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L’intérêt de l’étude, à la croisée du scientifique et du politique

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 47-56)

35. Cette étude présente un intérêt sur deux plans. D’abord sur le plan scientifique, il

manque encore dans la littérature juridique un travail d’ensemble couvrant les rapports entre nationalité et souveraineté par le prisme du pouvoir de l’État. L’intérêt d’une telle étude est d’ailleurs renforcé par le fait que la nationalité conserve à ce jour une importance matricielle dans l’ordre juridique étatique, loin du « déclin » souvent diagnostiqué en droit privé (1). En-suite sur le plan pratique, la technicité voire l’obscurité de la nationalité rendent pertinente une étude et une systématisation des prérogatives de l’État en la matière, notamment à l’heure où l’autorité publique semble elle-même manquer de précision et de maîtrise quant à l’étendue de son pouvoir en droit de la nationalité (2).

1. L’intérêt scientifique

36. L’absence d’étude des relations entre nationalité et souveraineté. – L’on sera

con-cis sur ce point : l’état de la littérature montre l’absence de travail monographique sur la ques-tion de l’étendue du pouvoir l’État en droit de la naques-tionalité. Dans la littérature française, la nationalité fait l’objet de peu d’ouvrages qui lui sont entièrement dédiés. De fait, la nationalité dès le XIXe siècle fait l’attention des civilistes qui commentent « dans l’ordre du code » les dispositions de la législation civile qui sont consacrées à la qualité de Français. Mais le dépas-sement de la méthode exégétique éloigne progressivement la nationalité du droit civil au profit quasi exclusif du droit international privé. La nationalité est en effet un outil au service du règlement des conflits de loi et de juridiction, ce qui conduit nécessairement les internationa-listes privatistes à en faire l’étude en prélude à l’examen des règles régissant les conflits. Cette tradition s’établit dès le XIXe siècle et perdure encore aujourd’hui. Les internationalistes pu-blicistes s’intéressent également à la nationalité, notamment en ce qu’elle permet de déterminer la population constitutive d’un État, et qu’elle sert de critère à l’État pour exercer sa compétence personnelle, en particulier dans le cadre de la protection diplomatique. Les constitutionnalistes n’ont en revanche guère étudié la question, si ce n’est sous l’angle de la théorie de l’État et de la Fédération. Les travaux monographiques prenant comme objet exclusif la nationalité sont

plus rares, même si le rythme de publication tend à s’accélérer dans la période contempo-raine178.

37. Sur l’ensemble de ces études, aucun travail monographique n’a directement et

intégra-lement porté sur les relations entre nationalité et souveraineté, c’est-à-dire sur la supposée dis-crétionnarité (ou liberté) du pouvoir de l’État au regard du droit positif. En particulier, au regard des derniers travaux de thèse menés en droit de la nationalité, la thèse d’Amélie Dionisi-Pey-russe vise justement à dépasser l’approche de la nationalité par la souveraineté de l’État pour lui substitue une détermination objective qui échapperait à l’État179. Les travaux d’Anne-Vir-ginie Madeira, dont la thèse est moins perceptible, portent davantage sur la distinction entre les nationaux et les étrangers en droit public, et en particulier sur les différentes conceptions théo-riques de la nationalité. Il y a donc une lacune dans l’analyse juridique que cette étude se pro-pose de contribuer à combler en questionnant la positivité de la relation entre nationalité et souveraineté.

38. La pertinence et l’actualité des fonctions de la nationalité en droit public. – Une

étude inédite serait bien entendu dépourvue d’intérêt si elle portait sur une notion ne présentant plus de pertinence scientifique180. Or, à ce titre, force est de constater que plusieurs auteurs font

178 On se bornera ici à citer les plus importants, puis les plus récents (pour les références complètes, voy. la biblio-graphie) : le traité de Georges Cogordan, avec deux éditions en 1879 et 1890 ; l’ouvrage d’Albert de Lapradelle sur la Nationalité d’origine publié en 1893 ; les deux éditions du manuel de Rouard de Card en 1893 et 1922 ; le manuel de Louis-Lucas publié en 1929 ; les contributions de Maury dans le Répertoire de droit international publié en 1931 ; l’ouvrage collectif de l’institut de droit comparé de la faculté de droit de Paris édité en 1933 ; le manuel de Boulbès publié en 1956 ; les quatre éditions du manuel de Paul Lagarde publiées en 1975, 1989, 1997 et 2011 ; la thèse de Benoit Guiguet sur la nationalité et la citoyenneté soutenue en 1997 ; le manuel d’Hugues Fulchiron édité en 2000 ; le manuel de Jean-Philippe Thiellay et ses trois éditions en 2000, 2005 et 2011 ; la thèse de Serge Slama soutenue en 2003 ; la thèse d’Amélie Dionisi-Peyrusse soutenue en 2005 et publiée en 2008 ; l’ouvrage collectif de la société française pour le droit international portant sur le droit international et la nationalité, publié en 2012 ; l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Pierre Lanfranchi, Olivier Lecucq et Dominique Nazet-Allouche portant sur la nationalité et la citoyenneté dans une perspective comparée, publié en 2012 ; l’essai d’Étienne Pataut publié en 2014 ; et la thèse d’Anne-Virigine Madeira soutenue en 2015 et publiée en 2018. Il faut ajouter à cette liste les principales études de Margerite Vanel, Roger Brubaker, Patrick Weil et Gérard Légier. On constate donc sur les vingt dernières année dernières un regain d’intérêt scientifique pour la matière, dont témoigne encore plu-sieurs colloques d’envergure organisés ces dix dernières années et portant principalement sur la nationalité : « le droit international et la nationalité » organisé par la société française pour le droit international en 2011 ; « la nationalité en guerre » organisé par les archives nationales et le musée de l’histoire de l’immigration en 2015 ; « la nationalité au carrefour des droits » organisé par les universités du Mans et de Rennes 1 en 2017 ; et « la nationa-lité, enjeux et perspectives » organisé par l’Université de Rouen en 2017.

179 D’ailleurs, dans sa préface, Patrick Courbe relève que la nationalité est un « domaine de la science juridique où il n’existe plus de thèse soutenue depuis plusieurs décennies », in Amélie Dionisi-Peyrusse, Essai sur une nouvelle

conception de la nationalité, Paris, Defrénois, 2008, p. V.

180 La question de sa pertinence politique ne sera pas abordée ici. Pour de récents débats sous forme de controverse doctrinale, voy. Yves Lequette, « La nationalité française dévaluée », L’avenir du droit : mélanges en hommages

à François Terré, Paris, Dalloz, PUF, Editions du Juris-Classeur, 1999, p. 349-392 ; Étienne Pataut et Florence

Bellivier, « L’avenir du droit – Mélanges en hommage à François Terré », Rev. crit. DIP, 1999, n° 4, p. 903-910 ; Yves Lequette, « Compte rendu du compte rendu de l’Avenir du droit », Rev. crit. DIP, 1999, n° 4, p. 911-920.

mention de la « crise »181 de la nationalité, ou du « déclin »182 de cette notion, en se basant sur le recul des fonctions de la nationalité dans les domaines du droit international privé183, du droit de l’Union européenne184, et plus généralement sur son incompatibilité avec la logique univer-saliste des droits de l’homme185, par exemple dans le domaine de la protection sociale186. S’il est vrai que les fonctions de la nationalité sont contingentes, qu’elles peuvent parfaitement re-culer voire disparaître, il n’en demeure pas moins que dans plusieurs champs disciplinaires liés au droit public, la nationalité continue d’assurer des fonctions de premier plan.

39. Pour étudier cette question, il faut dire un mot au préalable de la contingence des

fonc-tions de la nationalité. Hans Kelsen forme une célèbre critique de la nationalité en considérant que celle-ci n’est absolument pas « essentielle à l’État ». Voilà ce que l’auteur écrit en 1926 :

« La nationalité est sans doute une institution générale des États modernes, mais elle n’est pas non plus essentielle à l’État. Il n’y a pas d’État sans sujets ; il peut y en avoir sans nationaux. Et ainsi, l’étranger, dans la mesure où il est soumis aux règles étatiques, est partie du peuple. Même s’il est sans droits, mais non sans obligations. Le peuple ne se compose nullement des seuls nationaux ; ceux-ci forment seulement, au sein de ce peuple, un groupe d’individus mu-nis de droits et grevés d’obligations particulièrement nombreux. »187

Kelsen confirme et développe la même idée quelques années plus tard, en 1929, en établissant la liste de ces droits et obligations propres aux nationaux, mais dont l’établissement n’est aucu-nement nécessaire à la conservation de l’État :

« Au fond [le rôle de la nationalité] consiste en ceci : discriminer parmi les habitants du terri-toire soumis à l’autorité de l’État, parmi les sujets, ceux qui doivent seuls participer à la for-mation de la volonté étatique, c’est-à-dire avoir des droits politiques, avoir droit de séjourner sur le territoire de l’État, droit à la protection par les agents diplomatiques de l’État à l’étranger et être soumis même contre leur volonté à l’obligation du service militaire. Cette distinction des sujets en nationaux et non-nationaux n’est aucunement liée à l’existence de l’État comme

181 Voy. Fabienne Jault-Seseke, Sabine Corneloup et Ségolène Barbou des Places. Droit de la nationalité et des

étrangers, Paris, PUF, 2015, nos 46 et s., p. 37 et s.

182 Voy. l’essai éponyme d’Étienne Pataut, La nationalité en déclin, Paris, Odile Jacob, 2014, 101 p.

183 Voy. déjà René Cassin, « La nouvelle conception du domicile dans le règlement des conflits de lois », 1930, vol. 34, n° 99, p. 801.

184 Voy. Étienne Pataut, La nationalité en déclin, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 58 ; Jacques Chevallier, L’État

post-moderne, Paris, LGDJ, 2008, 3ème éd., p. 225-226 ; Serge Slama, Le privilège du national. Étude historique de la

condition civique des étrangers en France, op. cit., p. 592 et s.

185 Voy. Danièle Lochak, Le droit et les paradoxes de l’universalité, Paris, PUF, 2010, p. 167-203.

186 Voy. Jean-François Flauss, « L’étranger entre souveraineté nationale et droits de l’homme. Les principes en droit international », in Jean-Yves Carler (dir.), L’étranger face au droit, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 68-74 ; Fabienne Jault-Seseke, Sabine Corneloup et Ségolène Barbou des Places. Droit de la nationalité et des étrangers,

op. cit., n° 62, p. 47-48 ; Lola Isidro, L’étranger et la protection sociale, Paris, Dalloz, 2017, nos 226-286, p. 178-235 ; Amélie Dionisi-Peyrusse, Essai sur une nouvelle conception de la nationalité, op. cit., nos 454-472, p. 173-178.

187 Hans Kelsen, « Aperçu d’une théorie générale de l’État », RDP, 1926, vol. 43, p. 607. Il s’agit d’un abrégé de l’Allgemeine Staatslehre éditée en 1925 chez Springer (Berlin) et dont Charles Eisenmann assure la traduction.

tel. On ne peut la déduire de l’essence de l’État. (…) Un État sans sujets, c’est-à-dire à l’auto-rité duquel personne ne serait soumis, est inconcevable, car ce sont ces sujets qui forment la population, qui est, comme on l’exprime, d’ordinaire, un élément essentiel de l’État. Au con-traire, un État sans “nationaux”, c’est-à-dire dont certains sujets ne jouiraient pas des privilèges et ne seraient pas tenus des obligations que l’on a indiquées, est parfaitement concevable. »188

Ce que Kelsen exprime ici in fine, c’est le renoncement possible à la distinction entre population au sens large, et peuple au sens étroit. Un État a besoin pour exister que son ordre de contrainte puisse se projeter non seulement sur le plan territorial, mais aussi sur le plan personnel. Nul besoin en revanche selon cet auteur que la législation prévoie, parmi les individus présents sur le sol national et soumis à l’ordre étatique (la « population » au sens large), un groupe particu-lier auquel serait conféré certains droits et obligations particuparticu-liers (le « peuple » au sens étroit)189. Cette pensée est constante chez l’auteur qui la réitère dans ses écrits de théorie de droit190 et de théorie politique191. Il rejoint et développe ainsi une position relativiste et forma-liste déjà exprimée par Laband192 et Isay193.

40. Dans le domaine du droit public, et plus particulièrement dans les domaines «

réga-liens » ou de « souveraineté », la nationalité conserve une grande force discriminante, qui n’est guère remise en cause : les droits politiques et les droits territoriaux194 sont encore exclusive-ment réservés aux ressortissants nationaux – ils constituent des « privilèges »195 pour reprendre l’expression de Serge Slama. Les droits politiques, dans toute leur étendue, demeurent l’apa-nage exclusif du national. Bien sûr, le principe démocratique, dans une approche territoriale,

188 Hans Kelsen, « La naissance de l’État et la formation de sa nationalité. Les principes. Leur application au cas de la Tchécoslovaquie », Revue de droit international, 1929, vol. 4, p. 636.

189 En ce sens, voy. Olivier Beaud, La puissance de l’État, op. cit., p. 116-122, spéc. p. 121.

190 Hans Kelsen, Théorie pure du droit (1962, trad. Charles Eisenmann), op. cit., p. 282 ; Théorie générale du droit

et de l’État (1945), Paris, LGDJ, 1997, p. 291.

191 Hans Kelsen, La démocratie (1932), Paris, Dalloz, 2004, p. 17 : « Et le privilège que fonde l’institution de la nationalité apparaît comme allant absolument de soi parce que – par une erreur qui n’a pas pour moindre cause la tendance indiquée à restreindre les droits politiques – on tient cette institution pour inhérente à la notion même d’État. Cependant, l’évolution constitutionnelle la plus récente montre que le lien entre les droits politiques et la nationalité n’a rien de nécessaire. »

192 Paul Laband, Le droit public de l’Empire allemand (trad. C. Gandilhon, revue par l’auteur), vol. I, Paris, Giard & Brière, 1900, 2ème éd., p. 281 : « Tout État unitaire peut aussi établir légalement ce principe que toutes les limitations de droit des étrangers sont levées, et qu’étrangers et nationaux doivent être traités de la même manière devant la loi ; de même encore, des États pleinement indépendants peuvent convenir, par traité, qu’ils traiteront à titre de réciprocité les sujets des autres comme les leurs propres. »

193 Ernst Isay, « De la nationalité », RCADI, 1924, vol. 5, p. 433-434 : « il est inconcevable de citer certains droits ou devoirs qui établissent une discrimination entre nationaux et étrangers dans tous les États du monde ou même à toutes les époques d’un seul État particulier. (…) Or c’est justement pour cette raison que nous ne pouvons reconnaître en chacun des droits ou devoirs particuliers un signe essentiel de la nationalité. Mais ce que nous ne pouvons négliger, c’est le fait que les citoyens sont à un degré plus élevé que les étrangers des sociétaires de l’État. »

194 L’on renvoie par cette formule aux droits relatifs à l’entrée et au séjour d’un individu.

195 Voy. Serge Slama, Le privilège du national. Étude historique de la condition civique des étrangers en France,

nécessite que « les sujets de la loi doivent en être les auteurs »196. Selon cette acception, la clôture d’une communauté nationale, seule titulaire de la souveraineté, est illégitime car elle laisse potentiellement de côté les étrangers qui résident sur le sol national, et qui sont pourtant « sujets » de la loi au même titre que les nationaux. L’argument du « droit de vote » des étran-gers n’est donc en aucune manière dénué de fondement sur le plan philosophique et politique, comme le montrent d’ailleurs les exemples étrangers197. Sur le plan juridique français toutefois, l’extension de la communauté politique à l’ensemble des individus sujets de l’État (nationaux comme étrangers), comme l’imagine Kelsen, n’appartient guère à un avenir proche198. En France, seule la citoyenneté européenne remet très partiellement en cause la liaison entre natio-nalité et participation politique, puisque les traités confèrent au citoyen européen les droits de suffrage et d’éligibilité aux élections municipales. Il faut toutefois constater que, d’une part, l’immense majorité des élections politiques, en particulier les élections nationales, demeurent l’attribut exclusif des nationaux, et, d’autre part, que ce droit de participation aux élections locales, s’il ne repose pas sur la nationalité de l’État de résidence, repose toutefois sur la pos-session de la nationalité d’un État membre – ce n’est donc pas un droit politique ouvert aux étrangers en général, mais un droit ouvert aux seuls ressortissants de l’Union.

41. De la même manière, la nationalité demeure le critère matriciel dans l’exercice des

droits territoriaux199. Dans l’ordre interne, seul le national dispose d’un droit d’entrée et de séjour absolu et d’une prohibition complète contre l’éloignement, ce qui vient à la fois garantir sur le plan individuel un ancrage territorial et une appartenance physique à une communauté humaine200, mais aussi sur le plan international une fonction primordiale de régulation des flux migratoires, l’État pouvant déterminer les conditions d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers qu’il reçoit et, réciproquement, devant accepter de recevoir ses nationaux lorsqu’ils sont priés de quitter le sol de l’État étranger qui les accueille. Renoncer à cette fonction discri-minatoire de la nationalité, c’est nécessairement adopter une conception ouverte des frontières

196 Voy. Catherine Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », op. cit., p. 125. Voy. également Seyla Ben-habib, The Rights of Others. Aliens, Residents and Citizens, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 219 : « there is a crucial link between democratic self-governance and territorial representation. »

197 Voy. Hervé Andrès, « Le droit de vote des étrangers : une utopie déjà réalisée sur les cinq continents »,

Migra-tions et Société, 2007, n° 114, p. 65-81.

198 Pour une proposition d’extension de la citoyenneté, sans la nationalité, au profit des étrangers légalement établis et domiciliés fiscalement en France, voy. Xavier Vandendriessche, « Nationalité, citoyenneté, fiscalité », AJDA, 2011, n° 36, p. 2033.

199 On y reviendra plus longuement dans les développements (voy. infra n° 69 s.).

200 Comme le note Jacques Maury, « Nationalité (Théorie générale) », op. cit., n° 82 bis, p. 284-285 : « La société internationale est, peut-on dire, en effet divisée en États ; l’un des éléments essentiels de l’État est sa population et, à l’intérieur de celle-ci, ses nationaux ; tout individu a un intérêt primordial à entrer dans l’un des cadres éta-tiques existants de façon permanente, constitutive, à être le sujet d’un État donné ».

migratoires et accepter un droit général d’établissement et de maintien sur le sol national au profit de la communauté humaine dans son ensemble – perspective dont la réalisation ne saurait être envisagée à court ou moyen terme201. Comme l’exprime Danièle Lochak : « La précarité est un élément constitutif de la condition juridique des étrangers. L’étranger, on l’a rappelé, n’a le droit d’entrer et de séjourner sur le territoire d’un pays qui n’est pas le sien qu’en vertu d’une autorisation précaire et révocable, car l’admission au séjour reste une prérogative souveraine des États (…), complétée par la faculté d’expulser les étrangers jugés indésirables. (…) C’est dans cette précarité que réside l’essence même de la condition d’étranger, ce par quoi elle se distingue fondamentalement et inéluctablement de celle du national. »202

L’émergence d’une supposée catégorie de « quasi-nationaux »203 ne doit d’ailleurs pas tromper. Les garanties que certains étrangers tirent de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme peuvent les protéger de l’éloignement ou de l’expulsion lorsqu’ils possèdent une vie familiale en France plus dense et ancienne que dans leur pays d’origine. Mais cette protec-tion n’implique toutefois pas nécessairement la régularisaprotec-tion du séjour, ni l’obtenprotec-tion d’un droit de réadmission s’ils quittent volontairement le territoire ; elle ne présente ensuite pas un caractère permanent (la situation factuelle peut évoluer) ; et elle ne s’applique enfin qu’aux étrangers particulièrement « intégrés »204 en France. Il y a donc entre la nationalité et la « quasi-nationalité » une différence de nature et non de degré puisque l’étranger, même protégé par l’article 8 de la Convention, ne pourra jamais accéder à une protection absolue de ses droits territoriaux205. Quant à la citoyenneté européenne, celle-ci confère bien un droit au court séjour

201 Voy. Amélie Dionisi-Peyrusse, Essai sur une nouvelle conception de la nationalité, op. cit., nos 486-491, p. 182-184. Pour quelques perspectives, voy. Édouard Delruelle, « Démocratie, cosmopolitisme et hospitalité », in Jean-Yves Carlier (dir.), L’étranger face au droit, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 113-122.

202 Danièle Lochak, Les droits de l’homme, op. cit., p. 103. L’auteur poursuit : « Or le fait d’être toujours en sursis dans le pays d’accueil rejaillit sur l’ensemble de sa situation : d’abord, parce qu’il rend précaire la jouissance des droits qui ne lui sont pas expressément déniés ; ensuite, parce que les lois sur l’entrée et le séjour viennent res-treindre, jusqu’à les priver parfois de toute effectivité, des droits aussi fondamentaux que la liberté individuelle, la

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