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Critiques et désuétude de la peine de bannissement

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 129-136)

Section 2. La consécration des fonctions territoriales de la nationalité (XIX-XXe s.)

B. La disparition progressive de la peine de bannissement

1. Critiques et désuétude de la peine de bannissement

146. Suppression de la peine de bannissement en droit intermédiaire. – Dès la fin du

XVIIIe siècle, les critiques formées à l’encontre de la peine de bannissement conduisent à sa disparition provisoire de l’arsenal pénal du droit intermédiaire. La charge doctrinale est en effet particulièrement vive à cette époque. L’abbé Mably, philosophe, dénonce ainsi en 1776 dans son essai De la législation ou principes des loix la contrariété du bannissement perpétuel au droit des gens :

« Un coupable ne laisse-t-il aucune espérance de retour à la vertu ? il seroit dangereux de lui permettre de jouir de la société ; ainsi que les loix le condamnent à une prison perpétuelle. Ce n’est point pour de pareils hommes qu’est fait le bannissement ; par sa nature, cette punition n’est destinée qu’à séparer pour un temps limité un coupable des objets qui lui sont chers, et l’inviter à se corriger en rentrant en lui-même. Mais si un homme méritoit un bannissement

perpétuel, ou qu’il fût nécessaire de le priver pour toujours de se patrie, de quel droit enver-riez-vous cette peste chez nos voisins ? Ce seroit en quelques sorte violer le droit des nations. Si vous vous donnez cette liberté à leur égard, ils se la donneront à leur tour au vôtre, et toutes les nations se corrompront mutuellement. »535 (nous soulignons)

Boucher d’Argis, grand avocat, confirme à la même époque dans ses Observations sur les loix criminelles de France le peu d’utilité sociale que constitue la peine de bannissement, dans des mots restés célèbres :

1862, p. 294-296. Il n’est jamais adopté. Sur ce texte, voy. Vladimir-Djuro Degan, « L’affirmation des principes du droit naturel par la Révolution française. Le projet de Déclaration du Droit des Gens de l’abbé Grégoire »,

AFDI, 1989, n° 35, p. 99-116, spéc. p. 111.

535 Gabriel Bonnot de Mably, De la législation ou principes des loix (1776), livre III, chap. 4, in Œuvres complètes, vol. V, Paris, Delaunay, 1818 p. 226. Cette critique est d’ailleurs reprise quasiment in extenso par Joseph II d’Au-triche dans son Testament politique, II, Paris, Buisson, 1791, p. 416 : « Mais si un homme méritait un bannissement perpétuel, ou qu’il fut nécessaire de le priver pour toujours de sa patrie, quel droit a-t-on d’envoyer cette peste chez ses voisins ? N’est-ce pas en quelque sorte violer le droit des nations ? Aucun état ne peut se permettre cette liberté, que les états voisins n’ayent le même droit ; qu’en doit-il résulter ? C’est que toutes les nations se corrom-pront mutuellement. »

« Le Juge qui prononce contre un accusé la peine du bannissement, suit l’intention de la Loi, qui est de purger l’étendue d’une Juridiction d’un être dangereux & nuisible à la société ; mais cette émigration d’un coupable peut-elle le rendre meilleur ? Cette question n’est pas difficile à résoudre. Il faut donc, s’il obéit à son Jugement, qu’il aille porter dans une province voisine son goût pour l’oisiveté & la rapine, & que les habitants de cette nouvelle patrie, que le banni aura jugé à propos de se choisir, soient à leur tour infectés par la présence d’un scélérat, qui y sera d’autant plus dangereux qu’il n’y est pas connu aussi-tôt qu’il y arrive, & qu’on n’a au-cune raison d’être en garde contre lui. Pourquoi donc une province est-elle obligée de donner retraite à un homme qu’une autre province vient de proscrire ? Il est assez généralement re-connu que bannir un autre voleur d’une ville, c’est lui ordonner d’aller voler dans une autre. (…) [L]e scélérat est le même partout. »536

Cette hostilité vis-à-vis de la peine de bannissement est également partagée par la société civile qui fait remonter par le moyen des cahiers de doléance des états-généraux de 1789 une franche désapprobation à l’égard de cette peine considérée comme « inefficace et même dange-reuse »537. L’Assemblée Nationale fait donc disparaître cette peine du code pénal de 1791. Les révolutionnaires, par la voix du rapporteur Le Pelletier de Saint-Fargeau, considèrent le bannis-sement d’Ancien Régime comme un « échange absurde et funeste, qui déplaçait le criminel sans réprimer ni punir le crime. Toutes les opinions se réunissent depuis longtemps pour la suppression de cette peine (…). On l’appliquait par routine, parce qu’on n’en avait pas d’autres, et si elle s’est conservée jusqu’à ce jour on ne peut l’attribuer qu’à la coupable insouciance de l’ancien gouvernement »538. Les opinions philosophiques et juridiques triomphent donc dans la législation intermédiaire qui supprime le bannissement de l’arsenal pénal de droit commun.

147. Rétablissement de la peine de bannissement pour les seules infractions poli-tiques. – La victoire n’est que de courte durée puisque la législation impériale va rétablir cette

peine, mais en réduisant profondément son champ. La peine de bannissement adoptée à nou-veau dans le code pénal de 1810 ne concerne plus que les infractions politiques, comme le précisent bien les deux rapporteurs du projet de réforme, Jean-Baptiste Treilhard et Alexandre d’Haubersart :

« En supprimant cette peine [de la gêne], nous avons rétabli celle de la relégation ou du ban-nissement ; elle nous a paru concevable pour certains crimes politiques qui, ne supposant pas toujours un dernier degré de perversité, ne doivent pas être punis des peines réservées aux hommes profondément corrompus. »539

536 Antoine-Gaspard Boucher d’Argis, Observations sur les loix criminelles de France, Bruxelles, Emmanuel Flon, 1781, p. 123-126.

537 Voy. l’étude d’Albert Desjardins, Les cahiers des Etats généraux en 1789 et la législation criminelle, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1883, p. 65-68, spéc. p. 65.

538 AP, 1ère série, t. 26, p. 324-325.

539 Jean-Baptiste Treilhard, séance du Corps Législatif du 1er février 1810, in Jean-Guillaume Locré, La législation

civile, commerciale et criminelle de la France, vol. XXIX, Paris, Treuttel et Würtz, 1831, p. 205. Il éclaire

« [Le bannissement] avait été aboli par l’Assemblée Constituante, et il faut convenir qu’appli-qué comme il l’était alors aux délits de toute nature, cette suppression était politique et sage ; le bannissement, à cette époque, était un échange de malfaiteurs entre les gouvernements : aussi n’est-il rétabli par le projet que pour les crimes politiques ; ainsi modifiée, cette peine devient sans inconvéniens. Un homme en effet peut être mauvais citoyen dans un pays, et ne l’être pas dans un autre ; la présence du coupable d’un délit politique n’a ordinairement qu’un danger local, et qui peut disparaître dans le gouvernement sous lequel se fixe le banni. »540

En accord avec ce nouvel esprit de la peine de bannissement541, cette sanction pénale s’applique alors par exemple aux actions hostiles exposant l’État à une déclaration de guerre, aux complots non suivis d’effets contre la famille impériale ou visant à provoquer une guerre civile, aux concertations de fonctionnaires contre l’exécution des lois ou les ordres du gouvernement, etc.542 L’idée est donc bien de séparer le criminel politique du milieu gouvernemental qu’il entend combattre, en lui ordonnant de trouver refuge dans un pays plus en accord avec ses convictions politiques. Mais l’intention du législateur va se heurter à la réalité des nationalismes du XIXe siècle. L’époque n’est déjà plus à la libre circulation et trouver des États voisins ac-ceptant de recueillir des bannis apparaît déjà comme une gageure dès 1816, comme le relève une instruction ministérielle :

« Paris, le 20 août 1816. Le sous-secrétaire d’état de l’intérieur (M. Becquey) informe les pré-fets que les puissances étrangères refusent de recevoir les bannis français, et que plusieurs d’entre eux, conduits à la frontière, ont été forcés de rétrograder. Jusqu’à nouvelle décision, ils ne feront donc diriger sur les frontières du royaume aucun des individus condamnés à la

a trop souvent considéré les hommes, non tels qu’ils sont, mais tels qu’ils seraient à désirer qu’ils fussent ; elle était mue par un espoir de perfectibilité, qui malheureusement ne se réalise pas ; et si, dans le mouvement rapide qui l’entraînait, cette erreur fut excusable, nous ne le serions pas, nous qui, éclairés par l’expérience, méditons dans le calme des passions ; nous ne serions, dis-je, pas excusables de persister à méconnaître l’efficacité incon-testable de quelques moyens de répression qui ne furent pas bien appréciés en 1791. » (ibid., p. 195).

540 Alexandre Dhaubersart, séance du Corps Législatif du 12 février 1810, in ibid., p. 221-222.

541 Qui perdurera longtemps, comme en témoignent Louis Durand, Essai de droit international privé, Paris, Larose et Forcel, 1884, p. 502 : « Toutes les nations civilisées ont si bien compris que mettre à la charge d’une nation étrangère ses propres criminels, était une pratique contraire au droit naturel, que l’exil ou le bannissement ont cessé d’être une peine applicable aux crimes de droit commun. Les rares cas pour lesquels le Code pénal français a maintenu le bannissement sont des crimes administratifs, et, dans un certain sens, politiques : les individus con-damnés à cette peine ne sont généralement pas dangereux pour les États où ils vont résider. », plus tard Émile Garçon, Le droit pénal, origines, évolution, état actuel, Paris, Payot, 1922, p. 114 : « [C]ette peine a conservé sa raison d’être pour les crimes politiques. Le conspirateur, banni de son pays, et séparé de ses partisans, devient beaucoup moins dangereux et, d’autre part, les États étrangers lui donnent volontiers asile, les traités d’extradition le prouvent. » et Jean-André Roux, Cours de droit criminel français. Tome 1, Droit pénal, Paris, Sirey, 1927, 2ème

éd. revue et augmentée, p. 419 : « Ainsi restreint, le bannissement forme peut-être un moyen de répression accep-table. Les délinquants politiques ne sont, en effet, dangereux que pour leur propre patrie : ce sont les ennemis d’un gouvernement, non de la société. Leur exil peut donc soulever de moindres protestations de la part des gouverne-ments étrangers. Mais, ce qui est une meilleure justification, c’est que la reconnaissance du bannissement permet de rendre plus rare la peine de la détention. »

peine du bannissement dans leur département. Vu la nécessité, ils resteront provisoirement dans les prisons, et, de préférence, dans la maison de correction. »543

Moins d’un an plus tard, cette instruction est transposée dans la loi par une ordonnance royale du 2 avril 1817 qui transforme la peine de bannissement en emprisonnement tant que le banni n’a pas obtenu la « faculté d’être reçu en pays étranger » :

« 4. Les individus condamnés au bannissement (Code pénal, article 32) seront transférés à la maison de Pierre Châtel, et y resteront pendant la durée de leur ban, à moins qu’ils n’obtien-nent la faculté d’être reçus en pays étranger ; dans ce cas, ils seront transportés à la frontière. Ceux qui auront la faculté de s’embarquer, et qui le demanderont seront conduits au port d’em-barquement, sur l’ordre de notre ministre de l’intérieur. »544

L’ordonnance mentionne aussi de manière plus originale la « faculté de s’embarquer ». Très probablement, il s’agit ici de la possibilité pour un condamné de gagner l’Amérique, pratique courante aux XVIIIe et XIXe siècles en Europe et qui a appelé de sévères critiques545, notam-ment du premier ambassadeur des États-Unis en France, Benjamin Franklin546.

148. Le XIXe siècle traduit un recul important de la peine de bannissement, à la fois dans

son champ d’application, mais aussi dans son usage, puisque se heurtant aux souverainetés des

543 Circulaires, Instructions et autres actes émanés du Ministère de l’Intérieur, III, Paris, Imprimerie royale, 1823, 2ème éd., p. 113-114. À ce texte s’ajoute une circulaire du 14 septembre 1816 portant les mêmes provisions, men-tionnée par Edouard Boitard, Leçons sur les codes pénal et d’instruction criminelle, Paris, Gustave Thorel, 1842, 2ème éd. (augmentée par Gustave de Linage), p. 147-148, dont nous n’avons pas retrouvé trace.

544 Ordonnance du Roi portant règlement sur les maisons centrales de détention, 7, Bull. 150, n° 1954, in Duvergier,

Collection, t. 28, Paris, A. Guyot et Scribe, 1827, p. 177.

545 Francis Lieber notamment, internationaliste et professeur à Columbia, condamnera dans les termes les plus clairs cet usage dans une lettre ouverte adressée au Secrétaire d’Etat américain Hamilton Fish et publiée au New

York Times le 29 septembre 1869 : « L’exportation de condamnés, toujours clandestine parce que les

gouverne-ments rougissent du fait et le nient aussi longtemps que possible, date de l’époque où les nations, à part certains liens de commerce ou autres, se considéraient comme isolées dans leur indépendance, purement juxtaposées, ayant le droit de se faire réciproquement autant de mal que leur pouvoir respectif le permettait, sans être obligées à rien les unes vis-à-vis des autres. Telle était du moins la pratique, bien que la théorie valût mieux. (…) La loi des nations est changée dans ses bases. Elle repose aujourd’hui, avant tout, sur le principe de bon voisinage. (…) Et maintenant est-il juste, équitable, digne de bons voisins et d’honnêtes gens de rejeter sur d’autres le poids de criminels que l’on trouve trop pénible de punir soi-même ? N’est-il pas nécessaire qu’une nation se protège contre cette insultante et malfaisante exportation du crime vivant ? La réponse à ces questions est trop évidente. » La lettre est traduite et reproduite in extenso par Gustave Rolin-Jaequemyns, « Chronique du droit international – fragment relatif à deux questions américaines », Revue de droit international et de législation comparée, 1870, vol. 2, p. 147-150, et les obs. p. 150-151.

546 Très critique de la pratique britannique, Benjamin Franklin proposait déjà d’envoyer en échange des transportés anglais installés en Amérique des serpents à sonnette pour peupler les parcs londoniens, voy. « Felons and

Rattle-snakes », The Pennsylvania Gazette, 9 mai 1751, in The Papers of Benjamin Franklin, vol. 4, 1961, New Haven,

Yale University Press, p. 130-132. Sur la question de l’expulsion des pauvres au XIXe siècle vers l’Amérique, voy. Hidetaka Hirota, Expelling the Poor, Atlantic Seaboard States and the Nineteenth-Century Origins of

États voisins547, désormais hostiles à ce processus de relégation territoriale. En matière de ban-nissement donc, la fonction territoriale de la nationalité émerge de l’inaccessibilité du territoire de l’État tiers : l’inexpulsabilité du national tient autant d’un principe abstrait d’attachement à la nation et surtout au territoire548 que d’un principe de réalité – le déplacement vers un autre État d’un condamné est particulièrement difficile. Parallèlement d’ailleurs, ce sont les peines de déportation549, de travaux forcés par transportation550, et de relégation551 qui se développent dans la législation française. Ces peines provoqueront le déplacement de dizaines de milliers d’individus sur le territoire des colonies françaises (surtout la Guyane et la Nouvelle Calédonie) suite à leur condamnation pénale. À la manière du bannissement, les individus sont évacués du territoire métropolitain selon un principe de confinement territorial (avec un but accessoire de consolidation de la colonisation), mais ces peines ne requièrent pas l’accord d’un État tiers, elles ne provoquent pas de rupture territoriale.

149. Pour autant, même si le recul est important, il n’y pas encore de disparition. Le XIXe

siècle et le début du XXe siècle restent émaillés de bannis pour des motifs politiques. Le con-tingent le plus important de bannis du XIXe siècle provient de la répression de la Commune de Paris, les communards défaits étant souvent condamnés à cette peine ; ils gagnent la Belgique, la Suisse, l’Italie ou encore l’Angleterre552. Par ailleurs, dans une forme plus solennelle et

547 Comme le résume notamment Johann Kaspar Bluntschli, Le droit international codifié (1872, trad. Lardy), op.

cit., p. 217, « [A]ucun état n’est autorisé à faire conduire des condamnés à la frontière d’un état sans le

consente-ment de celui-ci. » et après lui Paul Weis, Nationality and Statelessness in International Law, op. cit., p. 47, « Si les Etats expulsaient leurs nationaux vers le territoire d’autres Etats sans le consentement de ces Etats (…), alors ils forceraient ces Etats à conserver sur leur sol des étrangers qu’ils ont pourtant le droit d’expulser en vertu du droit international. Une telle action constituerait une violation de la suprématie territoriale de ces Etats. Cela ferait peser sur eux un fardeau qu’ils n’ont pourtant pas à assumer en droit international, et qui, si la situation persistait, conduirait nécessairement à une perturbation du bon ordre et de la conduite pacifique des relations entre Etats de la communauté internationale. »

548 Voy. Charles Delessert, L’établissement et le séjour des étrangers au point de vue juridique et politique, op.

cit., p. 52 : « [La peine de bannissement] est en contradiction flagrante avec cette faculté élémentaire, accordée au

national, de résider perpétuellement sur le sol de sa patrie. On ne saurait donc assez la critiquer puisqu’elle atteint la nationalité à sa base même et vient détruire les effets de cet important rapport de droit ». Le même auteur précise encore : « Un éloignement du national, imposé par l’État, annulerait en somme la nationalité : il consommerait la rupture juridique entre l’individu et l’État. » (p. 40).

549 Peine ancienne, issue de l’Ancien Droit et maintenue dans les législations postérieures.

550 Loi du 30 mai 1854 sur l’exécution de la peine de travaux forcés, XI, Bull. 628, n° 1527, in Duvergier,

Collec-tion, t. 54, Paris, Direction de l’administraCollec-tion, 1854, p. 269-279.

551 Loi du 27 mai 1885 sur les récidivistes, XII, Bull. 931, n° 15.501, in Duvergier, Collection, t. 85, Paris, Larose et Forcel, 1885, p. 225-252.

552 Voy. Sylvie Aprile, Le Siècle des Exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, CNRS Éditions, 2010, 336 p ; Marc Vuilleumier, « L’exil des communeux », in Michelle Perrot, Jacques Rougerie (dir.), La

Com-mune de 1871. L’événement, les hommes et la mémoire, Étienne, Publications de l’Université de

nemment politique, le Sénat de la IIIe République, réuni en Haute Cour conformément à l’ar-ticle 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875553 condamnera divers « complotistes » à des peines de bannissement554. Tel est le cas en 1900 de Paul Déroulède, militant de la droite nationaliste, et André Buffet, militant nationaliste et royaliste. Tous deux sont reconnus cou-pables de complot dans le but de détruire ou de changer la forme de gouvernement par une décision de la Haute Cour du 4 janvier 1900, et condamnés à dix années de bannissement555 – ils ne cachaient pas pour le premier une ferme volonté d’abolir le régime parlementaire, et pour le second de rétablir la monarchie orléaniste. Déroulède gagne Saint Sébastien en Espagne (haut lieu du nationalisme basque), et Buffet gagne Bruxelles en Belgique556. Tel est à nouveau le cas dans une seconde affaire jugée par la Haute Cour en 1918 à propos d’un député radical-socia-liste et ancien ministre de l’intérieur, Louis Malvy. Accusé de trahison pendant la grande guerre par l’Action française en raison de son inaction face à la propagande pacifiste et ouvrière, Malvy se défend en invoquant l’« union sacrée » des Français pendant le conflit et l’impérieuse néces-sité de ne pas provoquer des crises et des soulèvements plus graves encore en engageant une politique répressive. Le 6 août 1918, il est finalement reconnu non coupable du crime d’intelli-gence avec l’ennemi, mais coupable de « forfaiture », infraction non prévue par le code pénal, et dont la Haute Cour appliquera pour peine cinq années de bannissement557 – « cet arrêt est illégal et incohérent »558 jugera Léon Duguit dans un article particulièrement critique au regard du principe de légalité des délits et des peines. Malvy, comme Déroulède avant lui, gagne

553 « (…) Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat. Le Sénat peut être constitué en Cour de justice par un décret du Président de la République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue

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