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Disparition de la peine de bannissement

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 136-146)

Section 2. La consécration des fonctions territoriales de la nationalité (XIX-XXe s.)

B. La disparition progressive de la peine de bannissement

2. Disparition de la peine de bannissement

152. Dynamique internationale. – Le mouvement juridique d’abrogation des peines de

bannissement est le fruit d’une dialectique internationale et nationale. En droit international d’abord, la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 stipule en son article 9 que « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé » (nous soulignons). Il est intéressant de noter que le projet initial rédigé par la Commission des droits de l’homme (présidée par Eleanor Roosevelt et dont fut membre René Cassin) ne contenait pas cette dernière mention relative à l’« exil »571. Cet ajout provient d’un amendement déposé par le représentant de l’Équateur lors de l’examen du texte par la troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies le 26 octobre 1948, dans la phase finale de rédaction du texte : « cet article doit également faire mention d’une autre forme d’action arbitraire de la part des autorités pu-bliques, à savoir l’exil. (…) [L]a déclaration doit protéger l’individu contre l’expulsion de son

569 Loi du 22 juin 1886 relative aux membres des familles ayant régné en France, XII, Bull. 1018, n° 16.744, in Duvergier, Collection, t. 86, Paris, Larose et Forcel, 1886, p. 195-196.

570 Une position soutenue par l’Institut de droit international par la voix de son président, le professeur Ludwig von Bar, IDI, Annuaire, 1892, vol. 11 (1889-1892), p. 295 : « [L]e bannissement d’individus qui ont le droit de nationalité dans l’État expulsant est généralement contraire aux principes du droit des gens moderne. Cependant, on ne peut pas nier que quelquefois les États, en bannissant des personnes qui auparavant occupaient une situation politique tout à fait exceptionnelle et qu’on voulait empêcher de troubler la tranquillité du pays sans les punir, n’ont obéi qu’à une nécessité extrême. »

571 Nations Unies, Rapport de la 3ème session de la Commission des droits de l’homme, Lake Success, 28 juin 1948, E/800, p. 11.

propre pays. »572 D’abord adoptée de manière absolue573, cette prohibition est finalement rame-née à une proscription du seul exil arbitraire574, c’est-à-dire non prévu par la loi575. En tout état de cause, la proposition apparaît très consensuelle et préfigure une extension de la garantie à toutes les formes d’exils et surtout une consécration proprement juridique.

153. La consécration ne viendra pas de l’adoption du pacte international relatif aux droits

civils et politiques du 16 décembre 1966. Les travaux préparatoires montrent cependant que la commission des droits de l’homme des Nations Unies avait initialement adopté en 1950 la for-mule selon laquelle « Nul ne sera soumis à un exil arbitraire. »576 Le texte est le fruit d’un amendement du représentant français, Pierre Ordonneau, maître des requêtes au Conseil d’État, qui remplace Cassin à la Commission. Son amendement a pour but d’empêcher que le droit d’entrée dans son propre pays, qui figure aussi dans le projet, soit « invoqué pour prohiber un exil pourtant justifié »577. Il note qu’à cette époque « la peine de bannissement n’existe plus en France, à l’exception des cas des prétendants au trône »578 (ce qui est erroné, la peine de ban-nissement subsistant dans l’arsenal pénal, en sus des législations excluant les familles royales et impériales – l’oubli témoigne de la désuétude), et qu’il est pertinent de réserver l’hypothèse d’un « exil légal »579. Les justifications de l’insertion d’une telle stipulation sont finalement critiquées, notamment par le Secrétariat général des Nations Unies en 1955, considérant qu’« une société libérale et démocratique ne devrait pas permettre l’exil et, en conséquence, qu’aucune prévision à ce sujet ne devrait apparaître dans le Pacte. »580 Finalement, en 1959, la troisième Commission de l’Assemblée générale réoriente la protection vers la garantie indivi-duelle selon laquelle « Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays » (voy. supra n° 128 s.), et supprime toute mention à propos de l’exil arbitraire, notamment à l’appel de la France, qui désavoue donc la position de son représentant adoptée neuf années

572 Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 113ème séance, compte rendu analytique, 26 octobre 1948, A/C.3/SR.113, p. 244.

573 « Nul ne peut être exilé », adopté par 21 voix contre 16 et 5 abstentions, Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 114ème séance, compte rendu analytique, 26 octobre 1948, A/C.3/SR.114, p. 252.

574 « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé », adopté par 37 voix contre 1 et 6 abstentions (dont la France), ibid. p. 257.

575 Voy. en ce sens les déclarations non contredites des représentants chiliens et cubains, ibid. p. 255 et 257.

576 « No one shall be subjected to arbitrary exile. », voy. Nations Unies, Conseil économique et social, Commis-sion des droits de l’homme, 151ème séance, compte rendu analytique, 19 avril 1950, E/CN.4/SR.151, § 66, p. 16.

577 Ibid., 150ème séance, compte rendu analytique, 17 avril 1950, E/CN.4/SR.150, § 62, p. 14.

578 Ibid.

579 Ibid., 151ème séance, compte rendu analytique, 19 avril 1950, E/CN.4/SR.151, § 62, p. 16.

580 Secrétariat général des Nations Unies, « Draft International Covenants on Human Rights. Annotation », 1er juin 1955, A/2929, § 58, p. 110.

plus tôt581. Le Pacte de 1966 ne réceptionne donc pas les apports de la déclaration universelle, qui apparaissent dépassés à cette époque : la prohibition du seul exil arbitraire est en deçà de la pratique internationale qui condamne de plus en plus largement ce mécanisme ; mieux vaut ne rien adopter que de cristalliser un standard dont la protection est inférieure à la pratique inter-nationale582.

154. C’est un texte adopté dans le cadre du Conseil de l’Europe qui va juridiquement

ver-rouiller la prohibition absolue des peines de bannissement. Le protocole n° 4 du 16 septembre 1963 reconnaissant certains droits et libertés annexé à la Convention européenne des droits de l’homme stipule en son article 3, 1. : « Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l’État dont il est le ressortissant. » Ce texte empêche les États signataires de prononcer une peine de bannissement, quel qu’en soit sa forme, contre l’un de ses nationaux, ce que révèlent encore les conditions d’adoption et d’interprétation de ce texte. Le texte initial arrêté par l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe prévoyait une for-mule différente selon laquelle « Nul ne peut être exilé du pays dont il est le ressortissant. »583

Le rapporteur considérait alors que « dans le cercle homogène du Conseil de l’Europe, la pro-hibition de l’exil devrait revêtir un caractère absolu, ce qui s’avère malaisé dans le cadre plus vaste de l’ONU »584. Le texte initial entendait donc bien prohiber toutes les formes de bannis-sement. Mais le comité d’experts saisi à la suite rencontre de grandes difficultés pour interpréter la notion d’« exil », notamment pour savoir si cela recoupe ou non la peine judicaire de bannis-sement. Une première majorité établit alors que « L’exil (…) est une mesure exceptionnelle d’expulsion hors de la patrie, prise pour une durée indéfinie par une autorité constitutionnelle, législative ou administrative. Il est différent du bannissement, sanction judiciaire »585. Cette interprétation prévaut par la suite, même après la substitution du terme « expulsion » au terme

581 Nations Unies, Assemblée générale, 3ème Commission, 956ème séance, compte rendu analytique, 13 novembre 1959, A/C.3/SR.956, § 7, p. 251 : « De plus, le texte des Cinq donne l’impression que l’exil, tombé en désuétude dans nombre de pays, est une sanction fréquemment infligée. (…) Mieux vaudrait donc formuler le principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement exilé et supprimer le dernier membre de phrase du paragraphe 2, qui donne trop d’importance à une mesure exceptionnelle. »

582 Voy. en ce sens, les nombreuses positions exprimées lors des débats à la 3ème Commission, in ibid.

583 Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 39.

584 Assemblée Consultative, Commission Juridique, Sous-Commission n° 12 (Droits de l’homme). Deuxième Pro-tocole additionnel à la Convention des droits de l’homme. Deuxième rapport préliminaire présenté par M. Lannung (rapporteur), AS/Jur XII (10), 10 décembre 1958, in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du

Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 30. Ce qui avait d’ailleurs conduit les rédacteurs de la déclaration universelle

des droits de l’homme à accoler le terme « arbitraire » à la prohibition de l’exil (voy. supra n° 152).

585 Comité d’experts, Examen du projet de second Protocole additionnel, 2ème réunion du 24 au 29 avril 1961, DH/Exp (61) 15 du 7 août 1961, in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 362.

d’« exil »586. Suivant une telle interprétation, le protocole n’aurait pas prohibé le bannissement. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, et sans que la raison en soit indiquée dans les travaux préparatoires, que le comité d’experts modifie son interprétation de l’article 3 en deux points : d’abord il ajoute l’autorité « judiciaire » à la liste des autorités auxquelles il est interdit d’ex-pulser des nationaux587 ; ensuite, logiquement, il supprime la peine de bannissement de la liste des exceptions au principe d’inexpulsabilité des nationaux588. Le texte ne changera plus sur ces points. Dès lors, et sans ambiguïté possible, l’intention finale des rédacteurs est bien de prohiber toutes formes d’expulsion des nationaux, y compris la peine de bannissement, qu’elle soit le produit d’une loi ou d’une sentence judicaire.

155. À la même époque, on trouve une semblable dynamique sur le continent américain.

Dans la déclaration de Santiago du Chili, adoptée par les ministres des affaires étrangères des pays membres de l’Organisation des États américains en clôture de la réunion tenue entre les 12 et 18 août 1959, l’article 6 précise que « L’usage systématique du bannissement politique est contraire à l’ordre démocratique américain. »589 Cette déclaration s’inscrit dans une volonté certaine de pacification et de démocratisation de l’Amérique, notamment centrale, dans une période largement marquée par la guerre civile, la dictature et le recours à la force590. Dépour-vue de caractère obligatoire, cette déclaration témoigne toutefois de la pleine réception de la prohibition des mesures de bannissement.

586 Comité d’experts, Examen du projet de second Protocole additionnel, 3ème réunion du 2 au 11 octobre 1961, DH/Exp (61) 35 du 17 octobre 1961, in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 440 : « Au cours de la troisième réunion du Comité, la plupart des experts se sont montrés favorables à une formule qui, dans sa substance, reviendrait à prohiber le fait pour une autorité constitutionnelle, législative ou administrative d’expulser des nationaux hors de la patrie. La majorité des experts a estimé préférable de ne pas employer le terme “exil” (…). La notion d’expulsion a été retenue (…). Il a été entendu que la prohibition de l’expulsion des ressortissants ne visait pas notamment le bannissement en tant que sanction judiciaire (…). »

587 Comité d’experts, Examen du projet de second Protocole additionnel, 4ème réunion du 2 au 10 mars 1962, DH/Exp (62) 7 du 8 mai 1962, in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du Protocole n° 4, Strasbourg, 1976, p. 536. Le comité ajoute aussi avec emphase : « Le plus souvent, les expulsions de nationaux, qu’elles frappent des individus ou des groupes, sont inspirées par des mobiles d’ordre politique. Dans plusieurs Etats, des membres d’anciennes dynasties régnantes ont été victimes de telles pratiques. »

588 Comité d’experts, Examen du projet de second Protocole additionnel, 6ème réunion du 22 au 27 octobre 1962, DH/Exp (62) 32 du 12 décembre 1962, in Conseil de l’Europe, Recueil des travaux préparatoires du Protocole

n° 4, Strasbourg, 1976, p. 599 : « Le comité a décidé de ne pas se référer dans le commentaire de cet article à la

notion de bannissement. »

589 « The systematic use of political proscription is contrary to American democratic order. ». Voy. « Declaration of Santiago, Chile », The American Journal of International Law, 1961, vol. 55, n° 2, p. 537-539, ici p. 538.

590 Voy. par ex. Darren Hawkins et Carolyn M. Shaw, « The OAS and Legalizing Norms of Democracy », in Thomas Legler, Sharon F. Lean et Dexter S. Boniface (dir.), Promoting Democracy in the Americas, Baltimore, John Hopkins University Press, 2007, p. 31 ; Jean-Michel Arrighi, « The Prohibition of the Use of Force and Non-Intervention : Ambition and Practice in the OAS Region », in Marc Weller, The Use of Force in International

156. Finalement, en droit international général, au-delà des normes conventionnelles, la

pratique internationale et l’opinio juris convergent pour faire de la prohibition du bannissement une norme coutumière, comme le note Rezek dans son cours à La Haye en 1986 :

« Une seconde règle que l’on peut dégager d’une pratique généralement acceptée comme étant le droit est celle qui proscrit le bannissement. Aucun État, en effet, ne peut expulser son natio-nal à destination soit d’un territoire étranger soit d’un espace commun – ne serait-ce que pour l’excellente raison que ces territoires et ces espaces sont insusceptibles d’être pris pour des domaines d’outre-mer. »591

157. Dynamique nationale. – La France a, par anticipation d’abord, par conformité

en-suite, adapté sa législation. Concernant le bannissement par voie législative des familles royales. La loi du 24 juin 1950592 abroge en son article 1er la loi du 22 juin 1886 relative aux membres des familles ayant régné en France. Issu d’une proposition de loi déposée par le Dé-puté Paul Hutin-Desgrées, ce texte est adopté par une large majorité à l’Assemblée Nationale593

et au Conseil de la République594 et permet notamment au comte de Paris, Henri d’Orléans, de rentrer en France595. Le contexte est apaisé et le caractère républicain du régime est désormais bien ancré, comme le précise le rapporteur :

« Si quelques-uns de nos compatriotes peuvent encore avouer un certain attachement à ces régimes, il ne s’agit plus guère – il faut bien le reconnaître – que d’une fidélité sentimentale que certaines familles se transmettent de père en fils, suivant le principe héréditaire qui leur est cher. »596

Surtout, ce même rapporteur mentionne parmi d’autres l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (préc.) de même que les travaux du Conseil de l’Europe qui prévoient dès cette époque597 d’inscrire, sur le modèle de la déclaration universelle, l’interdiction de l’exil

591 José-Francisco Rezek, « Le droit international de la nationalité », op. cit., p. 356.

592 Loi n° 50-728 du 24 juin 1950 portant abrogation de la loi du 22 juin 1886 relative aux membres des familles ayant régné en France, JORF, 27 juin 1950, p. 6796.

593 320 voix contre 179 à l’Assemblée Nationale, JORF Débats Assemblée Nationale, 17 mai 1950, p. 3727.

594 222 voix contre 84 au Conseil de la République, JORF Débats Conseil de la République, 22 juin 1950 p. 1863.

595 Il est intéressant de noter, comme il est précisé dans « Le comte de Paris », Le Monde, 18 mai 1950, que le fils du Comte de Paris disposait déjà d’une dérogation pour suivre ses études dans un Lycée de Bordeaux et que le prince Napoléon, Louis-Jérôme Bonaparte, avait été autorisé officieusement à résider en France en raison de ses états de service dans la Résistance (il rencontre même le Président Auriol pour discuter de son mariage).

596 Bertrand Chautard, 3ème séance du 16 mai 1950, JORF Débats AN, 17 mai 1950, p. 3725. Lors de la même séance, le député communiste Jean Toujas déclarera toutefois : « [le rapporteur] nous permettra (…) de douter des sentiments républicains du prince Bonaparte et du compte de Paris » (ibid.). De fait, le comte de Paris, averti de l’abrogation prochaine des lois d’exil, déclarera : « En rentrant en France je ne renonce pas en effet à l’idéal que je représente ni à mon rôle politique », Le Monde, 1er juin 1950.

597 La recommandation n° 38 adoptée par l’Assemblée consultative le 8 septembre 1949, in Recueil des travaux

préparatoires de la Convention européenne des droits de l’homme, I, La Haye, Martinus Nijhoff, 1975, p. 223

stipule que « Les Etats membres s’engageront à assurer à toute personne résidant sur leur territoire : (…) 3) L’im-munité contre toute arrestation, détention, exil et autres mesures arbitraires, conformément aux articles 9, 10 et 11 de la Déclaration des Nations Unies. »

dans une future Convention598 (interdiction qui ne sera pas directement inscrite dans la Con-vention européenne du 4 novembre 1950 mais plutôt dans le protocole n° 4 en 1963, voy. supra n° 154). C’est donc par anticipation que le Parlement abroge les mesures de bannissement à l’égard des familles régnantes599, aucune stipulation internationale n’interdisant formellement à cette époque une mesure d’exil. D’ailleurs, la loi prévoit bien une exception et dispose en son article 2 qu’« Au cas où les nécessités de l’ordre public l’exigerait, le territoire de la République pourra être interdit à tout membre des familles ayant régné en France par décret pris en Conseil des ministres. » Étonnamment, il faut attendre la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit du 17 mai 2011600 pour que cette dernière exception soit à son tour abrogée. Cette fois, l’article 3 du protocole n° 4 est bien en vigueur, et c’est sur ce fondement que les rapporteurs à l’Assemblée Nationale601 et au Sénat602 présentent la nécessité de supprimer cette dernière relique des temps monarchiques et impériaux.

158. Sur ce même fondement, les peines de bannissement prévues par le droit pénal vont

être supprimées à la faveur de l’adoption du nouveau code pénal en 1992. L’ancien code, pré-senté par le Garde des Sceaux de l’époque, Robert Badinter, comme « archaïque, inadapté, contradictoire et incomplet »603, fait l’objet d’une refonte complète à la fin du XXe siècle. L’oc-casion est donc donnée au législateur de faire disparaître la peine de bannissement « devenue complètement obsolète »604, et surtout contraire au protocole n° 4, comme le précise le rappor-teur au Sénat :

« Très utilisé dans l’Antiquité et sous l’Ancien régime, cette peine n’est pratiquement plus prononcée depuis une cinquantaine d’années. Lui semble au demeurant directement incompa-tible l’article 3 du quatrième Protocole additionnel de la Convention européenne de sauve-garde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (…). »605

598 3ème séance du 16 mai 1950, JORF Débats Assemblée Nationale, 17 mai 1950, p. 3725.

599 Comme le note bien le rapporteur, voy. ibid. : « Aussi serait-il profondément affligeant que notre pays fasse l’objet de l’un des premiers recours qui pourraient être engagés. C’est cependant ce qui pourrait se produire si nous ne profitions pas de l’invitation de notre collègue M. Hutin-Desgrées pour abroger cette loi d’exil avant que la convention de garantie collective ne soit définitivement adoptée, ce qui ne saurait tarder. »

600 Art. 175, III, 18°, in JORF, 18 mai 2011, p. 8537.

601 Étienne Blanc, Rapport n° 2095, I, Assemblée Nationale, 24 novembre 2009, p. 440 : « l’article 3 du protocole additionnel n°4 à la Convention européenne des droits de l’homme interdit une telle mesure à l’égard des ressor-tissants d’un Etat. (…) L’abrogation de l’article 2 de la loi de 1950 se justifie donc pleinement. »

602 Bernard Saugey, Rapport n° 20, I, Sénat, 6 octobre 2010, p. 254 : « l’article 3 du protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme interdit à un Etat une telle mesure à l’égard de ses ressortissants ».

603 Robert Badinter, Projet de loi portant réforme du code pénal, Exposé des motifs, 19 février 1986, p. 3-4.

604 François Colcombet, 1ère séance du 12 octobre 1989, JORF Débats Assemblée Nationale, 13 octobre 1989, p. 3459.

L’adoption de ce texte met ainsi le fait en accord avec le droit, les juges étaient depuis long-temps (la cinquantaine d’années évoquée par le rapporteur est certainement sous-estimée) bien incapables de prononcer une peine reposant sur l’accueil par un État tiers d’un condamné fran-çais. Surtout, ne connaissant plus d’exceptions, la fonction territoriale de la nationalité est ab-solutisée : désormais, le droit français – pas plus que le droit international – ne permet l’expul-sion d’un national606.

*

159. Conclusion de section : l’internationalisation de la nationalité. – La nationalité a subi

au tournant des XVIIIe et XIXe siècle une réelle internationalisation. Dès cette époque, face au développement de toutes les formes de migration, un besoin de régulation juridique se fait jour et la nationalité en devient rapidement le principe cardinal. Suivant la qualité territoriale bien établie du régime d’octroi et de perte de la qualité de sujet sous l’Ancien Régime, c’est à ce statut que le droit va formellement attribuer des fonctions territoriales : le national est celui que l’État est obligé de recevoir, et qu’il ne peut expulser. Ce sont les « cas limites » qui révèlent cet état juridique, c’est-à-dire en l’espèce le traitement réservé aux indigents et aux criminels. En effet, à l’instar des paroisses qui étaient autrefois chacune responsable de leurs « pauvres », les apports croisés de la sécularisation et de la centralisation conduisent à faire de chaque État le responsable en dernier ressort des nationaux dont la présence n’est plus souhaitée à l’étranger. Il s’en déduit d’une part une obligation de réadmission des nationaux présents à l’étranger, et d’autre part une prohibition de l’expulsion des nationaux présents sur le territoire. Chacun de

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