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Les prémices d’un droit de la libre circulation et installation (1815-1867)

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 149-152)

166. La circulation dans l’Allemagne pré-nationale. – Les premières traces d’une libre

circulation dans un espace allemand composé d’États souverains apparaissent avec la Confédé-ration allemande ou germanique (Deutscher Bund). Il s’agit d’« une alliance de 38 principautés qui repose sur le principe de souveraineté patrimoniale »617, comprenant notamment les deux grandes puissances prussienne et autrichienne ; la structure n’est pas fédérale à proprement par-ler, mais davantage internationale et tournée vers la concertation618. Pour autant, les « Actes fédéraux allemands [Deutsche Bundesakte] » du 8 juin 1815 comprennent un article 18 qui dispose que « Les Princes allemands et les villes libres conviennent d’assurer aux ressortissants [Unterthanen] des États membres [Bundesstaaten] allemands d’assurer les droits suivants : (…) 2) Le pouvoir : a) de quitter un État membre allemand pour un autre qui est prêt à les accepter comme ressortissant »619. Comme le note justement Olivier Beaud, « une telle disposition n’as-sure pas à proprement parler un droit de libre circulation entre États, mais confère un droit d’émigration dans un autre État membre qui conserve la prérogative souveraine d’accepter ou non ce ressortissant sur son territoire. »620 Faut-il y voir un « progrès juridique »621 ? Sans doute, puisque cet article est un cadre préfigurateur d’une future libre circulation : consentir

616 La linéarité marque toutefois une rupture lors de la période nationale-socialiste.

617 Johann Chapoutot, Histoire de l’Allemagne (1806 à nos jours), Paris, PUF, 2017, 2ème éd., p. 20.

618 Comme le précise notamment Johann Chapoutot, ibid., p. 21, à propos des nouvelles institutions : « Chaque Etat envoie des représentants permanents à la diète fédérale (Bundestag ou Bundesversammllung) (…). Ces sentants sont des diplomates mandatés par leurs souveraints, et non des députés membres d’une quelconque repré-sentation démocratique. »

619 « Art. 18. Die verbündeten Fürsten und freyen Städte kommen überein, den Unterthanen der deutschen

Bun-desstaaten folgende Rechte zuzusichern: b) Die Befugniß 1. des feyen Wegziehens aus einem deutschen Bundes-staat in den andern, der erweißlich sie zu Unterthanen annehmen will (…). » La traduction est d’Olivier Beaud,

in « Une question négligée dans le droit de la nationalité : la question de la nationalité dans une Fédération », op.

cit., p. 15. 620 Ibid., p. 16.

collectivement à la libre émigration, c’est nécessairement – par réciprocité – adopter une atti-tude soucieuse de l’immigration allemande622. La portée de l’article demeure toutefois exclusi-vement symbolique et la libre circulation n’est en aucun cas dotée d’une force juridique. En toutes hypothèses, le contexte antilibéral et conservateur de l’époque de la Restauration n’est pas propice à l’extension des libertés individuelles623.

167. Des prémices juridiques internationales. – L’idée de libre circulation va

progressi-vement s’installer dans le premier XIXe siècle allemand, par deux nouveaux instruments juri-diques. La création d’un traité établissant un « Zollverein [union douanière] » en 1833 y est d’abord pour beaucoup. Sous l’instigation – et l’hégémonie – de la Prusse, cette union doua-nière est créée pour renforcer économiquement le territoire allemand. Mais les objectifs étaient également politiques, comme le note l’historien allemand Thomas Nipperdey dans ses réputées Réflexions sur l’histoire allemande : « Au plan politique, l’Union douanière était (dans l’inten-tion même des hommes politiques) le germe d’une Allemagne nouvelle et plus forte, sous di-rection prussienne. »624 L’Autriche ne fait pas partie de cette union, laissant place à la solution politique d’une « Kleindeutsch [littéralement petite Allemagne] » ; il s’agit alors, toujours selon Nipperdey, d’une « confédération dans la confédération »625. Cette union douanière laisse émerger en théorie et en pratique l’idée d’une libre circulation des marchandises, ce qui préfi-gure celle des individus, et contribue à l’unification allemande par l’harmonisation fiscale et économique.

168. Un second accord international permet ensuite d’inscrire, cette fois explicitement,

l’idée de la libre circulation des individus en Allemagne. Le traité de Gotha relatif à l’admission des expulsés (Gothaer Vertrag über die Aufnahme von Ausgewiesenen) signé le 15 juillet 1851 organise l’obligation de réadmission des nationaux dans l’espace allemand : lorsqu’un ressor-tissant d’un État membre séjourne dans un autre État membre d’accueil et que celui-ci est ex-pulsé pour des raisons liées à l’indigence ou à l’ordre public, son État de nationalité s’engage à le recevoir ; surtout, le traité organise les modalités pratique de cette procédure – il est à ce titre révélateur du développement de ce type de conventions au XIXe siècle (voy. supra n° 115 s.). Par son objet, ce traité ne crée évidemment pas un droit de libre circulation et installation dans

622 Il ne faut toutefois pas exagérer le sens de cet article, notamment parce qu’à cette période, la libre émigration était globalement garantie partout en Europe. Voy. Andreas K. Fahrmeir, « Nineteenth-Century German Citizen-ships : A Reconsideration », The Historical Journal, 1997, vol. 40, n° 3, p. 730-731.

623 Johann Chapoutot, Histoire de l’Allemagne (1806 à nos jours), op. cit., p. 22-24.

624 Thomas Nipperdey, Réflexions sur l’histoire allemande (1986, trad. Clause Orsoni), Paris, Gallimard, 1992, p. 102.

la Confédération germanique. Pour autant, et comme le relève de manière tout à fait inédite Andreas Fahrmeir dans un article paru dans The Historical Journal en 1997626, le préambule de ce traité annonce la volonté de « préparer une liberté de séjour générale en Allemagne [ein allgemeines deutsches Heimathsrecht] »627. L’idée est donc bien d’organiser le rapatriement de certains nationaux pour faciliter une circulation encadrée des individus entre les États parties ; l’ensemble permet alors d’établir les fondations juridiques d’une future libre circulation.

169. Des prémisses juridiques dans le processus constituant avorté de Francfort. –

L’annonce d’une telle réflexion n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard ou d’une déclaration de principe abstraite : les épisodes constitutionnels de la Révolution allemande de 1848/49 avaient préparé cette idée628. En effet, la Révolution de mars 1848 a entrainé la formation à Francfort d’un Parlement se chargeant d’établir une déclaration de droits fondamentaux et une nouvelle Constitution fédérale, libérale et parlementaire – en réaction à une Confédération germanique autoritaire et conservatrice. En 1849, les parlementaires ont achevé ces deux textes, mais le Roi de Prusse bloque le processus d’adoption en refusant la couronne impériale, ce qui marque la fin de cette période révolutionnaire et un retour à l’ordre ancien629. Il n’empêche, ces textes ont eu une importance considérable dans la réflexion constitutionnelle et fédérale allemande. En matière de libre circulation et installation, la loi impériale sur les droits fondamentaux du peuple allemand (Reichsgesetz betreffend die Grundrechte des deutschen Volkes) adoptée le 27 dé-cembre 1848 par le Parlement de Francfort prévoyait justement en son article 1, §3 que : « Chaque Allemand a le droit d’élire domicile et de séjourner [Aufenthalt und Wohnsitz] en tous lieux du territoire impérial [Reichsgebietes] (…). Les conditions de domicile et de séjour sont régies par une loi sur le séjour [Heimathsgesetz] (…). »630 Le texte est repris à l’identique dans le § 133 du projet de Constitution631 adopté le 28 mars 1849. C’est la première fois dans

626 Andreas K. Fahrmeir, « Nineteenth-Century German Citizenships : A Reconsideration », op. cit., p. 749.

627 Philipp Anton Guido von Meyer (dir.), Corpus Juris Confoederationis Germanicae, II, Francfort, Drud et Ver-lag von H. T. Brönner, 3ème éd., 1859, p. 583, et p. 582-585 (reproduction du traité).

628 Voy. not. Christoph Schönberger, Unionsbürger. Europas föderales Bürgerrecht in vergleichen Sicht, op. cit., p. 98-100.

629 Le retour est toutefois plus juridique que politique, comme le note Thomas Nipperdey, Réflexions sur l’histoire

allemande, op. cit., p. 110 : « La restauration de la Confédération germanique pouvait rétablir la situation d’avant

1848 sur le plan juridique, mais pas dans la réalité. La question de la réforme de la Constitution fédérative de l’Allemagne vers une unité plus consistante resterait désormais à l’ordre du jour. »

630 « Jeder Deutsche hat das Recht, an jedem Orte des Reichsgebietes seinen Aufenthalt und Wohnsitz zu nehmen

(...). Die Bedingungen für den Aufenthalt und Wohnsitz werden durch ein Heimathsgesetz (...). » art. 1, § 3,

Reichs-gesetz, betreffend die Grundrechte des deutschen Volkes vom 27. Dezember 1848.

631 Appelée « Frankfurter Reichsverfassung » ou « Paulskirchen-Verfassung », respectivement en raison du nom de la ville de Francfort et de son Eglise Saint-Paul où se réunissaient les révolutionnaires.

toire allemande qu’un droit de libre circulation et installation est proclamé dans un texte cons-titutionnel au profit de l’ensemble des ressortissants nationaux de l’Empire. Il est intéressant de noter qu’en aucune manière ce droit n’est absolu, des « conditions [Bedingungen] » devront être fixées par une loi à laquelle le texte constitutionnel renvoie – il paraît assez certain que les États fédérés seraient restés libres de restreindre les conditions de séjour pour des motifs tirés de l’indigence ou de l’ordre public. Même si ce texte n’acquiert pas de valeur juridique, l’avan-cée demeure décisive pour imposer l’idée dans la pensée constitutionnelle allemande.

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 149-152)

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