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L’Émergence des libertés territoriales (1867-1933) et leur rupture (1933-1949)

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 152-156)

170. Une liberté encadrée dans l’Allemagne du Nord. – La seconde moitié du XIXe

siècle marque une avancée cruciale vers le modèle fédéral de l’Allemagne. Depuis les années 1850, il apparaît de plus en plus nettement que la Confédération germanique n’est plus une structure satisfaisante, elle n’est « plus un État au sens qu’imposait l’époque »632. Les tensions entre l’Autriche et la Prusse, sur fond de lutte pour la domination, mènent à la guerre puis à l’éclatement de la Confédération germanique en 1866. La victoire de la Prusse conduit à la formation en 1867 de la Fédération d’Allemagne du Nord (Norddeutschen Bundes) dont l’Au-triche n’est pas membre. Le Prussien Otto van Bismarck assure le rôle de Chancelier de cette nouvelle structure où le sentiment national est vif et les institutions fédérales fortes.

171. C’est au sein de la Fédération d’Allemagne du Nord qu’émerge pour la première fois

une compétence fédérale pour réglementer la libre circulation : les relations interétatiques rela-tives à la circulation des individus cessent d’être régies par le droit international, elles devien-nent l’objet de normes internes régies par le droit constitutionnel633. À ce titre, la Constitution du 26 juin 1867 établit pour la première fois en son article 3 que, « pour tout le territoire fédéral [Bundesgebietes], un indigénat commun [ein gemeinsames Indigenat]634 a pour effet que le ressortissant de chaque État fédéré [Angehörige eines jeden Bundesstaates] (sujet, citoyen [Un-terthan, Staatsbürger]) devra être traité dans tout autre État fédéré comme un natif [Inländer], et y sera admis à résidence fixe [festen Wohnsitz] (…). »635 Pour mieux assurer ce nouveau

632 Thomas Nipperdey, Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 112.

633 Sur cette dynamique, voy. Olivier Beaud, Théorie de la Fédération, op. cit., p. 224-225.

634 C’est une traduction littérale, on dirait aujourd’hui plutôt « nationalité fédérale », dans le même sens, voy. Andreas K. Fahrmeir, « Nineteenth-Century German Citizenships : A Reconsideration », op. cit., p. 740 : «

In-digenat is a technical term for citizenship ».

635 « Für den ganzen Umfang des Bundesgebietes besteht ein gemeinsames Indigenat mit der Wirkung, daß der

Angehörige (Unterthan, Staatsbürger) eines jeden Bundesstaates in jedem andern Bundesstaate als Inländer zu behandeln und demgemäß zum festen Wohnsitz (…) ».

droit, la Constitution renvoie « à la surveillance [Beaufsichtigung] de la Fédération et de sa législation [des Bundes und der Gesetzgebung] : 1) les dispositions relatives à la libre circula-tion et installacircula-tion [Freizügigkeit], aux condicircula-tions de séjour et d’installacircula-tion [Heimaths- und Niederlassungsverhältnisse] (…) »636. Il s’agit de la première compétence fédérale, dont la liste est énumérée à l’article 4 de la nouvelle Constitution, ce qui démontre le caractère primordial de cette question au sein de la jeune Fédération.

172. Le législateur fédéral ne tarde d’ailleurs pas à se saisir de sa compétence. Le 1er no-vembre 1867, soit quelques mois seulement après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitu-tion, est adoptée la loi relative à libre circulation et installation (Gesetz über die Freizügigkeit). Elle établit juridiquement pour la première fois en Allemagne que « Tout ressortissant [Bunde-sangehörige] de la Fédération peut librement, sur le territoire fédéral [Bundesgebietes] : 1. Ré-sider ou s’établir [aufzuhalten oder niederzulassen] en tout lieu où il est en mesure de se pro-curer un logement personnel ou un abri [eine eigene Wohnung oder ein Unterkommen] ; (…) »637 (art. 1, 1°). Le même article précise que « la résidence, l’établissement (…) ne pour-ront être refusés à aucun ressortissant de la Fédération à raison de sa religion [Glaubens-bekenntnisses], de sa qualité de ressortissant d’un État fédéré [Landesangehörigkeit]638 ou de son appartenance à une Municipalité [Gemeindeangehörigkeit] »639 (art. 1, 3°, al. 3). Le prin-cipe est donc bien établi d’un droit fédératif à la libre circulation et installation au profit des individus disposant de la nationalité de la Fédération d’Allemagne du Nord (Bundesangehö-rigkeit), sous réserve d’en rapporter la preuve. Surtout, aucun État fédéré ne dispose du droit de restreindre cette liberté sur le fondement de la non appartenance d’un individu à sa commu-nauté. Autrement dit, on assiste ici à la disparition progressive de la figure de l’étranger, du point de vue du séjour, lorsqu’un ressortissant d’un État dont il est originaire va s’installer dans un autre État d’accueil.

173. Cette disparition de la figure d’étranger n’est toutefois pas complète puisque la loi du

1er novembre 1867 n’établit pas un droit absolu à la libre circulation et installation au profit des nationaux de la Fédération. En effet, plusieurs articles de la loi font exception à ce droit. Les

636 « Der Beaufsichtigung Seitens des Bundes und der Gesetzgebung desselben unterliegen die nachstehenden

Angelegenheiten : 1) die Bestimmungen über Freizügigkeit, Heimaths- und Niederlassungsverhältnisse (…). » 637 « Jeder Bundesangehörige hat das Recht, innerhalb des Bundesgebietes: 1) an jedem Orte sich aufzuhalten

oder niederzulassen, wo er eine eigene Wohnung oder ein Unterkommen sich zu verschaffen im Stande ist ; (...). »

Pour une traduction intégrale, voy. Ministère de la guerre, Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine, 2ème partie, I, Paris, Imprimerie Nationale, 1918, p. 105-108.

638 L’on pourrait sans doute aussi traduire aussi par « nationalité fédérée ».

639 « Keinem Bundesangehörigen darf um des Glaubensbekenntnisses willen oder wegen fehlender Landes- oder

autorités de police des États fédérés demeurent autorisées en vertu de leurs propres lois (Landesgesetzen) à restreindre le déplacement et interdire le séjour (Aufenthaltsbeschränkun-gen) des personnes condamnées (bestrafte Personen)640, mais aussi des individus jugés en ré-cidive de mendicité (wiederholten Bettelns) ou vagabondage (wiederholter Landstreicherei) par un autre Etat dans les douze derniers mois641. Parallèlement, les Municipalités peuvent re-fuser le séjour à un ressortissant qui n’a pas les forces suffisantes (nicht hinreichende Kräfte) pour pourvoir à ses besoins (Lebensunterhalt) et à ceux des membres de sa famille qui ne tra-vaillent pas, à moins qu’il puisse pourvoir à ses besoins sur ses propres ressources (aus eigenem Vermögen) ou celle d’un parent tenu de lui fournir642. La formulation négative de l’article in-dique cependant que le principe demeure bien celui de la libre installation et qu’il appartient à la Municipalité de démontrer l’impossibilité de l’individu de subvenir à ses besoins643. Toute-fois, malgré ces conditions limitatives, le condamné et l’indigent demeurent des quasi-étrangers en ce qu’ils sont susceptibles d’être renvoyés dans leur État d’origine, malgré leur appartenance à la communauté fédérale. Il faut cependant réserver l’hypothèse où l’indigent a réussi à se constituer un « domicile de secours [Unterstützungswohnsitz] »644 par une résidence prolongée dans un État d’accueil sans recours à l’assistance645 : dans le cas où le domicile de secours correspond à la municipalité de résidence, celle-ci ne pourra plus renvoyer l’indigent.

174. Extension d’une liberté encadrée dans l’Allemagne nationale. – Moins de quatre

années plus tard, le 16 avril 1871, la Constitution de l’Empire allemand est adoptée par le

640 « Insoweit bestrafte Personen nach den Landesgesetzen Aufenthaltsbeschränkungen durch die Polizeibehörde

unterworfen werden können, behält es dabei sein Bewenden. », art. 3, 1. de la loi du 1er novembre 1867.

641 « Solchen Personen, welche derartigen Aufenthaltsbeschränkungen in einem Bundesstaate unterliegen, oder

welche in einem Bundesstaate innerhalb der letzten zwölf Monate wegen wiederholten Bettelns oder wegen wie-derholter Landstreicherei bestraft worden sind, kann der Aufenthalt in jedem anderen Bundesstaate von der Lan-despolizeibehörde verweigert werden. », art. 3, 2. de la loi du 1er novembre 1867.

642 « Die Gemeinde ist zur Abweisung eines neu Anziehenden nur dann befugt, wenn sie nachweisen kann, daß

derselbe nicht hinreichende Kräfte besitzt, um sich und seinen nicht arbeitsfähigen Angehörigen den nothdürftigen Lebensunterhalt zu verschaffen, und wenn er solchen weder aus eigenem Vermögen bestreiten kann, noch von einem dazu verpflichteten Verwandten erhält. », art. 4, 1. de la loi du 1er novembre 1867.

643 D’ailleurs, la loi prévoit une garantie supplémentaire au profit des nationaux : la crainte d’un appauvrissement ultérieur (die Besorgniß vor künftiger Verarmung) ne permet pas à l’autorité municipale de refuser le séjour à l’individu : « Die Besorgniß vor künftiger Verarmung berechtigt den Gemeindevorstand nicht zur

Zurückwei-sung. », art. 4, 2. de la loi du 1er novembre 1867.

644 « Offenbart sich nach dem Anzuge die Nothwendigkeit einer öffentlichen Unterstützung, bevor der neu

An-ziehende an dem Aufenthaltsorte einen Unterstützungswohnsitz (Heimathsrecht) erworben hat, und weist die Ge-meinde nach, daß die Unterstützung aus anderen Gründen, als wegen einer nur vorübergehenden Arbeitsun-fihigkeit nothwendig geworden ist, so kann die Fortsetzung des Aufenthalts versagt werden. », art. 5 de la loi du

1er novembre 1867.

645 Voy. la loi qui règlement le domicile de secours, la Gesetz über den Unterstützungswohnsitz du 6 juin 1870, BGBl. S. 360. Le domicile de secours s’acquiert à cette époque après deux années de résidence continue passé l’âge de 24 ans (art. 10).

Reichstag646. C’est la défaite de la France à Sedan qui conforte l’unité nationale allemande – « une guerre commune et si brillamment gagnée »647 – et qui convainc les Princes du Sud de se joindre à l’espace fédéral déjà formé au Nord, à l’exception de l’Autriche. S’ouvre alors la « Gründerzeit (époque des fondateurs) »648, avec un développement économique record, une extension de la mobilité et un renforcement global de l’unité allemande. La Constitution de la Fédération d’Allemagne du Nord est légèrement amendée pour devenir la Constitution de l’Em-pire allemand (Verfassung des Deutschen Reiches, ou Bismarcksche Reichsverfassung du nom du Chancelier). Les dispositions relatives à la liberté de circulation et d’installation restent in-changées, tout comme demeure en vigueur la loi du 1er novembre 1867649.

175. Il se forme ainsi un acquis fédéral en matière de libre circulation et installation qui ne

sera pas matériellement bouleversé par la première guerre mondiale et l’adoption d’une nou-velle Constitution. En pleine révolution communiste, une Constituante d’inspiration démocra-tique et parlementaire réunie à Weimar adopte le 31 juillet 1919 la Constitution du même nom (Weimarer Reichsverfassung)650. Les nouvelles institutions se réclament de l’héritage de 1848/1849 et, en continuité avec la Frankfurter Reichsverfassung du 28 mars 1849 jamais en-trée en vigueur, consacrent les dispositions suivantes : « Art. 111. – Tous les Allemands jouis-sent de la liberté de circulation et d’installation [Freizügigkeit] dans l’Empire entier [im ganzen Reiche]. Chacun a le droit de séjourner dans tel endroit de l’Empire qui lui plaît, de s’y fixer, d’acquérir des immeubles et d’y exercer toute profession. Les restrictions [Einschränkungen] ne peuvent résulter que d’une loi d’Empire [Reichsgesetzes]. »651 Le droit fédératif de libre circulation et installation est explicitement consacré dans le droit constitutionnel et quitte ainsi le rang législatif qu’il possédait depuis la loi du 1er novembre 1867. L’inscription constitution-nelle emporte-t-elle une abolition des restrictions à la libre circulation et installation ? René Brunet, pourtant spécialiste de la question depuis sa thèse, n’en dit étonnamment rien dans son commentaire de la Constitution publié en 1921652. En réalité, les restrictions sont maintenues

646 Suite à une proclamation le 18 janvier 1871 dans la galerie des glaces de Versailles.

647 Johann Chapoutot, Histoire de l’Allemagne, op. cit., p. 47.

648 Ibid., p. 56.

649 Voy. René Brunet, La nationalité dans l’Empire allemand, thèse, Paris, Giard et Brière, 1912, p. 161-166.

650 La Constitution de Weimar a été utilement traduite par Paul Errera, « La Constitution de l’Empire allemande »,

RDP, 1920, t. 37, n° 1, p. 138-170.

651 « Alle Deutschen genießen Freizügigkeit im ganzen Reiche. Jeder hat das Recht, sich an beliebigem Orte des

Reichs aufzuhalten und niederzulassen, Grundstücke zu erwerben und jeden Nahrungszweig zu betreiben. Ein-schränkungen bedürfen eines Reichsgesetzes. », art. 111 de la Constitution de Weimar.

652 René Brunet, La Constitution allemande du 11 août 1919, Paris, Payot, 1921, p. 229, n’en fait qu’une brève mention dans un catalogue de droits. L’auteur s’intéresse davantage aux nouvelles restrictions et aux nouveaux devoirs de l’État.

en vigueur puisque la loi du 1er novembre 1867 fait encore l’objet de révisions pendant la pé-riode, notamment une brève modification de son article 5 relatif au domicile de secours en 1924653. De fait, comme l’a noté un auteur allemand654, ce mouvement constitue en réalité une « codification » constitutionnelle de la loi de 1867 : le nouveau système politique, bien que témoignant d’un « fédéralisme fortement unitaire »655, n’abolit pas les restrictions à ce droit fédératif et les indigents et les condamnés demeurent des exclus potentiels de la libre circulation et installation en ce qu’ils peuvent être renvoyés dans leur État fédéré d’origine.

176. Rupture dans l’Allemagne nazie et occupée. – À la suite de l’accession au pouvoir

du parti national socialiste, ses représentants se montrent de fervents « partisans du centra-lisme »656. Le 30 janvier 1934, l’Etat fédéral est aboli de jure par la suppression des Länder657, au profit d’un État central. Il n’est donc plus pertinent pour cette période d’étudier la liberté de circulation sur le territoire allemand. Si la chute du régime hitlérien entraine l’occupation par zones de l’Allemagne rétablie dans ses frontières de 1937, la liberté de circulation n’y est que partiellement assurée par une remise en vigueur de la loi du 1er novembre 1867 mêlée aux légi-slations militaires édictées par les quatre forces d’occupation658. Il faut attendre l’adoption de la Loi Fondamentale allemande pour voir l’avènement d’un droit fédératif absolu de libre cir-culation et installation au profit de tous les nationaux.

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 152-156)

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