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Consolidation du principe

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 125-128)

Section 2. La consécration des fonctions territoriales de la nationalité (XIX-XXe s.)

A. L’interdiction de principe de l’expulsion des nationaux

2. Consolidation du principe

141. Consolidation jurisprudentielle. – Si la liaison entre possession de la nationalité et

prohibition de l’expulsion est mal assurée dans la jurisprudence de la Cour de cassation au

515 Ibid., p. 599-600.

516 Loi du 3 décembre 1849 sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France (X, Bull. CCXVIII, n° 1814), in J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’Etat, t. 49, Paris, A. Guyot et Scribe, 1849, p. 415-420, spéc. p. 418-420. Proposition de MM. Vatimesnil et Lefèvre Duruflé ; rapport par M. Lacaze le 1er août (Moniteur du 5, p. 2593-2594), sur la prise en considération ; discussion et adoption le 4 octobre (Moniteur du 5) ; rapport par M. de Montigny le 8 novembre (Moniteur du 15, p. 3680-3681) première lecture le 13 (Moniteur du 14, p. 3667) ; deuxième lecture le 20 (Moniteur du 21, p. 3738-3740), le 21 (Moniteur du 22, p. 3749) ; troisième lecture le 28 (Moniteur du 29, p. 3831-3835), le 30 (Moniteur du 1er décembre, p. 3853-3858), le 3 décembre (Moniteur du 4, p. 3876-3878), et adoption à la majorité de 415 voix contre 194.

premier XIXe siècle518, l’apport législatif des lois de 1832 et 1849 fait évoluer la position judi-ciaire. L’occasion en est donnée à la Cour de cassation dans l’affaire Gillebert jugée en 1883519. Gillebert était né en France en 1839, d’un père né sur le territoire belge en 1799 alors qu’il était annexé au territoire français. Frappé d’un arrêté d’expulsion – dans des circonstances troubles, visant peut-être à ce que quelques notables puissent s’emparer de son établissement industriel520

–, le requérant (après avoir été conduit en Belgique) retourne en France et viole sciemment la mesure administrative de manière à être déféré au juge correctionnel521 pour contester à cette occasion son extranéité. Saisie de l’affaire, la Cour de cassation juge le 7 décembre 1883 que « poursuivi à raison d’une infraction à un arrêté d’expulsion pris contre lui en sa prétendue qualité d’étranger, Gillebert a revendiqué, à bon droit, la qualité de Français ; - D’où il suit qu’en lui refusant le bénéfice de la loi du 16 déc. 1874 [double droit du sol], et en prononçant contre lui la peine portée par l’art. 7 de la loi du 3 déc. 1849 [arrêté d’expulsion], l’arrêt attaqué a violé ces dispositions légales »522. Le juge judiciaire affirme donc sans retenue que l’arrêté d’expulsion ne peut frapper l’individu qui possède la nationalité française, appréciant toute ex-ception de nationalité, y compris à l’encontre d’un acte administratif523.

142. Les auteurs étendent le raisonnement aux étrangers frappés d’un arrêté d’expulsion

mais devenant Français par la suite. Sur le fondement de cette décision, Georges Cogordan, docteur en droit et diplomate français, considère ainsi dans la seconde édition de son ouvrage publié en 1890 que l’accession à la nationalité française, par le droit du sol ou le mariage par

518 Voy. par ex. Cass., 7 avril 1835, Onslow, S. 1835. II. 374 : « Attendu que l’ordre que reçut Edouard Onslow de quitter le territoire français n’est qu’une simple mesure d’ordre public, qui tenait aux circonstances du temps, et dont on ne peut induire que celui contre lequel elle était prise, ne fût pas naturalisé Français ». Il est intéressant de relever que la Cour mentionne les « circonstances du temps » – en l’espèce celles de la période révolutionnaire – pour justifier de ne pas retenir un tel principe. Peut-on en déduire qu’implicitement et a contrario, un tel principe est consacré dans la législation positive au moment où la Cour se prononce ? L’arrêt est trop équivoque sur ce point pour l’affirmer.

519 Cass., crim., 7 décembre 1883, Gillebert, in Journal du droit international privé, 1884, p. 628.

520 Voy. le compte rendu de l’affaire dans le Journal de droit international privé, 1883, p. 49 ; Emmanuel Bès de Berc, Droit français de l’expulsion des étrangers, op. cit., p. 66 et s.

521 Il n’est à cette époque pas possible de déférer un arrêté d’expulsion à l’examen du juge administratif, voy. CE, 8 décembre 1853, n° 25190, Dame de Solms, Lebon p. 1037 ; CE, 22 janvier 1867, n° 40014, Prince Radziwill, Lebon p. 94.

522 Cass., crim., 7 décembre 1883, Gillebert, rapport Tanon, S. 1885. 1. 89. Voy. aussi le commentaire au Journal

de droit international privé, 1884, p. 628 s.

523 Solution confirmée par le juge administratif, voy. CE, 14 mars 1884, Sieur Morphy, concl. Le Vavasseur de Précourt, S. 1886. 3. 2.

exemple, rend « sans valeur »524 l’arrêté d’expulsion – cela formant une doctrine « incontes-table »525. La chronique 1894 du Journal de droit international privé rend compte du même principe : « Peu importe la date de l’entrée du national dans la communauté française ; au mo-ment où l’on tenterait de l’en exclure, il en est devenu membre par le vœu de la loi. (…) Assurer l’impunité du passé à l’aide d’une nationalité acquise dans une vue intéressée, ne semble pas un idéal juridique, cependant le sentiment général ou mieux l’ordre public en souffre moins que de voir un national, si politique que soit sa conversion, traité en étranger. »526 Dès la fin du XIXe siècle donc, le droit français exprime directement le principe d’ordre public qu’un natio-nal ne peut pas être expulsé527.

143. Consolidation doctrinale. – À la même époque, les travaux de l’Institut du droit

in-ternational témoignent d’une réception similaire de ce principe. Dès 1885, l’Institut crée une Commission chargée de réfléchir au droit d’expulsion en droit international. En 1891, lors de la session de Hambourg, Louis-Joseph Féraud Giraud, membre de l’Institut et conseiller à la Cour de cassation française, présente un projet de réglementation très abouti qui prévoit un article 11 proscrivant toute peine d’expulsion frappant les nationaux :

« XI. Un Etat ne peut expulser, par voie administrative ni judiciaire, ses propres nationaux, quelles que soient leurs différences de cultes, de races ou d’origine de nationalité. Cet acte constitue une grave atteinte au droit international lorsqu’il a pour résultat intentionnel de reje-ter sur d’autres reje-territoires des individus frappés de condamnations, ou même placés seulement sous le coup de poursuites judiciaires. »528

524 Georges Cogordan, La nationalité au point de vue des rapports internationaux, Paris, Larose et Forcel, 1890, 2ème éd., p. 416. André Weiss confirme encore à la même époque, Traité théorique et pratique de droit

internatio-nal privé, vol. II, Paris, Larose, 1894, p. 87 s. et spéc. p. 95 : « Les nationaux [échappent] à toute mesure

d’expul-sion ».

525 Georges Cogordan, La nationalité au point de vue des rapports internationaux, 1890, 2ème éd., op. cit., p. 417.

526 Anonyme, Journal de droit international privé, 1889, p. 249. Contra, voy. Emmanuel Bès de Berc, Droit

fran-çais de l’expulsion des étrangers, op. cit., p. 71-72 qui soutient l’opinion selon laquelle l’adage fraus omnia corrumpit pourrait permettre l’annulation du mariage (et de la nationalité ainsi acquise) s’il est démontré qu’il a

été conclu dans le seul but de se soustraire à une condition d’étranger pour mieux troubler l’ordre public. Le débat sur l’expulsabilité des « Français commencés » est l’objet de nombreuses études à cette période ; pour une syn-thèse, voy. Armand Lainé, De l’expulsion des étrangers appelés à devenir Français par le bienfait de la loi, Paris, Marchal & Billard, 1898, 101 p. ; Jean-Paulin Niboyet, Manuel de droit international privé, Paris, Sirey, 2ème éd., 1928, p. 157-159.

527 Jurisprudence encore confirmée au début du XXe siècle à propos d’un Français déchu de la nationalité (devenu apatride), voy. CE, 16 mai 1924, n° 74917, Krichel, Lebon p. 481 (1ère esp.) : « Considérant qu’en vertu de l’article 7 de la loi du 3 décembre 1849, le ministre de l’Intérieur peut enjoindre à tout étranger de sortir du territoire français ; que l’expression d’étranger doit s’entendre de tout individu qui n’a pas la qualité de français ; Considé-rant que le sieur Krichel, ayant été déchu de la qualité de français par arrêt de la Cour d’appel de Paris, passé en force de chose jugée, du 7 janvier 1920, tombait sous le coup de l’application de la disposition ci-dessus rappelée de la loi du 3 décembre 1849 : (…) (Rejet) ».

Dans un rapport tiré à part en 1889, Féraud-Giraud mentionne déjà qu’« Il y a entre le citoyen et la nation dont il fait partie, un lien qui doit être respecté, tant qu’il n’est pas rompu par la perte de la nationalité. Si un national pouvait être expulsé du territoire de son pays, quelle rési-dence pourrait-il choisir d’une manière certaine, alors que partout ailleurs il pourrait être régu-lièrement expulsé. »529 L’exigence d’une répartition territoriale des individus par la nationalité implique donc chez cet auteur l’inexpulsabilité du ressortissant national.

144. Les écrits doctrinaux convergent d’ailleurs unanimement à cette époque. Comme le

souligne Emmanuel Bès de Berc dans sa thèse soutenue à Paris en 1888, « L’Etat ne peut ex-pulser un national, car cet individu est membre de l’association politique qui l’a accepté et qui lui a conféré des droits civils et politiques. (…) En conséquence le national peut toujours rester, s’il le désire, sur le sol de sa patrie. Il y a comme un contrat établi entre le citoyen et la nation qui lie l’un à l’autre de façon indissociable. »530 De la même manière, Joseph-André Darut souligne dans sa thèse soutenue à Aix en 1902 que « Le national est à l’abri de l’expulsion ; il a un droit acquis, inviolable à demeurer sur le territoire de sa patrie, une mesure de police ne peut l’en dépouiller. »531 La doctrine est donc parfaitement fixée au début du XXe siècle, l’État ne peut pas expulser ses nationaux532. Reste la délicate question du bannissement qui, en tant qu’exception au principe, rend les fonctions territoriales de la nationalité encore incomplètes533. Il faut donc attendre qu’un second mouvement doctrinal et législatif mette fin à cette mesure spéciale pour que s’affirme sans exception l’interdiction d’expulsion des nationaux.

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 125-128)

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