• Aucun résultat trouvé

170. Le conciliateur est un organe important dans la procédure de conciliation prévue en droit français et en droit OHADA. Il œuvre pour la conclusion d’un accord de conciliation entre le débiteur et ses créanciers357. Le mécanisme de plan pré-négocié repose sur une négociation préalable. L’un des fondements juridiques de l’admission d’un tel mécanisme, dans les droits français et OHADA, peut ainsi être relié au rôle du conciliateur. Une interprétation des textes qui définissent les missions du conciliateur (I), permet d’affirmer que le recours au procédé de passerelle est implicitement permis à ce dernier (II).

I. L’interprétation des textes

171. L’application d’un texte juridique à un cas d’espèce est souvent fonction de l’interprétation que lui donne le juge358. L’interprétation d’un texte normatif peut poursuivre non seulement un objectif d’éclaircissement359 - ce qui incombe au juge -, mais aussi un but privé consistant à exploiter toute ouverture ou faille laissées par le législateur360 - ce qui est le plus souvent le propre des justiciables - ; dans la rédaction d’une règle de droit, le législateur peut laisser des ouvertures de façon délibérée ou non. Tel est le cas des articles L.611-7 du code de commerce et 5-5 de l’Acte uniforme des procédures collectives, qui sont relatifs aux missions du conciliateur, et dans l’esprit desquels l’usage du procédé de passerelle est permis (A), sans un cadre juridique dédié (B).

A. Un usage permis inconsciemment au conciliateur

172.

Les procédures de conciliation et de mandat ad hoc constituent, en droit français, le cadre des négociations amiables. Jusqu’à la loi du 22 octobre 2010361, aucun texte ne parlait explicitement d’une procédure pré-arrangée où le conciliateur ou le mandataire ad hoc avaient un rôle important à jouer.

173.

Pourtant, tacitement, il ne faisait aucun doute que le chef d’entreprise, aidé par le conciliateur, pouvait se permettre une telle initiative dans l’esprit des dispositions de l’article L.611-7 du

357 Art. L.611-7, c. com. ; Art. 5-5, al. 1, AUPC.

358 J. CARBONNIER, La sociologie juridique, 2e éd., PUF, 2004, p. 267.

359 J. GHESTIN et Alii, Introduction générale, 4e éd., LGDJ, 1994, n°468.

360 V. C. BERGEAL, Rediger un texte normatif, 7e éd., Berger-Levrault, 2012.

361 L. n°2010-1249 du 22 oct. 2010 de regulation bancaire et financière, JORF n°0247 du 23 oct. 2010, p. 18984, texte n°1.

code de commerce. Selon ce texte, dans sa version en vigueur avant la loi de 2010 précédemment citée et l’ordonnance 12 mars 2014362, « le conciliateur a pour mission de

favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses contractants habituels, d’un accord destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Il peut également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l’entreprise, à la poursuite de l’activité économique et au maintien de l’emploi ».

174.

Les dispositions de ce texte, en visant directement la recherche et la conclusion d’un accord de conciliation entre le chef d’entreprise et ses créanciers, n’interdisent pas la préparation d’un projet de plan de restructuration dans la perspective d’une procédure judiciaire.

175. Les procédures collectives se caractérisent par des règles impératives363. Contrairement à une procédure amiable, telle la conciliation, l’adoption d’un plan de restructuration est soumise au vote364. De sorte qu’un projet de plan, élaboré avec les créanciers dans le cadre d’une procédure amiable, peut être validé par le tribunal sur le terrain judiciaire à la suite d’un vote majoritaire des créanciers.365

176. Tel qu’il se présente, rien n’interdisait la passerelle entre la conciliation et la sauvegarde. C’est ce qu’a exploité la pratique dans les affaires expérimentales366 où le mécanisme de plan pré-négocié a été exploité.

177.

Le raisonnement qui précède est valable à l’égard du droit OHADA, sur le fondement des dispositions de l’article 5-5, alinéa premier, de l’Acte uniforme des procédures collectives d’apurement du passif selon lesquelles, « le conciliateur a pour mission de favoriser, entre le

débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses contractants habituels, la conclusion d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise ». Est-ce une

ouverture inconsciente de la part du législateur ? Ce qui est certain, c’est qu’il n’existe pas de cadre juridique prédéfini pour l’usage de la technique de la passerelle.

362 Ord. n°2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, JORF n°0062 du 14 mars 2014, p. 5249, texte n°3.

363 Pour plus de détails sur le caractère dirigiste des procédures collectives : A. CERAT-GAUTHIER et V. PERRUCHOT-TRIBOULET (dir.), Les procédures collectives complexes, éd., GLn Joly Eds, 2017.

364 Art. L.626-30-2, c. com.

365 Art. L. 626-31, c. com. 366 V. supra, n°178 et s.

B. Un usage possible sans un cadre juridique défini

178. Le cadre juridique peut se définir comme l’ensemble des règles et principes qui organisent une opération juridique, ou qui régissent un domaine juridique donné. C’est en général des règles découlant d’un droit spécial.

179. En droit français, la crise des subprime de 2008 avait occasionné des faillites367. Sur le plan juridique, un dispositif de restructuration rapide de l’endettement des entreprises faisait défaut368. Face à ce constat, un recours à la sauvegarde des entreprise, telle que prévue dans le code fédéral américain de la faillite a été évoqué369. En effet, en droit français, l’exigence de l’unanimité370 dans la conciliation ne permettait pas d’utiliser cette dernière pour faire face aux endettements financiers issus de la crise. De même, les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire sont lourdes pour parer au plus pressé.

180. Si l’utilisation du model de restructuration rapide des entreprises aux États-Unis d’Amérique avait été évoquée, il restait que le droit français ne prévoyait pas un cadre juridique pour ce faire. Or, il fallait trouver une solution rapide et adaptée pour sauver les entreprises qui avaient des dettes financières importantes. Le courage de la pratique a permis de s’inspirer des

prepackaged plans du droit américain, qui allient l’amiable - pour négocier le plan de

restructuration - et le judiciaire - pour adopter ce plan. Cette expérimentation s’est matérialisée au travers de l’affaire Autodistribution en 2009371, dans la foulée de la crise financière de 2008.

II. Une possibilité exploitée en France à la suite d’une crise

181. La crise financière de 2008, dite crise des subprime, a conduit les banques à considérablement diminué les concours. La situation financière et économique des entreprises en a pris un coup en France. La conséquence directe fut des liquidations en cascade372. Des mesures d’ordre économique avaient été prises par le gouvernement pour notamment accorder des subventions aux grandes entreprises bancaires. Les causes de cette crise ont été attribuées aux prêts

367 V. infra n°204 et s.

368 En particulier la défaillance des LBO dont les endettements étaient essentiellement financiers.

369 V. supra, n°174 et s.

370V. supra, n°108 et s

371V. supra, n°178 et s.

hypothécaires (A). Les opérations financières, dites de LBO, furent particulièrement touchées (B).

A. Les causes de la crise financière de 2008

182. La crise des subprime a été définie comme « un crédit accordé à un acteur, particulier ou

entreprise, à la solvabilité faible »373, et donc un risque de non remboursement très élevé. Selon plusieurs économistes et sites économiques spécialisés374, la crise financière de 2008 est expliquée par plusieurs causes. Tout serait parti de ces financements hypothécaires appelés « subprime ». Il s’agit des prêts hypothécaires accordés aux particuliers aux États-Unis d’Amérique.

183. Dans la pratique bancaire, un particulier ne bénéficie normalement d’un prêt auprès d’une banque que s’il présente des garanties de remboursement. Il résulte de cela que celui qui n’a pas un revenu conséquent ne peut se faire accorder un crédit conséquent. Ce qui constitue un accès limité aux crédits pour les ménages. Afin de trouver une solution à cette problématique, les banques américaines ont créé les « subprime », qui permettent à des particuliers de bénéficier autant de crédits qu’ils souhaitent à condition de placer leurs maisons en garantie. En cas de non remboursement des concours accordés, le prix de vente de la maison hypothéquée allait permettre d’honorer l’engagement.

184. Soudain, le prix de l’immobilier baissa et provoqua le non-remboursement des dettes. Ne manquant pas d’imagination, les banques font alors recours à la titrisation pour se couvrir, c’est-à-dire qu’elles ont émis des titres de dettes, qui sont des papiers donnant droit aux crédits accordés aux particuliers. Ces titres se sont échangés sur les places boursières : les acheteurs de ces titres (les dettes de la banque envers les particuliers dans le cadre des subprime) ne pouvaient ainsi capitaliser leur investissement que lorsque les débiteurs des banques payaient leurs dettes. Or, ces derniers ne pouvaient plus honorer leur engagement du fait de la baisse du prix de l’immobilier. Ce qui rendit les titres inutiles. Ces mécanismes complexes et risqués causèrent automatiquement la chute de la bourse, et plusieurs banques furent touchées, notamment celles de l’Europe.

373 H. HOUBEN, « La crise des subprime », université marxiste d’été, août 2008, p. 4.

185. Conscientes qu’une crise à la bourse de Paris ou de Washington peut les concerner, les banques ont commencé à se refuser les crédits. En France par exemple, le jeudi 9 août 2007, la BNP a gelé la cotation de trois fonds d’investissement375. Cette attitude de méfiance entre les banques sema la panique sur les marchés et la crise interbancaire causa le manque de liquidités. 186. Faute de liquidités, plusieurs banques se retrouvèrent asphyxiées. En effet, après avoir perdu

dans les subprime, les banques ont cherché à poursuivre leurs activités commerciales dont l’octroi de crédit, afin de générer des intérêts. Cependant pour faire des prêts, il faut avoir de la liquidité et déposé à la banque centrale européenne (BCE) les réserves obligatoires pour les prêts importants. Plusieurs banquent perdirent leurs activités principales. En grande Bretagne par exemple, la Northen Rock a dû être nationalisée376 sous peine de disparaître.

187.

Milieu 2008, alors qu’on croyait que la crise touchait à sa fin, la cause étant connue, elle allait repartir de plus belle quand les banques décidèrent d’arrêter les comptes annuels. La crise qui était au départ bancaire devint un krach boursier, c’est-à-dire qu’à chaque mauvaise nouvelle d’une banque, les titres de celle-ci chutaient sur le marché financier. C’est ainsi que AIG (première banque en assurance) perdit quarante-huit milliards de dollars dans le second trimestre de l’année 2007377. Lheman Brothers (quatrième banque de wall street) a perdu quarante-cinq pourcent de sa valeur en une journée, quatre-vingt-quatorze sur l’année, et fini par déposer le bilan le 15 septembre 2008378. A cause du caractère particulièrement financier de la crise, les entreprises LBO ont connu une profonde crise.

B. La crise des LBO

188. Un LBO379, ou achat par l’effet de levier, est une opération d’acquisition d’une ou plusieurs entreprises financées pour tout ou partie par de l’endettement bancaire. Fruit de la problématique de financement d’une opération de prise de contrôle, le LBO répondait à la question suivante : comment peut-on, en tant que repreneur, réaliser le rachat du capital d’une

375 J. PORIER, « La BNP Paribas suspend la cotation de trois de ses fonds », le monde, 10 août 2007, article consulté le 13 avr. 2017.

376 L'EXPRESS, « Brown nationalise la northern Rock », l’express, 12 févr. 2008, article consulté le 13 avr. 2017.

377 D. BARROUX, « La crise du subprime plonge AIG », les échos, 12 févr. 2008, article consulté le 17 avr. 2016.

378 G. ALLEGRE, « Grandeurs et décadences du numéro 4 de Wall Street », 3 mai 2013, en ligne, www. slideshare.net (page consultée le 15 mars 2017).

entreprise cible alors que les moyens nécessaires à cette acquisition font défaut ? La solution qui semblait appropriée était un emprunt auprès des banques, ou de s’associer à des partenaires. 189. En pratique, l’opération de rachat se fait via une holding de reprise X, au capital de laquelle

vont s’associer des investisseurs financiers et un ou plusieurs managers. La holding finance alors l’acquisition de la cible (société Y) en partie sur fonds propres et, pour le solde, par un emprunt à moyen terme auprès d’une banque. La holding X détient alors 100% de la cible Y et est elle-même détenue à 100% par les investisseurs et managers s’il y en a plusieurs. Ainsi, l’emprunt contracté auprès de la banque est remboursé par la holding X grâce aux dividendes ultérieurs qu’elle aura de la société cible Y380.

190. Les opérations de LBO sont apparues dans les pays anglo-saxons dans les années 1970. En France, elles firent leur apparition en 1980 à travers la loi sur le rachat d’une société par ses salariés et celle sur l’intégration fiscale381. Ces opérations ont évolué et se sont adaptées aux besoins des entreprises, actionnaires et investisseurs français. Plusieurs grandes opérations LBO ont eu lieu à travers le monde selon Thomson Financial382. Récemment en France, les hôtels B&B ont été cédés en mars 2016 par Carlyle et Montefiore à PAI pour une valeur de huit cent vingt-trois millions d’euros.

191. Curieusement, la holding qui constitue le cerveau de cette opération n’avait ni de définition légale, ni de régime juridique spécifique depuis 1980. Créée dans le seul but de détenir des participations sous forme de parts ou d’actions en vue de centraliser le contrôle d’une ou plusieurs sociétés, son existence et son objet étaient jusque-là approuvés par une jurisprudence constante depuis l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 octobre 1980383. Toutefois, son fonctionnement était fonction de la forme sociale que les repreneurs choisissaient. Si la holding était une société de capitaux, comme c’est le cas le plus souvent, elle était régie par les règles juridiques relatives aux sociétés anonymes (SA). La société holding ou société mère a été récemment définie par le code monétaire et financier en ces temps : « une entreprise mère est

une entreprise qui contrôle de manière exclusive, au sens de l’article L.233-16 du code de

380 « LBO », 15 nov. 2008, en ligne : lafinancepourtous.com.

381 Loi n°80-834 du 24 octobre 1980 créant une distribution d’actions en faveur des salariés des entreprises industrielles et commerciales, JORF du 25 oct. 1980.

382 Txu (2007 pour 45 MD$) ; Equity office (2006 pour 36 MD$) ; HCA (2006 pour 33 MD$) ; RJR Nabisco (pour 30 MD$) ; Heinz (2013 pour 28 MD$) ; Kinder Morgan (2006 pour 27 MD$) ; Harrah’s Entertainment (2006 pour 27 MD$) ; First Data (2007 pour 27 MD$) ; Clear channel (2006 pour 27 MD$) ; Alltel (2007 pour 27 MD$) .

commerce, une ou plusieurs autres entreprises ou qui exerce sur elles une influence dominante en raison de l’existence de liens de solidarité importants et durables résultant d’engagements financiers, de dirigeants ou de services communs ».384 En tout état de cause, les entreprises LBO - qui sont des filiales de la holding X dans l’exemple donné plus haut - n’étaient plus capables de générer des revenus, ce qui a contrarié les prévisions des holdings en provoquant la faillite de ces filiales, dont le passif était essentiellement financier. Comme cela a déjà été évoqué, du fait du caractère essentiellement financier de l’endettement, il a été recouru au mécanisme de plan pré-arrangé pour restructurer les LBO. L’admission d’un tel procédé de restructuration par les droits français et OHADA, sans cadre législatif défini, peut être également reliée à l’existence de cadres de négociation dans ces droits.

Documents relatifs