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La consécration du principe en droit international des droits de l’homme

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 114-119)

Section 2. La consécration des fonctions territoriales de la nationalité (XIX-XXe s.)

B. La consécration du principe : généralisation et subjectivisation

2. La consécration du principe en droit international des droits de l’homme

126. Consécration politique dans la déclaration universelle des droits de l’homme. –

La déclaration universelle des droits de l’homme du 10 novembre 1948 stipule en son article 13, § 2 que « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » L’obligation interétatique de réadmettre les nationaux est ainsi portée au bénéfice des individus : l’on passe d’une obligation à la charge des États à un droit individuel en puis-sance, puisque pas encore consacré dans un instrument juridique obligatoire.

127. L’adoption de cette stipulation n’a d’ailleurs posé aucune difficulté. Certes, les textes

initiaux rédigés par le comité de rédaction ou la commission des droits de l’homme ne compre-naient pas cette garantie. Mais lorsque Karim Azkoul, le représentant du Liban, à la séance du 2 novembre 1948 de la troisième commission de l’Assemblée générale, propose d’ajouter qu’il est possible à chaque individu, en plus de quitter son pays de nationalité, d’y revenir463, l’amen-dement est adopté par trente-trois voix favorables, aucune opposition, et huit abstentions464.

461 Counter Terrorisme and Security Act du 12 février 2015, part. I, chap. 2, 2., (1), (b).

462 La loi n’est pas sans contrarier quelques principes internes de Common Law, comme l’a précisé le Député Dominic Grieve lors des débats à la séance du 2 décembre 2014 : « It is a fundamental principle of the common

law in this country that an individual, unconvicted – the presumption of innocence applies – should be free to reside in his own land. The principle of exile, as a judicial or even an administrative tool, has not been tolerated in this country since the late 17th century. It is certainly no part of our criminal justice panoply, and certainly not part of administrative provisions or powers given to the state. (…) The point is often well made that as Parliament is sovereign, it can exclude the common law whenever it likes, but the fact is that the more fundamental the common law principle, the more careful we should be before excluding it. », in House of Commons Debates (Hansard),

vol. 589, col. 228.

463 Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 120ème séance, compte rendu analytique, 2 novembre 1948, A/C.3/SR.120, p. 316.

Karim Azkoul justifie son projet en considérant que la libre émigration est un objectif souhai-table pour l’ordre international, mais qu’à défaut d’un tel droit, « Le minimum exigeable (sic) est que toute personne ait le droit de rentrer dans son propre pays. »465 Les États-Unis comme le Royaume-Unis soutiennent publiquement cet amendement ; le représentant de l’URSS y voit un principe « patriotique »466, tandis que la Pologne ne manque pas de préciser qu’elle applique déjà ce principe à tous ses ressortissants, notamment à ses ouvriers expulsés par la France à la suite des mouvements de grève de 1948467. À la lecture des débats, il ne fait donc guère de doute que « revenir dans son pays » signifie revenir dans son pays de nationalité.

128. Consécration juridique progressive en droit conventionnel. – Le pacte

internatio-nal relatif aux droits civils et politiques signé le 16 décembre 1966 va consacrer juridiquement ce droit individuel d’entrer dans son pays de nationalité, tout en réservant une protection aux seuls cas de privation arbitraire de ce droit. Cet instrument général de protection des droits de l’homme mentionne ainsi à l’article 12 § 4 que « Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. »

129. La filiation avec le texte de la déclaration universelle des droits de l’homme est

mani-feste. La lecture des travaux préparatoires révèle en effet que c’est à nouveau Karim Azkoul, représentant du Liban à la Commission des droits de l’homme, qui propose d’enrichir le projet de pacte de cette formule – qu’il avait déjà réussi à faire adopter en 1948. Le diplomate annonce en effet, lors de la séance du 31 mai 1949 de la Commission des droits de l’homme, que sa délégation souhaite voir inscrit « le droit pour tout individu de revenir dans son propre pays » dans cette future convention, sur le modèle de la déclaration universelle468. Le représentant de l’URSS fait cependant valoir que le terme « propre pays » est d’une définition malaisée et qu’il

465 Ibid., p. 316.

466 Ibid.

467 Ibid. p. 320-321 : « Même en France, les atteintes portées récemment au droit de grève, parfois au prix d’inci-dents sanglants, et les déportations de grévistes étrangers, dont certains résidant en France depuis plus de vingt ans, ont participé à la défense du pays et à sa reconstruction, constituent des violations non moins graves des droits les plus sacrés de l’homme. La représentante de la Pologne ne se préoccupe pas seulement du sort des Polonais expulsés à la suite de ces mesures – citoyens que son pays recevra toujours à bras ouverts – mais de celui de tous les autres travailleurs qui sont dans le même cas. C’est pourquoi la délégation polonaise appuiera l’amendement présenté par la délégation du Liban. » Sur cet épisode, voy. Stéphane Dufoix, Politiques d’exil : hongrois, polonais

et tchécoslovaques en France après 1945, Paris, PUF, 2002, p. 97-100.

468 Nations Unies, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, 5ème session, 106ème séance, compte rendu, 31 mai 1949, E/CN.4/SR.106, p. 3.

permettrait par exemple aux apatrides de revenir dans leurs pays d’origine469, en faisant proba-blement référence aux dénationalisés de son propre régime470. Pour pallier cette difficulté, Cas-sin fait alors la proposition de remplacer ce terme par « pays dont il est le national », en préci-sant d’ailleurs qu’un tel droit est « fondamental »471. Cette formulation est adoptée à l’unani-mité472. Étonnamment, presque trois années plus tard, la même Commission amende à nouveau l’article et revient à la formulation de la déclaration universelle des droits de l’homme : « entrer dans son propre pays ». Le représentant australien fait en effet valoir que dans son État, ce sont les individus qui ont une « résidence permanente [permanent home] » qui ont droit d’entrer sur le territoire, et que sa législation n’entre ainsi pas dans les prévisions du projet de Convention. Le président propose alors de revenir à la formule générale « propre pays »473, ce qui est adoptée par dix voix contre deux et six abstentions474. Il ne faut donc pas surestimer un tel changement sémantique, qui traduit sans doute aussi une volonté de continuité avec la déclaration univer-selle. D’ailleurs, les débats au sein de la troisième Commission démontrent que pour une très grande majorité des orateurs, la notion de « propre pays » se confond avec celle de nationalité, certains États comme le Japon475, le Canada476, le Royaume-Uni477 ou la Tchécoslovaquie478

469 Ibid., p. 7.

470 Voy. infra n° 561 s.

471 Nations Unies, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, 5ème session, 106ème séance, compte rendu, 31 mai 1949, E/CN.4/SR.106, p. 8.

472 Ibid., p. 10.

473 Nations Unies, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, 5ème session, 315ème séance, compte rendu, 29 mai 1952, E/CN.4/SR.315, p. 12-14.

474 Nations Unies, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, 5ème session, 316ème séance, compte rendu, 29 mai 1952, E/CN.4/SR.316, p. 5.

475 Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 956ème séance, compte rendu analytique, 13 novembre 1959, A/C.3/SR.956, § 30, p. 253 : « [La délégation japonaise] tient toutefois à préciser qu’au Japon, l’exercice du droit [d’entrer] dépend de la nationalité et non du lieu de résidence de l’individu. (…) En conséquence, la délégation japonaise appuiera l’amendement des Cinq, sous réserve qu’on puisse interpréter les mots “dans son propre pays” comme signifiant “dans le pays dont il est ressortissant”. »

476 Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 957ème séance, compte rendu analytique, 16 novembre 1959, A/C.3/SR.957, § 1, p. 255 : « pour [la délégation canadienne], “dans son propre pays” peut seulement signi-fier “dans le pays dont l’intéressé est ressortissant”. »

477 Ibid., § 19, p. 257 : « Cette expression, “son propre pays” est d’ailleurs trop imprécise. La délégation du Royaume-Uni en donne la même interprétation que la délégation canadienne, à savoir le pays dont l’intéressé est ressortissant. »

478 Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 958ème séance, compte rendu analytique, 17 novembre 1959, A/C.3/SR.958, § 5, p. 259 : « L’expression “son propre pays” figure dans les deux textes, et la représentante de la Tchécoslovaquie tient à bien préciser qu’à son avis cette expression désigne l’État dont la personne considé-rée est ressortissante en application des lois et règlements en vigueur dans ledit État. Dans cette définition n’ont à intervenir ni les éléments affectifs ni les éléments historiques et géographiques. » La délégation insiste en particu-lier sur ce point puisque de nombreux ressortissants tchécoslovaques, devenus Allemands à la suite de l’annexion des Sudètes, ont été expulsés vers l’Allemagne à la suite de la seconde guerre mondiale : « Ces Allemands ont été expulsés de la Tchécoslovaquie en tant que membres de la cinquième colonne hitlérienne qui a trahi la Tchécoslo-vaquie et cherché à exterminer le peuple tchécoslovaque. (…) Ces Allemands ne sont pas citoyens tchécoslovaques et la Tchécoslovaquie n’est pas leur pays. », in ibid.

émettant même explicitement cette réserve479. Le texte finalement adopté ne s’analyse par ail-leurs pas en une protection absolue : l’adverbe « arbitrairement » est adjoint à la prohibition du droit d’entrer. Les travaux préparatoires montrent qu’à cette époque, une majorité relative et silencieuse480 d’États (à l’exception de l’Italie481) souhaite réserver l’hypothèse du bannisse-ment et ne pas forcébannisse-ment créer un droit subjectif à entrer dans son pays de nationalité à l’égard d’individus qui ne seraient plus sur le sol national subséquemment à une mesure de bannisse-ment (sur ce point, voy. infra n° 145 s.). Les discussions à propos de l’apposition de cet adverbe sont âpres, en raison notamment d’une opposition en bloc des pays d’Amérique latine dont les législations ne connaissent pas la peine de bannissement. En novembre 1959, le terme « arbi-trairement », qui fait l’objet d’un vote séparé, est adopté par 29 voix contre 20, avec 20 absten-tions482.

130. C’est un texte adopté dans le cadre du Conseil de l’Europe qui va juridiquement

con-sacrer le droit absolu (et non pas garanti contre le seul arbitraire) d’entrer dans son pays de nationalité. Le protocole n° 4 du 16 septembre 1963 reconnaissant certains droits et libertés annexé à la Convention européenne des droits de l’homme stipule en son article 3, § 2 : « Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant. ». Le texte arrêté par l’Assemblée générale du Conseil de l’Europe prend directement comme modèle le texte du Pacte, qui est alors encore en discussion aux Nations Unies. Il s’en écarte toutefois en deux points. Le texte du Conseil de l’Europe, en projet en 1958, prévoit en effet une garantie absolue du droit d’entrer, mais dont les destinataires sont encore incertains, le projet marquant une hésitation entre deux membres de phrase pour clôturer la formule : « Toute personne est libre d’entrer [dans son propre pays] ou [dans le pays dont elle la ressortissante] »483. Sur le caractère arbitraire, le rapport explicatif précise bien que face au « cercle homogène du Conseil de l’Europe, (…) [le rapporteur] a supprimé l’adverbe “arbitrairement” »484. En revanche, le

479 L’on doit surtout au Comité des droits de l’homme une extension de la notion vers l’idée d’une garantie de l’étranger se trouvant en situation de « quasi-nationalité », voy. les références infra n° 521.

480 Comme le souligne la délégation des Philippines, Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 958ème

séance, compte rendu analytique, 17 novembre 1959, A/C.3/SR.958, § 10, p. 260 : « On sait que l’exil est une peine encore pratiquée, mais aucun État ne reconnaît officiellement qu’il continue de l’appliquer. »

481 Ibid., § 21, p. 261 : « En droit italien, une personne ne peut être exilée que pour des raisons de sécurité nationale (par exemple pour prévenir des troubles), mais jamais à titre de sanction pénale ».

482 Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 959ème séance, compte rendu analytique, 17 novembre 1959, A/C.3/SR.959, § 27, p. 264.

483 Deuxième Protocole Additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fonda-mentales (Projet), in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 40.

484 Assemblée Consultative, Commission Juridique, Sous-Commission n° 12 (Droits de l’homme). Deuxième Pro-tocole additionnel à la Convention des droits de l’homme. Deuxième rapport préliminaire présenté par M. Lannung

rapporteur note bien que la formule « dans son propre pays » n’est pas équivalente à « dans le pays dont elle est ressortissante », la première formule couvrant le pays de nationalité et « le pays où l’intéressé a son domicile permanent »485 – à la différence de la seconde formule qui ne couvre que le pays de nationalité. Le rapporteur ne tranche pas entre les deux options et laisse au comité d’experts le soin d’étudier la question.

131. Le comité d’experts marque donc quelques hésitations de principe lors de ses

pre-mières rencontres en avril 1961 à la fois sur l’opportunité de conserver la protection contre les seules mesures « arbitraires » d’une part, et de réserver la protection aux seuls nationaux486. Il tranche finalement en octobre de la même année pour l’exclusion du terme « arbitrairement » et pour la protection des seuls « ressortissants », sans étendre donc les bénéficiaires aux étran-gers domiciliés487. L’adoption au même moment d’un texte européen issu du droit international multilatéral a pu avoir une portée décisive488. En effet, l’Accord européen sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe, signé le 13 décembre 1957 et entré en vigueur le 1er octobre 1958 suite aux ratifications de nombreux États européens comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, l’Italie, etc., prévoit en son article 5 que « Chacune des Parties contractantes réadmettra sans formalité sur son territoire tout titulaire de l’un des documents énumérés dans la liste établie par elle et figurant à l’annexe au présent Accord [passeport, carte nationale d’identité, etc.], même dans le cas où la nationalité de l’in-téressé serait contestée. »489 L’on constate ainsi que la réception complète de l’obligation éta-tique de réadmission des nationaux cristallise ici la praéta-tique européenne et justifie l’adoption d’un droit subjectif au profit des ressortissants nationaux. Le texte arrêté par le Comité d’experts sera soumis et adopté en l’état par les membres du Conseil de l’Europe.

132. L’obligation de réadmission des nationaux, née de l’implicite révolutionnaire et plus

tard consacrée par le droit international public, finit donc par intégrer le champ des droits sub-jectifs en se muant en un droit d’entrer sur le territoire de son État de nationalité. Une telle mue

(rapporteur), AS/Jur XII (10), 10 décembre 1958, in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du

Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 30. 485 Ibid., p. 31.

486 Comité d’experts, Examen du projet de second Protocole additionnel, 2ème réunion du 24 au 29 avril 1961, DH/Exp (61) 15 du 7 août 1961, in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 366 et s.

487 Comité d’experts, Examen du projet de second Protocole additionnel, 3ème réunion du 2 au 11 octobre 1961, DH/Exp (61) 35 du 17 octobre 1961, in ibid., p. 441.

488 En ce sens, voy. les différentes mentions par le Comité d’experts, Examen du projet de second Protocole addi-tionnel, 2ème réunion du 24 au 29 avril 1961, DH/Exp (61) 15 du 7 août 1961, in ibid., p. 367.

489 Accord européen sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe, signé le 13 décembre 1957, Série des traités et conventions européens, n° 25.

est toutefois laissée à la discrétion des États qui restent maîtres de ratifier ou non les instruments conventionnels qui consacrent ce droit ; seule l’obligation coutumière de réadmission des na-tionaux (qui ne vaut que dans les relations interétatiques) a une valeur absolue et générale.

§ 2. La prohibition de l’expulsion des nationaux

133. Le processus lié à la consécration de la prohibition de l’expulsion des nationaux

pré-sente de nombreuses similitudes avec l’obligation de réadmission, même s’il est plus tardif. Dès le droit intermédiaire en effet, les ressortissants français sont considérés comme inexpulsables, une caractéristique que ne partagent justement pas les étrangers. Le principe sera vite consacré par le droit interne et le droit international au XIXe siècle (A). En revanche, des exceptions substantielles ont longtemps prévalu, spécialement sous la forme des peines de bannissement des nationaux. Mais cette peine va progressivement disparaître de l’ordre juridique au XXe siècle, suite à des charges doctrinales particulièrement sévères et à un contexte de clôture na-tionale (B).

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 114-119)

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