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Les contours de la peine de bannissement. – La peine de bannissement (parfois aussi

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 92-95)

Section 1. La construction d’un droit de la nationalité fondé sur le territoire (XVI-XVIIIe s.) « [L]es terres des particuliers réunies et contiguës

B. Perte de la nationalité par la sortie involontaire : le bannissement à perpétuité hors du royaume

97. Les contours de la peine de bannissement. – La peine de bannissement (parfois aussi

appelée « relégation » ou « interdiction ») est une peine très répandue sous l’Ancien Régime.

368 Robert-Joseph Pothier, Traité des personnes (1778), partie I, titre II, section 4, op. cit., p. 37.

369 Voltaire, « Bannissement », Dictionnaire philosophique (1764), vol. II, in Œuvres de Voltaire, vol. 27, Paris, Lefèvre, 1829, p. 278.

Elle est une forme de « confinement territorial »370, pour reprendre les termes de Bentham, qui permet d’exclure l’individu de la société sans recourir à la peine de mort ou à la prison (encore peu développée à cette époque). La peine est infligée par le juge, et seule la justice royale dis-pose du pouvoir de bannir de toute l’étendue du royaume – les justices seigneuriale, ecclésias-tique et municipale ne peuvent bannir que de leur ressort territorial371. Le bannissement est en outre prononcé « à temps » (pour un temps donné) ou « à perpétuité » (ou encore « sans rappel » ou « perpétuel »). Cela en fait donc une peine susceptible de gradations subtiles entre le ressort de l’exclusion territoriale et sa durée. Elle ne suscite au surplus aucune dépense pour l’autorité publique, elle est donc largement utilisée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Il est difficile de dé-terminer précisément les infractions auxquelles la peine de bannissement répondait. L’Ancien Droit ne connaît en effet pas le principe de légalité des délits et des peines : le droit pénal de l’époque trouve ses sources dans les différentes coutumes du lieu où la justice s’exerce, mais aussi dans les ordonnances royales372 et surtout dans le droit naturel, fondé en partie sur la notion d’équité. Les peines sont donc généralement « arbitraires », sans que ce terme renvoie à un sens nécessairement péjoratif. Comme le précise Bernard Schnapper, le juge d’Ancien Ré-gime dispose d’une très grande liberté pour prononcer la peine qu’il juge la plus adéquate en fonction des circonstances propres à l’affaire qu’il a à juger373. Charondas le confirme dans ses Pandectes : « Davantage, les peines qui estoient constituees par les loix Romaines, mesmement pour les jugements publics, n’ont plus de lieu en France : où toutes les peines sont tenues pour arbitraires, dependans de la discretion & arbitrage des juges »374 (nous soulignons) ; Loisel l’érige même en coutume dans ses Institutes lorsqu’il écrit que « Les amendes & peines cous-tumieres ne sont à l’arbitrage du juge, les autres si »375. Pour autant, comme le précise Yvonne Bongert, le bannissement à perpétuité réprimait majoritairement « outre l’homicide, les coups

370 Jérémie Bentham, Traité des peines et des récompenses, Londres, Dulau, 1811, p. 106.

371 Voy. p. ex. Yvonne Bongert, Histoire du droit pénal. Cour de doctorat (1972-1973), Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2012, p. 190 ; Jean-Marie Carbasse, Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990, p. 223.

372 La peine de bannissement perpétuel est notamment prévue par l’ordonnance criminelle d’août 1670, titre XXV, article XIII. Voy. pour le texte et son commentaire, Jacques-Antoine Sallé, L’esprit des ordonnances de Louis

XIV, II, Paris, Samson, 1758, p. 302 et s. L’auteur cite d’ailleurs le cas de la famille du régicide Robert-François

Damiens, bannie à perpétuité du royaume par un arrêt du 19 mars 1757, ibid., p. 311.

373 Bernard Schnapper, « Les peines arbitraires du XIIIe au XVIIIe siècles », Revue d’histoire du droit, 1974, t. 42, p. 81-112, spéc. p. 110 en conclusion : « la période qui s’étend du milieu du XIVe siècle au milieu du XVIIe est celle de l’apogée de l’arbitraire. C’est au cours du XVIe siècle que l’adage “toutes peines sont arbitraires” est reçu sans discussion par la doctrine française. »

374 Louis Charondas le Caron, Pandectes ou Digestes du Droict François, livre IV, partie 2, chap. 11, op. cit., p. 729.

et blessures, le vagabondage, les infractions à la trêve et le vol »376, autrement dit, les infractions présentant « un certain degré de gravité »377.

98. L’usage préventif de la peine de bannissement. – Surtout, la peine de bannissement

était encore employée lorsque les preuves retenues contre un individu étaient insuffisantes pour entrer en voie de condamnation. Dans cette situation, le seul fondement de la dangerosité de l’individu et du risque pour l’ordre public conduisait les juges à prononcer une peine de ban-nissement, y-compris à perpétuité. Tanon, dans son Histoire des justices publié en 1883, le relève très clairement :

« Le bannissement était une peine essentiellement arbitraire qu’on appliquait, soit à titre prin-cipal, soit à titre accessoire, aux délits les plus divers. (…) Ce qui marque le mieux le caractère arbitraire de cette peine, c’est l’application qu’on en faisait parfois aux accusés de délits graves, qui échappaient à la peine normale de leur crime, parce que la preuve n’était pas suf-fisamment faite, mais qu’on bannissait néanmoins à cause des soupçons qui subsistaient contre eux, ou de leur mauvaise renommée. »378

Paradoxalement, Beccaria fut un défenseur de l’usage du bannissement à cette fin. Il le précise sans équivoque dans son Traité des délits et des peines :

« Il semble que la peine de bannissement devroit être prononcée contre ceux qui, accusés d’un crime atroce, sont soupçonnés avec une grande vraisemblance, mais non pas tout à fait con-vaincus de l’avoir commis. Il faudroit une loi, la moins arbitraire & la plus précise qui fut possible, qui décernât le bannissement contre celui qui a mis la nation dans la fatale alternative, ou de le craindre, ou de lui faire une injustice, en laissant cependant au banni le droit sacré de pouvoir toujours prouver son innocence. »379

Cette opinion étonne chez l’auteur qui a contribué notoirement à la révolution juridique du droit pénal, en inscrivant ce dernier dans le sillage des principes fondamentaux du siècle des Lu-mières, notamment du principe de légalité des délits et des peines et de la garantie des droits de la défense. Beccaria considère ainsi que l’État doit, face à la crainte de maintenir un individu potentiellement dangereux sur le territoire, préférer une mesure de bannissement, tout en auto-risant le banni à prouver à nouveau son innocence – alors même qu’aucune culpabilité n’aura été retenue, et que l’on imagine mal de nouvelles preuves être apportées de l’étranger. L’arbi-traire est donc encore renforcé par l’usage du bannissement non plus dans une logique répres-sive mais bien préventive.

376 Yvonne Bongert, Histoire du droit pénal, op. cit., p. 191.

377 Ibid.

378 Louis Tanon, Histoire des justices, Paris, Larose et Forcel, 1883, p. 40. Dans le même sens, Yvonnes Bongert,

Histoire du droit pénal, op. cit., p. 192-193.

379 Cesare Beccaria, Traité des délits et des peines (1764), Philadephie, 1766, § 17, p. 73. L’auteur concède tout de même qu’« Il faudroit des raisons plus fortes pour bannir un citoyen qu’un étranger ».

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 92-95)

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