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Paragraphe II. La raison qui tient aux cadres de négociation

A. Les conditions d’ouverture

198. Les conditions d’ouverture du cadre de discussion semblent plus souples en droit OHADA qu’en droit français, ce qui présente, pour le débiteur OHADA, l’avantage de recourir à une procédure amiable, préventive, consensuelle, confidentielle et au formalisme allégé403.

401 Ph. PETEL, « Le nouveau droit des entreprises en difficulté : acte II. Commentaires de l’ordonnance n°2008-1345 du 18 déc. 2008 », JCP E 2009, n°3, p. 28.

402 Droit français : Art.611-6, c. com., droit OHADA : art. 5-2, al. 1, AUPC.

403 F. REILLE, « L’instauration d’une conciliation à la française en droit des entreprises en difficulté Ohada », LPA, 9 mars 2016, n° 49, p. 8.

Quoiqu’elle ait pu être présentée comme une procédure alignée sur la conciliation française404, la nouvelle procédure de conciliation OHADA se démarque de cette dernière aussi bien par rapport au statut juridique du débiteur qu’à la requête d’ouverture.

199. En droit français, la procédure de conciliation est ouverte aux personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale405, aux personnes morales de droit privé, et aux personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris à une profession libérale soumise à un statut législatif ou règlementaire, ou dont le titre est protégé406. Les agriculteurs sont soumis au régime du règlement amiable407.

200. En droit OHADA, il importe de préciser, au prime abord, que le législateur de 2015 a choisi d’unifier le champ d’application ratione personae de l’Acte uniforme des procédures collectives. Il en résulte que les procédures de conciliation, de règlement préventif, de redressement judiciaire, ainsi que de la liquidation des biens ont un champ d’application identique408. La conciliation est accessible à toute personne morale de droit privé, et à toute société publique ayant la forme d’une personne morale de droit privée. Les personnes morales de droit privé qui exercent une activité soumise à un régime particulier, lorsqu’il n’en est pas disposé autrement dans la règlementation spécifique régissant ladite activité, sont aussi concernées. Toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, civile, commerciale, artisanale ou agricole peut prétendre à la conciliation409. Toutefois, selon certains auteurs, la notion de profession impliquant l’habitude, un seul acte ne devrait pas permettre l’ouverture de la conciliation : « l’habitude semble impliquer l’idée d’entreprises

faisant appel à des clients et des fournisseurs, et le cas échéant, à des salariés {…}. Toutefois, celui qui produit un extrait du registre du commerce et du crédit mobilier est présumé commerçant et celui qui produit un extrait du registre des métiers est présumé artisan. On considère que l’entreprenant prévu à l’AUDCG révisé, bien que non expressément prévu, est

404V. L. C. M. BIASSALY, « La procédure de conciliation dans la prévention des difficultés des entreprises en droit OHADA : distincte ou copie du droit français ? », village de la justice, 20 mars 2017 ; F. REILLE, « L’instauration d’une conciliation à la française en droit des entreprises en difficulté Ohada », LPA, 9 mars 2016, n° 49.

405 Art. L.611-4, c. com.

406 Art. L.611-5, c. com.

407 Cette procédure est régie par les articles L.351-1 à L.351-7 du code de commerce.

408 Art. 1-1, AUPC.

409 Selon une doctrine, les dispositions du texte présentent une certaine redondance parlant de la mention de « Toute personne exerçant une activité professionnelle indépendante » : il pense qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter « civile, commerciale, artisanale et agricole » : Ph. ROUSSELLE GALLE, « Les débiteurs dans l’AUPC révisé : la modernisation du droit de l’insolvabilité dans la continuité », Dr. et patr. 2015, n°253, p. 55.

également assujetti {…}. Bien entendu, les membres du secteur informel sont également appréhendés par la formulation de l’article 1-1 »410. Il conviendrait peut-être, de ne considérer que la réalité de l’activité au lieu de la régularité de la situation administrative, pour apprécier le statut de celui qui demande l’ouverture de la conciliation411.

201. Tel qu’il se présente, le législateur OHADA s’est démarqué de son homologue français, en soumettant l’agriculteur à la procédure de conciliation, laquelle est confidentielle contrairement au règlement préventif412 en droit français. La soumission des agriculteurs au règlement préventif en droit français peut avoir un inconvénient, celui de l’exposition des difficultés du débiteur. Ce qui n’est pas de nature à améliorer les relations de ce dernier avec ses partenaires commerciaux. Les deux législateurs excluent du champ d’application de la conciliation, « les

particuliers qui n’exercent aucune activité autonome » 413, tels que les étudiants, les chômeurs. Il en est de même d’une personne qui n’exerce plus d’activité indépendante414.

202. Selon le code de commerce français, la conciliation est ouverte au débiteur qui éprouve une difficulté juridique, économique ou financière avérée ou prévisible, et qui ne se trouve pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours415. L’Acte uniforme des procédures collectives OHADA s’est réservé le détail qui est relatif aux catégories de difficultés telles qu’énumérées par son homologue français. Sur le fond, il s’agit des mêmes difficultés et des mêmes catégories. Hormis la question de la cessation des paiements - l’état de cessation des paiements peut exister au moment de la demande du débiteur en France, ce qui n’est pas possible en droit OHADA -, les deux législateurs semblent être plutôt sur la même longueur d’onde.

203. Les difficultés en question peuvent varier. Elles peuvent tenir par exemple à la rupture d’un contrat, à une rude concurrence, à une modification substantielle d’un contrat, à une sanction sur un produit, à l’insuffisance de fonds de roulement, à des problèmes sociaux qui impactent la production416. Il suffit que la difficulté présente un risque pouvant à terme compromettre la

410 J. ISSA-SAYEGH, P.-G POUGOUE et F.M. SAWADOGO, OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, éd., juriscope, 2015-2016, p. 1119.

411 A. JACQUEMONT et R. VABRES, Droit des entreprises en difficulté, 9è éd., LxisNexis, 2015, p. 63.

412 L.351-6, al.2, c. com.

413 M. JEANTIN et P. Le CANU, Droit commercial, Entreprise en difficulté, 7e éd., Dalloz, 2006, p. 65.

414 F. PEROCHON, Entreprise en difficulté, 10e éd., 2014, LGDJ, p. 73.

415 Art. L.611-4, c. com.

416 D. VIDAL, G. C. GIORGINI, Cours de droit des entreprises en difficulté 2016-2017, 2e éd., Gualino, 2016, p. 115.

continuité d’exploitation417. Les législateurs français et OHADA ne définissent pas les notions de difficulté avérée et de difficulté prévisible. Néanmoins, la difficulté pourrait être dite avérée lorsqu’elle impacte actuellement le bon fonctionnement de l’entreprise. Tandis qu’une difficulté prévisible serait celle dont la manifestation prochaine pourrait impacter la production de l’entreprise. Quoiqu’il en soit, dans les deux cas, la difficulté doit être de nature à compromettre l’exploitation418. Cependant, l’évaluation419 d’une difficulté prévisible peut poser un problème, puisqu’il est question d’une conséquence qui n’est pas présente mais supposée résulter d’un évènement qui reste une simple éventualité420. En fin de compte, il conviendrait, comme le souligne un auteur421, que le caractère prévisible de la difficulté ressorte un ou des éléments factuels, tels que la perte d’un client important, un trouble social. En tout état de cause, la rétention du critère de difficulté prévisible, pour justifier l’accès à un cadre de négociation, est à saluer en ce que cela permet au chef d’entreprise vigilant d’éviter la dégradation de sa situation au point où des conflits d’intérêts pourraient rendre impossible toute chance de compromis422.

204. Le débiteur qui souhaite bénéficier d’une procédure de conciliation doit saisir le tribunal par une requête expliquant les difficultés rencontrées ou redoutées, ainsi que les solutions prévues pour leur résolution. Cette démarche doit être responsable. C’est pourquoi, contrairement à son homologue OHADA, le législateur français requiert l’avis de l’autorité prudentielle lorsqu’il s’agit d’un établissement de crédit, d’un établissement d’investissement423. En revanche, si le législateur français n’exige424 pas que le débiteur propose, concomitamment avec la requête d’ouverture, les solutions envisagées en vue de mettre fin à ses difficultés, son homologue OHADA le fait425.

417 A. JACQUEMONT, R. VABRES, Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., LxisNexis, 2015, p. 63.

418 La difficulté prévisible représente le fait que le chef d’entreprise sache qu’il ne peut honorer les prochaines échéances : C. SCHMITT, « La conciliation. Aspects pratiques », Rev. proc. coll. 2006, n°2, p. 180.

419 Selon P.-M. LE CORRE, la notion de difficulté prévisible serait comparable à celle de l’impossibilité de couvrir les besoins par un financement adapté, jadis utilisé dans le règlement amiable : Droit et pratique des procédures collectives, 2015-2016, 8e éd., Dalloz action, 2014, n°141-21.

420 Dès lors, l’exercice de qualification devient « quasi-divinatoire » : A. JACQUEMONT et R. VABRES, Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., LxisNexis, 2015, p. 64.

421 M.-C. HABAUZIT-DETILLEUX et P. MICHAUD, « La procédure de conciliation applicable à l’avocat en difficulté dans la loi de sauvegarde du 26 juill. 2005 », Gaz. pal. 27 janv. 2006, n°27, p. 3.

422 C. SCHMITT, « La conciliation. Aspects pratiques », Rev. proc. coll. 2006, n°2, p. 178.

423 Art. L.613-27, al. 2, c. mon. fin.

424 V. art. L. 611-6, c. com.

205. En droit français, afin de permettre au juge compétent de prendre une décision sur la foi de preuves matérielles, le débiteur doit joindre à sa requête un certain nombre de documents. Ces derniers doivent permettre entre autres d’identifier le requérant (l’attestation d’immatriculation, d’inscription ou de déclaration d’activité), de connaître sa situation comptable (les états financiers de synthèse contenant le bilan, le chiffre d’affaires, un état de trésorerie et un état chiffré des créances et des dettes avec indication des échéances) et, le cas échéant, le nombre de salariés employés et déclarés à la date de la demande.

206. En droit OHADA, le débiteur devra également fournir une attestation d’absence de cessation des paiements au moment de la demande426, alors qu’en droit français, la cessation des paiements ne doit pas, le cas échéant, exister depuis plus de trois mois427. L’Acte uniforme des procédures collectives exige que le débiteur atteste n’être soumis à aucune autre procédure de conciliation. L’intérêt d’une telle exigence se justifierait par le fait que le débiteur peut être engagé dans une procédure de conciliation dans un autre Etat membre sans que le tribunal saisi ne soit au courant428.

207. IL ressort de la comparaison des dispositions de l’article R.611-22 du code de commerce avec l’article 5-2 du nouvel Acte uniforme des procédures collectives que le législateur OHADA exige moins de documents que son homologue français pour l’ouverture de la conciliation. A titre d’exemple, il ne demande pas l’état des sûretés. Toutefois si cette différence, qui tient à la simplicité, est de nature à inciter le débiteur OHADA à recourir à la conciliation sans attendre que sa situation n’empire, elle n’en reste pas moins critiquable sur le terrain sécuritaire. En outre, dans ces deux droits, des différences de terminologie, certes anodines, peuvent être relevées dans et en dehors de la procédure de la conciliation.

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