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Délimitation matérielle. – Sans revenir sur le débat très ancien relatif à la nature du

Dans le document Nationalité et souveraineté (Page 56-59)

B. La délimitation et la méthodologie de l’étude

45. Délimitation matérielle. – Sans revenir sur le débat très ancien relatif à la nature du

droit de la nationalité223, cette thèse s’inscrit résolument dans le domaine du droit public224. Elle repose sur l’étude de l’ordre juridique étatique, et donc prioritairement sur le droit public in-terne, notamment le droit constitutionnel. S’il n’y a plus, depuis les constitutions révolution-naires, de définition constitutionnelle du ressortissant national225, il n’en demeure pas moins que la nationalité est une question constitutionnelle. Comme l’énonce très justement Marcel Prélot : « Pour envisager dans sa pleine intégralité le domaine logique du droit public constitu-tionnel, l’on doit descendre (…) jusqu’au problème de la nationalité. »226 La question des rap-ports entre nationalité et souveraineté concerne encore le droit administratif puisqu’il revient à l’autorité publique au sens large – le gouvernement et son administration – d’adopter un certain nombre de mesures administratives individuelles en droit de la nationalité, dont la naturalisation et la déchéance de nationalité sont les exemples les plus emblématiques. L’on étudiera donc à la fois les textes qui confèrent ces pouvoirs à l’autorité publique, leurs usages et interprétations, mais aussi la jurisprudence du juge administratif en lien avec ces prérogatives. Pour étudier les pouvoirs de l’État en droit de la nationalité, il sera en outre nécessaire de s’appuyer sur le droit international public et le droit de l’Union européenne, sous deux aspects. D’abord sous l’angle

223 Sur ce débat et son dépassement, voy. François Terré, « Réflexions sur la notion de nationalité », RCDIP, 1975, p. 197-214.

224 L’on ne saurait mieux dire que Camille Jordan, « Examen des pouvoirs de la Chancellerie en matière de natu-ralisation », Bulletin de la société de législation comparée, 1918, vol. 47, nos 5-9, p. 341 : « je considère la natio-nalité comme étant au premier chef un problème de droit public. Je dirai plus : je ne conçois pas de problème qui ait plus directement ce caractère. Car, que peut-on imaginer de plus essentiellement droit public que ce qui touche à l’organisation de l’État ? Or, c’est avec la nationalité – qu’elle soit d’origine ou par naturalisation – que se crée, non seulement la forme, mais l’être, la substance même de l’État. » Plus récemment, voy. Xavier Vandendriessche et Zéhina Aït-El-Kadi, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile 2018, annoté et commenté,

op. cit., p. 989 : « si [la discipline du droit de la nationalité] relève principalement du droit privé (et donc de la

compétence du juge judiciaire) en tant qu’elle touche à l’état des personnes, le droit public n’en est pas absent dès lors que le lien de nationalité exprime le rattachement juridique (et également symbolique) d’un individu à un État et intéresse ainsi nécessairement la “puissance de l’État”. »

225 Voy. Boris Mirkine-Guetzévitch, « Les sources constitutionnelles de la nationalité », in Institut de droit com-paré, La nationalité dans la science sociale et dans le droit contemporain, Paris, Recueil Sirey, 1933, p. 69-78.

des contraintes que les différentes normes de ces deux ordres juridiques, et la jurisprudence afférente, peuvent créer dans l’ordre juridique interne d’un pur point de vue hiérarchique, à l’égard du législateur ordinaire ou du pouvoir réglementaire. Ensuite, l’on s’intéressera à l’ex-pression du pouvoir de l’État dans ces deux ordres juridiques, et notamment aux différentes normes et obligations qui y existent. Dans cette dynamique, le poids de l’ordre juridique de l’Union européenne ne devra toutefois pas être surestimé, même si c’est là que « l’esprit s’oriente assez naturellement »227. Comme on l’a déjà établi supra (cf. n° 28 s.), il n’est pour l’instant pas question d’une atteinte à l’exclusivité de la compétence des États membres de l’Union européenne, les traités établissant sans aucun doute que « La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. »228 Si le droit de l’Union européenne édicte donc certaines contraintes qui méritent d’être étudiées, à la fois dans son ordre propre, mais aussi dans l’ordre étatique, il ne remet pas fondamentalement en cause la nature exclusive du pouvoir de l’État en droit de la nationalité. D’un point de vue matériel, cette étude s’appuiera donc sur les quatre grands champs disciplinaires du droit public, avec un certain primat pour le droit public interne, de manière à élucider pour partie les rapports entre nationalité et souverai-neté du point de vue de l’État français. La nationalité, dans son acception purement juridique, ne concerne d’ailleurs que les personnes physiques, et cette étude n’entend donc pas s’appuyer sur la « nationalité » des personnes morales ou des biens229.

46. Délimitation spatiale. – Cette étude porte sur le droit français de la nationalité, en lien

avec la souveraineté du pouvoir de l’État. Elle n’entend pas procéder à une comparaison systé-mique de l’ensemble de ses éléments avec un ou plusieurs droits étrangers – l’étude d’ensemble du droit français sur une période couvrant plusieurs siècles empêche en effet toute comparaison rigoureuse. Pour autant, des incursions dans les droits et systèmes étrangers seront engagées pour éclairer le fonctionnement de l’ordre juridique français et de la nationalité en général. L’on suivra alors une méthode dite « fonctionnaliste », c’est-à-dire basée sur l’analyse de la réponse

227 Jean-Yves Carlier, « Les statuts juridiques alternatifs ou complémentaires à la nationalité », op. cit., 2012, p. 308.

228 Art. 20 du TFUE. Comme le note l’Avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions présentées le 30 septembre 2009, aff. C-135/08, Janko Rottmann c. Freistaat Bayern, § 17 : « il est entendu que la détermination des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, – et donc de la citoyenneté de l’Union –, relève de la compétence exclusive des États membres. »

229 Voy. Fabienne Jault-Seseke, Sabine Corneloup et Ségolène Barbou des Places. Droit de la nationalité et des

étrangers, op. cit., nos 31-33, p. 26-28. Voy. surtout les travaux de Niki Aloupi, Le rattachement des engins à l’État

donnée à une problématique commune par différentes normes propres à différents ordres juri-dique230. L’idée est alors de mettre en avant les ressemblances et convergences entre ordres juridiques, dans une démarche descriptive231. On mobilisera à cette fin le droit anglais qui réagit comme le droit français à une problématique de gestion du terrorisme par les moyens de la nationalité (voy. infra n° 569 s.). L’on fera également appel au fédéralisme comparatif pour mettre en relief certaines caractéristiques de la citoyenneté européenne dans le cadre de la cons-truction territoriale de la nationalité (voy. infra n° 164 s.).

47. Délimitation temporelle. – Cette étude s’intéressant à la nationalité dans le cadre des

pouvoirs de l’État, il est impératif de remonter à la naissance de l’État moderne et à la formali-sation de son appartenance juridique sous la forme d’un statut pour identifier les dynamiques et la construction du droit positif contemporain. À quelle période faut-il commencer ? Les tra-vaux de Léonard Dauphant ont montré que le XVe siècle voit déjà naître une certaine identité française, et il cite l’exemple de la prise de la ville de Château-Landon en 1437 par les troupes du Roi, où les soldats anglais sont expulsés, et leurs partisans « de langue française » pendus pour leur trahison – ce qui montre une distinction assez nette entre le Français et l’étranger232. Cette identité converge en droit avec le passage à la même époque d’une suzeraineté royale à une souveraineté royale, marquant l’établissement d’un droit du sol sur l’ensemble du territoire du royaume de France, et la perception du droit d’aubaine (frappant les seuls étrangers) au profit exclusif du Roi et non de ses seigneurs vassaux233. C’est évidemment une dynamique juridique progressive dont la peine effectivité attendra les XVII-XVIIIe siècles234. Il n’empêche, les dé-veloppements de Jean Bodin à la fin du XVIe siècle dans sa République sur le « citoyen » ré-vèlent l’unité conceptuelle et juridique d’un statut de Français – la nationalité « avant la

230 Béatrice Jaluzot, « Méthodologie du droit comparé : bilan et prospective », RIDC, 2005, vol. 57, n° 1, p. 40 : « Il s’agit (…) d’analyser la ou les fonctions que remplit une règle juridique et de rechercher leur pendant dans les droits étrangers. »

231 Voy. Véronique Champeil-Desplats, Méthodologie du droit et des sciences du droit, Paris, Dalloz, 2016, 2ème

éd., n° 364, p. 223.

232 Voy. Léonard Dauphan, Le royaume des quatre rivières, Seyssel, Champ Vallon, 2012, p. 193-194.

233 Le droit d’aubaine est le droit que possède le Roi dès cette époque de percevoir les héritages des étrangers décédés sur le sol français. L’étranger, ou aubain, est en effet par principe privé de capacité successorale. La souveraineté royale peut se mesurer à l’aune de la capacité du Roi, plutôt que de ses seigneurs vassaux, à percevoir le droit d’aubaine. Sur cette dynamique, voy. les travaux de Bernard d’Alteroche, De l’étranger à la seigneurie à

l’étranger au royaume XIe-XVe siècle, Paris, LGDJ, 2002, 353 p.

234 Voy. Peter Sahlins, Unnaturally French, Ithaca, Londres, Cornell University Press, 2004, p. 31-64, en particu-lier pour l’application sur les territoires coloniaux ; Serge Slama, Le privilège du national. Étude historique de la

lettre » – qui peut donc être étudié dès cette époque, principalement à partir des ouvrages con-sacrés à la question par les légistes et philosophes jusqu’au XVIIIe siècle235. L’on procédera à une analyse proprement juridique fondée sur les textes et la jurisprudence à partir de la Révo-lution française et jusqu’à la période contemporaine. À titre spécial, des sources historiques contemporaines, originales et inédites, en provenance des archives nationales, seront mobilisées pour mettre en lumière les usages administratifs méconnus de l’article 96 du code de la natio-nalité, aujourd’hui consacré à l’article 23-7 du code civil (voy. infra nos 394 et 721). Il s’agit des dossiers d’instruction de la section sociale du Conseil, prélevés de manière exhaustive entre 1950 et 1952, de manière à couvrir un tiers du total des décisions prises par l’autorité pu-blique236. Après ces éléments de délimitation, il est nécessaire de s’intéresser à la méthodologie de l’étude.

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