paris, Sirey, 1920, p. 79. L’au-teur poursuit et indique que « ces deux conséquences de la souveraineté ne sont que deux aspects d’une seule et même qualité de l’État souverain ».

78 Olivier Beaud, La puissance de l’État, Paris, op. cit., p. 130.

79 Jean Bodin, Les six livres de la République (1576), livre I, chap. 10, op. cit., p. 309.

fonction législative »81, ou Denis Baranger, « La puissance législative est la marque du souve-rain. »82 Sur le plan institutionnel, la souveraineté est une puissance de commandement à l’égard des « agents, officiers, ou (…) organes de l’État » qui exercent donc leurs prérogatives « au nom du souverain »83.

La souveraineté interne induit la « construction d’espaces de pouvoir unifiés » et « territoria-lis[és] »84 ; leur confrontation rompt leur isolement et laisse émerger une pluralité des souve-rainetés externes85. La souveraineté externe procède donc de la confrontation des souverainetés internes. Quels sont alors les contours de la souveraineté externe ? C’est sans doute chez Vattel qu’on trouve la première formalisation générale de la souveraineté de l’État en droit internatio-nal86. Pour cet auteur, en ce domaine, c’est l’indépendance qui fait la souveraineté :

« Toute Nation qui se gouverne elle-même, sous quelque forme que ce soir, sans dépendance d’aucun étranger, est un État souverain. Ses Droits sont naturellement les mêmes que ceux de tout autre État. Telles sont les Personnes morales, qui vivent ensemble dans une Société natu-relle, soumise aux Loix du Droit des Gens. Pour qu’une Nation aît droit de figurer immédia-tement dans cette grande Société, il suffit qu’elle soit véritablement souveraine & indépen-dante, c’est-à-dire qu’elle se gouverne elle-même, par sa propre autorité & par ses Loix. »87

De fait, ce que l’indépendance exprime bien pour qualifier la souveraineté externe – et la dif-férencier de la souveraineté interne – c’est l’idée qu’en droit international la souveraineté ne peut pas s’envisager sous la forme positive d’une puissance de commandement aux autres su-jets. L’horizontalité de l’ordre international, constitué de sujets étatiques égaux, ne permet à la souveraineté que de s’exprimer sous une forme négative, elle « signifie qu’aucun pouvoir légal ne peut s’exercer sur [l’État] »88. Comme l’exprime encore Anzilotti, « L’indépendance ainsi comprise n’est, au fond, que la condition normale des États d’après le droit international : elle

81 Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013, 34ème éd., n° 192, p. 160.

82 Denis Baranger, Le droit constitutionnel, Paris, PUF, 2017, 7ème éd., p. 36. Il faut cependant marquer certaines réserves dans le cadre du fédéralisme, où l’absence de structure étatique rend la notion de souveraineté inopérante. Voy. sur ce point Olivier Beaud, Théorie de la fédération, op. cit., p. 37-97.

83 Éric Maulin, « Souveraineté », op. cit., p. 1435. Sous cet aspect institutionnel, on perçoit l’« unité » de la sou-veraineté.

84 Dieter Grimm, « La souveraineté », in Dominique Chagnollaud et Michel Troper (dir.), Traité international de

droit constiuttionnel, vol. I, Paris, Dalloz, 2012, p. 584.

85 Voy. Juan-Antonio Carrillo-Salcedo, « Droit international et souveraineté des états : cours général de droit in-ternational public », RCADI, 1996, vol. 257, p. 60.

86 Voy. Peter Haggenmacher, « L’État souverain comme sujet du droit international, de Vitoria à Vattel », Droits, 1992, n° 16, p. 11-20.

87 Emer de Vattel, Le droit des gens, vol. I, livre I, chap. 1, § 4, op. cit., p. 18. Le même auteur poursuit plus loin : « Se gouverner soi-même à son gré, c’est l’apanage de l’indépendance. Un État souverain ne peut être gêné à cet égard, si ce n’est par des droits particuliers, qu’il aura lui-même donnés à d’autres dans ses Traités (…). Hors ce cas, un Souverain est en droit de traiter en ennemis ceux qui entreprennent de se mêler autrement que par leurs bons offices, de ses affaires domestiques. » (ibid., vol. I, livre II, chap. 4, § 57, p. 300)

peut être aussi bien qualifiée comme souveraineté (suprema potestas) ou souveraineté exté-rieure, si l’on entend par cela que l’État n’a au-dessus de soi aucune autre autorité, ce n’est celle du droit international. »89 Pour Jean Combacau toutefois, l’indépendance dans l’ordre in-ternational appartient au domaine du fait (c’est une condition de l’apparition de l’État, et la souveraineté en assure la traduction juridique90), et la souveraineté internationale est davantage une « liberté » entendue comme « la faculté d’agir comme on l’entend dans les limites du droit »91. Cette distinction entre « indépendance » et « liberté » n’emporte toutefois pas d’effets décisifs dans la définition de la souveraineté externe de l’État.

15. La question du contenu matériel de la souveraineté. – Sur le plan de l’exercice de

la souveraineté, quelle est la place des « attributs » ou des « marques » de l’État ? Existe-t-il un contenu matériel de la souveraineté formé de certains pouvoirs ? Cette question renvoie aux débats entre les approches substantielles et formelles des principes d’indivisibilité et d’inalié-nabilité de la souveraineté92. Autrement dit, « [un État] peut-il renoncer à n’importe laquelle de ses compétences et contraindre ses pouvoirs quels qu’ils soient, et persister néanmoins dans sa qualité d’État (…) ? »93 Pour Michel Troper, tenant d’une conception formaliste, « Tous les pouvoirs qui sont compris dans la souveraineté (…) sont parfois appelés des attributs de la souveraineté et l’on parle alors de puissance d’État. Cette souveraineté (…) n’est nullement indivisible et l’on peut fort bien répartir les attributs entre plusieurs autorités. »94 Il justifie cette position en considérant que la puissance de l’État doit se distinguer de « l’exercice effectif des compétences », l’« essentiel [étant] qu’il soit à tout moment possible à l’État de retirer ces com-pétences à ceux qui les exercent. »95 En conséquence, nulle difficulté pour cet auteur de trans-férer par exemple le pouvoir de battre la monnaie à une organisation internationale. Pour les tenants d’une conception matérielle ou substantielle de la souveraineté, il existe à l’inverse des « moyens inhérents à la puissance étatique »96. Pour Stéphane Rials, certaines prérogatives sont

89 CPJI, Avis consultatif du 5 septembre 1931, Régime douanier entre l’Allemagne et l’Autriche, op. ind. de M. Anzilotti, Recueil, série A/B, n° 41, p. 57.

90 Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, op. cit., p. 236.

91 Jean Combacau, « Pas une puissance, une liberté : la souveraineté internationale de l’État », op. cit., p. 52.

92 À propos de l’approche (matérielle) du Conseil constitutionnel face à cette question, voy. Andrea Hamann, « Sur un “sentiment” de souveraineté », Jus Politicum, 2018, n° 21-21, p. 187-213.

93 Jean Combacau, « Pas une puissance, une liberté : la souveraineté internationale de l’État », op. cit., p. 57.

94 Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, op. cit., p. 160.

95 Michel Troper, Le droit et la nécessité, op. cit., p. 89.

96 Stéphane Rials, « La puissance étatique et le droit dans l’ordre international », Archives de philosophie du droit, 1987, t. 32, p. 212.

en ce sens « indisponibles » et « inamissibles », l’État n’étant donc aucunement tenu de « son engagement » s’il a procédé à un quelconque transfert :

« [L’État] ne saurait renoncer à l’exercice, dans le respect d’éventuels principes supérieurs, de certains moyens indisponibles propres à assurer, dans le respect de ses finalités, la conserva-tion de sa puissance – c’est-à-dire, dans l’ordre interne, à se doter d’une capacité policière (au sens large, englobant la police administrative, plutôt préventive, et la police judiciaire, plutôt répressive) et justicière et à préserver sa latitude d’action dans l’élaboration, notamment, de sa réglementation sur la nationalité et les étrangers résidant sur son territoire et, concernant ses prérogatives à vocation plutôt internationale, à se doter des forces militaires utiles et des moyens de participer au commerce interétatique. »97

Stéphane Rials indique ici les moyens qu’il tient pour « indisponibles », sauf à ce qu’un État se prive de sa puissance et mette en danger sa conservation. Olivier Beaud considère de la même manière que certaines prérogatives relèvent d’une « réserve d’État », c’est-à-dire d’un « con-tenu indisponible » de la souveraineté, qui comprend, outre la « prérogative législative », « les moyens matériels de la puissance publique »98. L’auteur juge que « De même qu’un État ne peut renoncer à sa souveraineté militaire, sans perdre le titre d’État, de même un État ne peut renoncer à sa souveraineté monétaire ou à sa souveraineté “territoriale”, sans cesser d’être un État digne de ce nom. »99 Pour ces deux auteurs, le transfert de telles prérogatives demeure envisageable dans le cadre d’un fédéralisme par agrégation, mais c’est alors le seul pouvoir constituant qui peut en réaliser l’opération100. Jean Combacau indique encore qu’« il peut y avoir, dans ce qui constitue la puissance actuelle de l’État, des éléments qui feraient partie de son concept même, et desquels ils ne pourrait se dessaisir, que ce soit par aliénation ou par suspension même momentanée ou, si ces mots ont une signification quelconque, par limitation ou par transfert. Leur indisponibilité ne tiendrait pas à un choix politique qui dessinerait quelque part une frontière entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas au regard de la souveraineté, mais à une impossibilité logique de persister dans la qualité d’État en ayant renoncé à certains élé-ments qui en composent le statut »101. L’on verra infra (cf. n° 29) que ce débat rejoint justement la question de la souveraineté du pouvoir de l’État en matière de nationalité.

97 Ibid.

98 Olivier Beaud, La puissance de l’État, op. cit., p. 151.

99 Ibid., p. 467.

100 Voy. Stéphane Rials, « La puissance étatique et le droit dans l’ordre international », op. cit., p. 212, note 66 ; Olivier Beaud, « La souveraineté, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », RFDA, 1993, n° 6, p. 1045.

16. Le sens dérivé de la souveraineté » dans l’exercice du pouvoir. – Comme l’indique

Louis Dubouis, « la souveraineté n’est pas seulement une qualité de l’État mais le titre à l’exer-cice discrétionnaire de compétences »102. C’est la souveraineté dans un sens « technique et ins-trumental »103 en ce que le concept ne dit rien en lui-même mais qualifie plutôt dans le discours juridique le plus haut degré de liberté de l’État dans l’exercice d’une prérogative déterminée. Autrement dit, ce sens « dérivé »104 est « commode »105 car il met en valeur de manière très évocatrice la discrétionnarité du pouvoir106 de l’État dans un champ matériel donné. En droit interne, cette acception est bien réceptionnée, notamment par Charles Eisenmann pour qui la « souveraineté » renvoie à « la discrétionnalité totale »107 ou même au « paroxysme du pouvoir discrétionnaire »108. De la même manière pour Bernard Pacteau, la discrétionnarité est « choix, indépendance et même souveraineté. Elle est non contrainte. »109 On retrouve dans ces diffé-rentes définitions ce que le vocabulaire de l’Ancien Régime reconnaissait dans la notion d’« ar-bitraire » : le « pouvoir arar-bitraire » se définit comme « un pouvoir souverain qui n’a pour règle que la volonté de celuy qui le possède. »110 La souveraineté peut ainsi renvoyer dans le discours juridique à l’exercice libre et non contraint de certaines prérogatives.

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 31-35)

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