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L’approche dynamique des notions : quels liens ?

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 37-47)

19. Les notions de souveraineté et de nationalité entretiennent un lien théorique

particu-lièrement fort, en particulier lorsqu’on prend appui sur les dimensions verticale de la nationalité (le peuple objet de la souveraineté) et horizontale de la nationalité (le peuple titulaire de la souveraineté). Les déclinaisons de la nationalité en tant que pouvoir souverain de l’État sont ainsi courantes depuis le XIXe siècle (1). Mais comment s’exprime ce lien entre les notions de souveraineté et de nationalité ? L’ensemble des discours qui lient ces notions s’appuient sur la souveraineté dans son « double sens de l’exclusivité de l’exercice et de la liberté de choix. »120

Autrement dit, ce lien renvoie soit à l’exclusivité de la compétence de l’État, soit à la discré-tionnarité du pouvoir de l’État121 (2).

1. La construction du lien entre les deux notions

20. La liaison théorique entre les deux notions. – Pour montrer comment le lien entre

nationalité et souveraineté s’est construit d’un point de vue théorique et historique, l’on peut

118 Charles de Boeck, « L’expulsion et les difficultés internationales qu’en soulève la pratique », RCADI, 1927, vo. 18, p. 473.

119 Olivier Beaud, La puissance de l’État, op. cit., p. 474.

120 Georges Abi-Saab, « Cours général de droit international public », RCADI, 1987, vol. 207, p. 384.

121 Jean-Paulin Niboyet, Manuel de droit international privé, Paris, Sirey, 2ème éd., 1928, n° 15, p. 29, renvoie à ces deux idées lorsqu’il écrit : « On a toujours considéré jusqu’ici qu’un État était libre de réglementer à son idée la matière de la nationalité. Puisqu’il s’agit, pour lui, de déterminer sa propre substance, comment cette mission serait-elle remplie par un autre État ? »

partir des deux « dimensions » de la nationalité, la première verticale, la seconde horizontale. Or, ces deux dimensions entretiennent un lien intime avec la notion de souveraineté.

21. La nationalité dans sa dimension verticale fournit un cadre d’application122 pour la souveraineté de l’État. Comme l’indique Paul Lagarde, la « dimension verticale (…) relie l’in-dividu à l’État dont il est en quelque sorte le sujet. Ce lien politique d’allégeance avait jadis une très grande importance. Il exprimait un lien personnel, comme celui du vassal envers le suze-rain, et était en principe perpétuel. Il en reste aujourd’hui une situation de subordination du national envers son État, qui se manifeste par un certain nombre d’obligations (obligation de loyalisme, obligations militaires) et qui trouve sa contrepartie dans la protection, dite diploma-tique, que l’État accorde à ses nationaux à l’étranger. »123 Cette première liaison apparaît avec la naissance de l’État moderne à travers la distinction faite entre les sujets du royaume et les étrangers, et continue de produire des effets aujourd’hui. Denis Baranger considère ainsi que le « “peuple” désigne avant tout l’ensemble des sujets, au sens de destinataires du droit, considérés comme formant un corps. Le fait que la souveraineté ne porte que sur un groupe déterminé d’individus conduit à reconnaître au sujet un statut de droit, qui le distingue de l’étranger. »124

Comme le notent encore Jean Combacau et Serge Sur, « Un État ne peut apparaître à défaut d’une collectivité de personnes physiques susceptibles d’“incorporation” dans une personne morale (…) ; ce n’est qu’une fois né que l’État fera de sa population, ou de la fraction de sa population sur laquelle il jugera bon de s’attribuer ce titre particulier de compétence, ses natio-naux »125. On retrouve bien ici la marque de Rousseau pour qui les membres de l’association sont aussi « Sujets comme soumis aux lois de l’État »126.

22. La nationalité dans sa dimension horizontale fournit quant à elle un cadre d’imputation

pour la souveraineté. Bodin l’évoque déjà à la fin du XVIe siècle lorsqu’il écrit que « le chef de famille vient à sortir de la maison » pour devenir « compagnon, pair et associé avec les autres : laissant sa famille, pour entrer en cité : et les affaires domestiques, pour traitter les publiques : et au lieu du seigneur, il s’appelle citoyen »127. Ainsi, la condition de « pair » et « associé » qui caractérisent l’horizontalité du lien se traduit par la capacité de traiter les « af-faires publiques ». À une époque où les droits politiques du citoyen n’ont pas encore émergé,

122 On emprunte la formule à Olivier Beaud, La puissance de l’État, op. cit., p. 125.

123 Paul Lagarde, La nationalité française, op. cit., n° 00.02, p. 2.

124 Denis Baranger, Le droit constitutionnel, op. cit., p. 48-49.

125 Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, op. cit., p. 276.

126 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, livre I, chap. 6, op. cit., p. 31.

l’affirmation reste théorique. C’est évidemment la notion de « souveraineté populaire » qui va le mieux caractériser la nationalité en tant qu’outil nécessaire au principe d’imputation de la souveraineté. Rousseau exprime cette idée avec force lorsqu’il énonce que les « associés pren-nent collectivement le nom de peuple, & s’appellent en particulier Citoyens comme participants à l’autorité souveraine »128. La Constitution du 24 juin 1793 formalise juridiquement cette con-ception en prévoyant que « le peuple souverain est l’universalité des citoyens français. »

23. Pour conclure sur ce point avec Jellinek, on peut résumer que le double rapport de la

nationalité à la souveraineté se caractérise d’abord par la formation d’un « groupement par voie d’autorité », formé « d’éléments purement subordonnés », objet de la « puissance de comman-dement » (c’est la verticalité de la nationalité, cadre d’application de la souveraineté), et ensuite par la formation d’une « compagnie d’associés », formée « d’éléments purement coordonnés », élevés au rang de « membre de l’État » (c’est l’horizontalité de la nationalité, cadre d’imputa-tion de la souveraineté)129. Cet auteur indique avec clarté que « L’élément d’autorité et l’élé-ment associationnel sont combinés dans la corporation étatique de manière à former nécessai-rement un ensemble homogène »130. Il s’en déduit donc un principe d’identité entre le peuple objet de la souveraineté, et le peuple titulaire de la souveraineté. Ces liens théoriques conduisent à ce que nationalité et souveraineté soient régulièrement liés dans les discours juridiques et politiques.

24. Généalogie du lien entre les deux notions. – Cette liaison particulièrement forte entre

ces deux notions a pu produire des conséquences sur le plan de l’analyse juridique et politique. Comme le note Federico Castro, « Le concept de nationalité (…) a si directement dépendu de la souveraineté de l’État, qu’on les a confondus dans la même évaluation. »131 Olivier Beaud note plus sobrement que la nationalité est le « reflet » de la souveraineté, qu’elle en partage les « caractères »132. De fait, la littérature juridique et politique est riche des formules liant les deux notions.

25. C’est sans doute la sphère politique qui la première a lié souveraineté et nationalité.

L’une des premières traces de cette liaison peut sans doute être identifiée dans le discours que

128 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, livre I, chap. 6, op. cit., p. 31.

129 Sur l’ensemble, voy. Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, vol. II (Théorie juridique de l’État, 1900), Paris, LGDJ, 2005, p. 38.

130 Ibid.

131 Federico Castro, « La nationalité, la double nationalité et la supra-nationalité », op. cit., p. 523.

Ludot prononce au Tribunat en 1801 en faveur du code civil, lorsqu’il énonce les caractéris-tiques générales régissant l’acquisition et la perte de la qualité de Français : « L’acte qui confère la qualité de Français au nom du peuple est fondé sur le droit de souveraineté »133. L’expression se diffuse alors progressivement au cours du XIXe siècle, et on la retrouve encore lors des débats relatifs à la loi du 3 décembre 1849 sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France. Le député Jules Cardon de Montigny considère alors que « s’il était un acte important de la souveraineté », ce serait « le droit de conférer la naturalisation, la qualité de citoyen, parce qu’il touche à la loi constitutive de la nation elle-même »134. Plus tard, Camille Sée, conseiller d’État et rapporteur de ce qui deviendra la grande loi du 26 juin 1889 sur la nationalité, écrit que la nationalité est « une question de souveraineté »135. Au début du XXe siècle, le député André Mallarmé, alors rapporteur de la future loi du 10 août 1927 sur la nationalité, déclare encore que « L’attribution de la nationalité est une prérogative de souveraineté »136. À la même époque, l’expression fait florès dans les cénacles internationaux, comme le montrent les travaux préparatoires de la Convention concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité conclue à La Haye le 12 avril 1930, de nombreux États exprimant l’idée qu’« il ne peut y avoir de limitation au pouvoir souverain qu’ont les États de légiférer en cette matière de nationalité. »137 L’expression se retrouve encore régulièrement dans la période contempo-raine, le rapport de la commission Marceau Long remis en 1988 retenant par exemple que la naturalisation relève du « pouvoir d’appréciation souverain de l’État »138. Très récemment, le sénateur Philippe Bas, rapporteur du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation, écrit que « La décision de reconnaître quelqu’un comme son national ou de le lui refuser est un acte de souveraineté. »139

26. Dans la littérature juridique, la formule se développe plus tardivement. Despagnet écrit

ainsi en 1886 que chaque loi est « formelle et souveraine » pour régler le droit de la nationalité, et plus généralement que « chaque législateur est maître absolu pour régler comme il l’entend

133 Recueil Fenet, t. VII, p. 324.

134 Assemblée Nationale, séance du 20 novembre 1849, in Moniteur universel, 22 novembre 1849, p. 3739.

135 Camille Sée, Rapport du Conseil d’État, 31 mars 1883, in Sénat, Impressions (n° 65), vol. II, Paris, Mouillot, 1884, p. 205.

136 JORF, Ch. des Dép, débats, 31 mars 1927 (1ère séance), p. 1100.

137 Société des Nations, Actes de la conférence pour la codification du droit international, II (Procès-verbaux de la première commission – Nationalité), 1930, Genève, n° C. 351 (a). M. 145 (a)., p. 23.

138 Commission de la nationalité, Être Français aujourd’hui et demain, vol. II, Paris, La documentation française, 1988, p. 145.

139 Philippe Bas, Rapport sur le projet de loi de protection de la nation, Sénat, session ordinaire 2015-2016, 9 mars 2016, n° 447, p. 60.

l’acquisition ou la perte de la nationalité dans son pays »140. Charles Delessert considère quant à lui que la nationalité « qui rattache et enchaîne l’homme à une collectivité étatique (…) est bien le résultat d’un acte de souveraineté de l’autorité publique. »141 Dans les années 1930, Jacques Maury souscrit à l’idée que la nationalité est « un lien entre l’individu et l’État, l’ap-partenance permanente, constitutionnelle d’un individu donné à un État donné ; elle traduit la souveraineté personnelle de l’État »142. Encore aujourd’hui, l’usage de lier les deux notions n’est pas moins courant. Cela ressort notamment des divers travaux des meilleurs spécialistes de la nationalité. Hugues Fulchiron écrit ainsi qu’« Il appartient à chaque État de déterminer quels sont ses nationaux. C’est là une question de souveraineté »143, Étienne Pataut évoque le « bastion de souveraineté étatique qu’est le droit de la nationalité »144, Fabien Marchadier qu’« Il est difficile de contraindre les États [en droit de la nationalité,] dans un domaine qui s’inscrit au cœur de leur souveraineté »145, Jean-Yves Carlier et Sylvie Saolea considèrent que « La nationalité est l’expression même de la souveraineté »146, etc. Les derniers travaux de thèse sur la question de la nationalité rendent encore compte des usages de ces deux notions. Amélie Dionisi-Peyrusse évoque ainsi « le principe de détermination souveraine de la nationalité »147,

140 Frantz Despagnet, Précis de droit international privé, Paris, Larose et Forcel, 1886, n° 114, p. 123. On trouve une expression plus ramassée dans la 5ème édition revue et augmentée par Charles de Boeck qui écrit désormais « la loi est souveraine pour régler l’attribution ou la perte de la nationalité », in Frantz Despagnet et Charles de Boeck, Précis de droit international privé, 1909, 5ème éd., n° 110, p. 368).

141 Charles Delessert, L’établissement et le séjour des étrangers au point de vue juridique et politique, Lausanne, La Concorde, 1924, p. 40.

142 Jacques Maury, « Nationalité (Théorie générale) », in Albert de Lapradelle et Jean-Paulin Niboyet (dir.),

Ré-pertoire de droit international, vol. IX, Paris, Dalloz, 1931, n° 22, p. 255.

143 Hugues Fulchiron, La nationalité française, Paris, PUF, 2000, p. 26. Voy. plus récemment du même auteur, « Les enjeux contemporains du droit français de la nationalité à la lumière de son histoire », Pouvoirs, 2017, n° 1, p. 16 : « Bien sûr, la nationalité constitue une prérogative essentielle de l’État : elle est l’expression même de la souveraineté puisqu’elle détermine la population constitutive de l’État. »

144 Étienne Pataut, « Les conflits de nationalités face au droit de l’Union », Rev. crit. DIP, 2018, n° 2, p. 241 ; « Citoyenneté européenne », RTDE, n° 3, 2010, p. 623. L’expression est courante, on la retrouve d’ailleurs chez Roger Brubaker, Citizenship and Nationhood in France and Germany, Cambridge, Londres, Harvard University Press, 1992, p. 180 : « setting citizenship is the last bastion of sovereignty », chez Jean-François Flauss, « La sau-vegarde des droits politiques des doubles nationaux », RTDH, 2009, p. 860 : la nationalité est l’« un des derniers bastions de la souveraineté », ou encore chez Hugues Fulchiron, « Réflexions sur les évolutions récentes du droit de la nationalité en Europe », Réalisation et défis de l’Union européenne : mélanges en hommage à Panayotis

Soldatos, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 291, qui note que le droit de la nationalité est le « [b]astion traditionnel de

la souveraineté étatique ».

145 Fabien Marchadier, « L’européanisation du droit à la nationalité », in Stéphane Doumbé-Billé, La

régionalisa-tion du droit internarégionalisa-tional, Bruxelles Bruylant, 2012, p. 362. Voy. également l’article « Narégionalisa-tionalité » écrit par cet

auteur avec Amélie Dionisi-Peyrusse, in Pascal Mbongo, François Hervouët et Carlo Santulli (dir.), Dictionnaire

encyclopédique de l’État, Paris, Berger-Levrault, 2014, p. 657 : la nationalité est une « compétence souveraine ». 146 Jean-Yves Carlier et Sylvie Saroléa, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, n° 264, p. 258. Voy déjà dans leur ouvrage collectif, Bernadette Renaud, « Le Code de la nationalité belge. Présentation synthétique et développements récents », in Jean-Yves Carlier et Sylvie Saroléa (dir.), Droit des étrangers et nationalité, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 12 : vis-à-vis des États, la nationalité est « un élément fondemental de leur souverai-neté, éléments dont ils sont, traditionnellement, fort jaloux. »

147 Amélie Dionisi-Peyrusse, Essai sur une nouvelle conception de la nationalité, Paris, Defrénois, 2008, n° 155, p. 57.

et Anne-Virginie Madeira mentionne le « caractère souverain du choix de l’État dans la déter-mination du national »148.

27. Les juges français ont par ailleurs tôt consacré cette liaison, exprimée avec une grande

clarté dans un célèbre jugement du Tribunal civil de la Seine, rendu en 1917 : « les lois qui règlent la nationalité intéressent au premier chef l’existence et la conservation de l’État ; qu’elles font partie du droit public des nations, sont souveraines et excluent toutes lois étran-gères »149. À la même époque, le Conseil d’État note d’ailleurs que le gouvernement « décide souverainement »150 du prononcé des mesures de déchéance de nationalité. Ambroise Colin, conseiller près la Cour de cassation, écrit ainsi sans difficulté en 1921 que « les règles relatives à la détermination des individus auxquels appartient ou n’appartient pas la nationalité française (…) ont trait à l’assiette et à la constitution de la souveraineté. »151 Ces formules se sont toute-fois perdues et on ne les retrouve plus dans la jurisprudence récente. En revanche, le gouverne-ment recourt encore très régulièregouverne-ment à la liaison de la nationalité et de la souveraineté. Par voie de circulaire, on trouve en 1952 la mention selon laquelle en droit de la nationalité, « C’est en effet en vertu d’un droit de souveraineté que le Gouvernement prend une décision dans chaque cas particulier. »152 Plus récemment, dans une circulaire du 18 septembre 2015 émise par la chancellerie, la « nationalité » y est considérée comme « un élément essentiel de (…) [la] souveraineté [de la puissance publique] »153. Le ministre des affaires étrangères émet encore l’idée en 2017, suite à une question parlementaire, que la nationalité est « une manifestation de l’identité et de la souveraineté de cet État. »154 Mais que ces discours expriment-ils du point de vue du droit ?

148 Anne-Virginie Madeira, Nationaux et étrangers en droit public français, thèse, Paris, 2015, p. 20.

149 Tribunal de la Seine, 7 février 1917, T. c. Préfet de la Seine, in Revue de droit international privé, p. 266. La formule est sans doute inspirée d’un article de Julien Pillaut, « Du caractère politique de la notion de nationalité »,

Revue de droit international privé, 1916, p. 15, publié l’année précédente : « L’État n’existant que par les individus

qui le composent, se considère comme libre de régler comme il l’entend la matière de la nationalité, non seulement en vertu de son droit général de souveraineté, mais en raison de la nécessité d’assurer son existence et sa conser-vation (…) ».

150 CE, 7 juillet 1916, n° 60.033, Dreifuss, Lebon p. 278.

151 Ambroise Colin, Note sous Cass., ch. réun., 2 février 1921, affaires Colom et Kroll, D., 1921, I, p. 2.

152 Circulaire n° 93 du 23 avril 1952 relative à l’instruction des demandes de naturalisation et de réintégration, in Raymond Boulbès, Droit français de la nationalité, Paris, Sirey, 1956, n° 435, p. 178.

153 Circulaire du 18 septembre 2015 relative au contentieux de la nationalité, n° JUSC1522457C, BOMJ n° 2015-09 du 30 septembre 2015, p. 1.

2. L’expression du lien entre les deux notions

28. La nationalité en tant que compétence exclusive de l’État. – La nationalité peut

d’abord être liée à la souveraineté en tant qu’elle est une compétence « exclusive » de l’État. L’exclusivité, notion de droit international public, renvoie alors très classiquement à l’idée d’un « pouvoir appartenant à un État que celui-ci ne partage avec aucun autre État, avec aucune organisation internationale et pour l’exercice duquel il n’est lié par aucune règle de droit inter-national. »155 C’est le fameux article 15 § 8 du Pacte de la Société des Nations qui consacre cette notion en excluant que le Conseil de cette organisation puisse proposer une « solution » à un « différend port[ant] sur une question que le droit international laisse à la compétence ex-clusive » d’un État partie – on reconnaît ici ce que la doctrine a rapidement appelé le « domaine réservé »156. Dès les premières interprétations de cet article – dès que l’on essaiera de détermi-ner matériellement ce qui relève de la compétence exclusive de l’État –, la nationalité sera évo-quée. Le président américain Woodrow Wilson est ainsi l’un des premiers à fixer une « doc-trine » particulièrement claire, alors qu’il s’exprime devant le Sénat américain, en considérant que l’immigration, les tarifs douaniers et la naturalisation devaient relever de la domestic juris-diction au sens de l’article 15 § 8157. La Cour permanente de Justice internationale confirme quelques années plus tard cette interprétation dans l’affaire des décrets, jugeant alors que « dans l’état actuel du droit international, les questions de nationalité sont, en principe, de l’avis de la Cour, comprises dans ce domaine réservé »158. Simon Rundstein écrit ainsi en 1926 que « c’est dans le domaine [de la nationalité] que les principes de la souveraineté trouvent leur application la plus certaine. »159

29. Encore aujourd’hui, la souveraineté en droit de la nationalité est souvent entendue

comme une expression de l’exclusivité de la compétence de l’État. Dans leur récent manuel,

155 Voy. « compétence exclusive », in Jules Basdevant, Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960, p. 135.

156 Voy. Nicolas Politis, « Le problème des limitations de la souveraineté et la théorie de l’abus des droits dans les rapports internationaux », RCADI, 1925, vol. 6, p. 43-59.

157 Voy. la declaration du Président Wilson devant le Committee on Foreign Relations du Sénat le 19 août 1919 : « The United States was by no means the only Government interested in the explicit adoption of this provision, and there is no doubt in the mind of any authoritative student of international law that such matters as immigration, tariffs, and naturalization are incontestably domestic questions with which no international body could deal with-out express authority to do so. No enumeration of domestic questions was undertaken because to undertake it, even by sample, would have involved the danger of seeming to exclude those not mentioned. », voy. US Congress, Treaty of Peace with Germany. Hearings before the Committee on Foreign Relations, US Senate, 66th Congress, 1st Session, 1919, in Senate Document, n° 106, Washington, Government Printing Office, 1919, p. 501.

158 CPJI, avis, 7 février 1923, Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, série B, n° 3, p. 24.

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