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156. Par nature, le droit des entreprises en difficulté est un droit d’ordre public336. La nécessité de le contractualiser prouve que le traitement judiciaire des difficultés des entreprises se montre moins efficace pour le redressement de ces dernières : « nous sommes passés du traitement à

la prévention. C’est une vision pragmatique. C’est aussi en raison du constat que les difficultés économiques ne trouvaient pas de traitement satisfaisant dans le cadre des procédures collectives que l’on s’est progressivement orienté vers la prévention ».337 Dans la mesure où les outils préventifs et curatifs ne répondaient pas suffisamment aux besoins et exigences du contexte économique et social, la recherche d’une alternative était devenue une question prioritaire. C’est dans ce sens que la doctrine a plaidé la cause d’un droit français des entreprises en difficulté plus contractualisé et plus volontariste à l’image du droit américain de la faillite (I). Les praticiens, sans attendre un quelconque encadrement législatif, ont soumis le procédé de plan pré-arrangé à l’expérimentation (II).

I. Le rôle joué par la doctrine

157. Sans conteste, la doctrine française a joué un rôle majeur dans l’adoption du procédé de passerelle par le législateur. Son rôle peut être analysé dans deux sens. D’abord sous l’angle de divulgation des mérites de cette approche de traitement des difficultés des entreprises (A). Ensuite sous l’angle d’analyse de son application au regard du droit positif (B).

A. Un rôle de révélation

158. Le débat sur la contractualisation du droit des procédures collectives n’est pas récent en France. Depuis 2004 des auteurs avaient émis l’idée d’introduire une sauvegarde simplifiée et expresse338. Dans la perspective des réformes opérées par les textes du 26 juillet 2005339 et du 18 décembre 2008340, les mêmes souhaits avaient été réitérés sans être pris en compte341. Les

336 Plusieurs règles et principes impératifs le régissent. Les différentes règles qui découlent de la discipline collective présente dans les procédures judiciaires, la confidentialité, ainsi que l’unanimité de l’accord de conciliation peuvent être citées en exemple.

337 Table ronde, « Contractualisation du droit des entreprises en difficulté », Rev. proc. coll., Mai-juin 2015, p. 99.

338 E. CHIVKA, « Prepack bankruptcy, alternative au traitement exclusivement judiciaire du droit des procédures collectives », revue dr. aff. de l’Université panthéon - assas, 1er oct. 2004, n°2, p. 29-74.

339 V. supra, n°16.

340 id.

341 Th. Monteran, « Pour améliorer le droit des entreprises en difficulté, osons la réforme », Gaz. Pal. 23-24 janv. 2008, p. 3 et 5 ; H. CHRIQUI, « Prévention des difficultés d’entreprise ; peut-on aller plus loin ? », Gaz. Pal. 16-18 mai 2004, p. 2 ; F.-X. LUCAS, « Le plan de sauvegarde apprêté ou le prepackaged plan à la française », cah. dr.

praticiens s’étaient exprimés dans le même sens. A la faveur des consultations en prélude à la réforme de 2008 effectuée par l’ordonnance du 18 décembre 2008 précédemment citée, le conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), ainsi que la chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) avaient exprimé le souhait de voir le droit français adopter le mécanisme de plan pré-arrangé. Pour ces organismes, ce serait à la fois de permettre au débiteur de bénéficier d’un plan préparé en phase amiable et d’optimiser « une efficacité économique et une procédure plus rapide ».342 La chambre de commerce et d’industrie de Paris avait également fait état, à la commission nationale de consultation sur le projet de réforme évoqué précédemment, des demandes de nombreux conseils d’entreprise relatives à l’adoption d’un tel procédé qui leur permettrait de préparer et de peaufiner le plan de restructuration sur le terrain de la conciliation ou du mandat ad hoc.

159. Pour la doctrine, une telle méthode serait un bénéfique mélange du conventionnel et du judiciaire dans un but préventif. Un auteur affirmait par exemple que ce serait « un alliage

parfait de l’efficacité et de l’absence de brutalité »343 ; que « l’intérêt pour le débiteur est

évident puisqu’il a la possibilité d’imposer des sacrifices à ses créanciers dans le cadre d’une procédure collective sans pour autant subir trop durement les effets collatéraux qu’accompagne toute ouverture d’une telle procédure ».344 Autrement dit, la confidentialité de l’amiable et l’autorité du judiciaire seraient réunies dans une seule procédure, car le tribunal peut contraindre les créanciers minoritaires à accepter la volonté majoritaire via le vote. Il faut dire aussi que la contractualisation du traitement des difficultés des entreprises correspondait à l’objectif affirmé de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Celui de moderniser le droit applicable aux entreprises en difficulté en privilégiant la prévention par la négociation. La doctrine a également apporté des éclaircissements quant à l’applicabilité du procédé de plan pré-arrangé dans le droit positif.

entr., sept. oct. 2009, p. 35 ; G. TEBOUL, « Les évolutions récentes provoquées par la crise sur les entreprises en difficulté » , LPA, 3-4 sept. 2009, p. 4 à 6.

342 Commission de réflexion sur la réforme du droit des entreprises en difficulté, contribution de la CCIP, févr. 2008, p. 13.

343 F. X. LUCAS, « Le plan de sauvegarde apprêté ou le prepackaged plan à la française », cah. dr. entr., n°5, 1er

sept. 2009, p. 38.

B. Un rôle d’éclairage

160. Pour l’adoption d’une procédure de sauvegarde à plan pré-arrangé dans le droit positif, la chambre de commerce et d’industrie de Paris avait, lors des consultations relatives au projet de réforme de 2008 évoqué plus haut, proposé deux solutions : raccourcir la durée de la procédure pour qu’elle soit simplifiée ; ou alors conférer au tribunal le pouvoir de cram-down345 afin qu’il

puisse faire passer le projet de plan comme l’aura exprimé la majorité des créanciers. Cette dernière proposition était toutefois équivoque en ce qu’elle ne précisait pas si le tribunal devait intervenir en amont de la phase amiable ou en aval de la phase judiciaire. Les plans étant votés dans les procédures collectives en France346, la proposition que le tribunal intervienne en aval de la procédure judiciaire aurait été une redondance. Dans le même sens, des organismes internationaux avaient fait des recommandations, à l’instar du doing business347 et de la commission des nations unies pour le développement du commerce international (CNUDCI)348. Ces différentes propositions n’avaient pas été prises en compte par cette réforme. La pratique, impatiente et en besoin de trouver une solution adaptée, notamment à la restructuration financière des entreprises décimées par la crise financière de 2008, a décidé de devancer le législateur.

II. L’audace des praticiens

161. Le rapport annuel sur la mise en application de la loi de sauvegarde de 2005 avait émis le souhait de « la contractualisation des solutions aux difficultés de trésorerie »349, en vue d’éviter, dans la mesure du possible, de « replonger corps et bien dans les vieux démons du

droit des faillites, exclusivement judiciaire et structurellement contentieux ».350 Le système juridique français en matière du droit des entreprises en difficulté permettait l’idée d’une sauvegarde accélérée351. L’article L.611-7 du code de commerce dispose en ce sens que le

345 Écrasement des créanciers opposants.

346 Art. L.626-30-2, c. com.

347 « Creating a framework for prepackaged organization can help keep companies operating as a going concern. » ou « créer un mécanisme de plan pré-arrangé peut permettre aux entreprises de se maintenir en activité. » : rapport 2010, p.75.

348 Guide de la CNUDCI sur la coopération, communication et sur la coordination des procédures d’insolvabilité internationale, projet 2009, p. 260.

349 Rapport annuel n°3651, sur la mise en application de la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, p. 55.

350 A. BESSE et N. MORELLI, « le prepackaged plan à la française : pour une saine utilisation de sauvegarde », JCPE, n°25, 18 juin 2009, p. 1628.

conciliateur est chargé de trouver un accord entre le débiteur et ses créanciers, dans le but de mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Ce fondement a permis aux praticiens de procéder à leur teste dans une première affaire dite Autodistribution (A), puis dans une seconde dite Technicolor (B).

A. La sauvegarde d’Autodistribution ou le premier prepack-sauvegarde à la

française

162. La décision ayant consacré la sauvegarde de la société Autodis, holding du groupe Autodistribution352, est apparue comme l’acclimatation du mécanisme de prepack américain en droit français. Contrôlée par Parts holding et Autodis, et spécialisée dans la distribution indépendante de pièces détachées d’automobiles et de poids lourds, cette société a été rachetée par le fond d’investissement Towerbrook. Elle comptait, à l’époque des faits, environ soixante-sept mille employés dont cinq mille deux cents en France. Son chiffre d’affaires s’élevait provisoirement à un milliard d’euros avec une dette financière de six cent quatre-vingt-dix millions d’euros par suite d’un LBO353 réalisé en 2006. Une des victimes de la crise automobile en 2008 et de la réduction du délai de paiement aux fournisseurs par la loi de modernisation de l’économie du 04 août 2008354, le groupe s’est vu fortement affecté au point de devoir envisager la restructuration de ses dettes financières sous la menace d’un dépôt de bilan.

163. Il avait ainsi été recouru à un mandat ad hoc pour trouver une solution consensuelle avec les créanciers pour la recherche d’un partenaire susceptible d’entrer au capital en vue de relancer les activités du groupe par l’apport de fonds. Les négociations ont débouché sur une offre de fonds d’investissement à hauteur de cent dix millions d’euros par Towerbrook et Investcopr en contrepartie de la restructuration financière de la dette existante avec, notamment, une conversion en capital dans la limite de vingt pourcents du capital. Les deux cents prêteurs devaient accepter cette offre à l’unanimité. Telle était la condition pour permettre la restructuration du groupe. Or, vu le nombre des prêteurs soit deux cents et les intérêts en jeux, l’unanimité ne pouvait être atteinte.

164. La question s’est posée de savoir s’il fallait recourir à la sauvegarde classique ou tenter une sauvegarde à plan pré-arrangé ? Dans le cas d’une sauvegarde classique, le risque d’un échec

352R. ROUTIER, N. LAURENT, « Analyse de l’opération Autodistribution : premier prepack à la française, cah. dr. entr., sept.-oct. 2009, p. 20.

353 Levrage buy out ou achat à effet de levier.

354 Loi n°2008-776 du 04 août 2008 de modernisation de l’économie, JORF n°0181 du 5 août 2008, p. 12471, texte n°1.

hantait les dirigeants au regard de la durée et du coût d’une telle procédure qui ne présente guère une bonne image de l’entreprise. Dans celui d’une sauvegarde à plan pré-arrangé, le débiteur devait trouver l’adhésion de la majorité des créanciers au projet de plan établi pour une adoption en phase judiciaire. Bien que ne maitrisant pas cette méthode de restructuration, les prêteurs ont tout de même accepté l’idée à cause notamment de la rapidité annoncée des opérations. Le plan de restructuration fut signé le 26 février 2009 par les créanciers représentant la majorité des deux tiers du montant de la dette du groupe. Au même moment le 18 février 2009, le tribunal d’Évry ouvrait deux procédures de sauvegarde pour les sociétés Parts holdings et Autodis. Le 6 avril 2009, le tribunal arrêtait le plan de sauvegarde des deux sociétés. Il en ressort que la rapidité qui était recherchée avait été atteinte dans la mesure où la procédure n’a duré que sept semaines.

165. Le succès de cette procédure ayant consacré le premier plan pré-négocié a rassuré et, au-delà, suscité de l’espoir aussi bien pour les chefs d’entreprise que pour les praticiens. Une seconde affaire dite Technicolor allait venir convaincre les sceptiques y compris le législateur qui se donnait jusque-là le temps de la réflexion.

B. La sauvegarde de Technicolor ou la confirmation de l’intérêt du

prepack-sauvegarde

166. Le 30 septembre 2009, la sauvegarde de la société Technicolor (ex Thomson) a été ouverte devant le tribunal de commerce de Nanterre355 à la suite de l’échec de l’exécution d’un accord amiable entre elle et ses principaux créanciers à cause de l’opposition d’une minorité de créanciers obligataires porteurs de titres super subordonnés356. Spécialisée dans la conception et la fabrication de systèmes de vidéos et d’images numériques destinés aux professionnels des médias, elle comptait vingt mille salariés dont trois mille en France.

167. En l’espèce, la société Thomson avait émis des titres super subordonnés à durée indéterminée en septembre 2005, pour un montant nominal de cinq cents millions d’euros. Le 21 décembre

355Trib. com. Nanterre, 30 nov. 2009, D. 2009, 2929, note A. LIENHARD ; B. GRELON, « L’affaire Thomson : la loi à l’épreuve de la finance », Rev. Sociétés, juin 2010, p. 244 - « L’arrêt technicolor : entre rigueur et impuissance », Rev. Societés 2011, p. 239 ; Versailles 13e ch. 18 nov. 2010, n°10/01433, Rev. proc. coll. 2011, comm.41, note J.-J FRAIMOUT ; com. 21 févr. 2012, n°11-11.693, Rev. proc. coll. 2012, comm. 82, note J.-J. FRAIMOUT.

356TSS : Titre Super subordonné : créé par la loi du 23 août 2013, les TSS permettent d’apporter des capitaux à une entreprise sans que cette dernière n’augmente leur capital. A la différence des obligations ordinaires qui produisent un intérêt annuel fixe et qui sont remboursés à une date d’échéance, les TSS ne sont remboursables qu’après dissolution de l’entreprise après désintéressement des autres créanciers et génère des intérêtts que si la société émettrice réalise des bénéficies et distribue des dividendes aux actionnaires.

2009, le plan de sauvegarde, préparé lors d’une procédure de conciliation, a été adopté à l’unanimité par le comité des créanciers et par celui des principaux fournisseurs. Il prévoyait le maintien du droit au paiement du montant nominal des titres super subordonnés, mai de payer pour solde aux droits à intérêt, la somme de vingt-cinq millions d’euros équivalant six pourcents du nominal des titres. Le 22 décembre 2009, le plan a été soumis au vote de l’assemblée unique des obligataires. Participants à cette assemblée, les porteurs de titres super subordonnés ont vu leur droit de vote limité à six pourcents du nominal de leurs titres sur la base du calcul de leurs droits à intérêt futurs. Estimant avoir été privés de leur droit de vote, ils ont porté plainte contre la régularité de l’assemblée qui avait adopté le plan à la majorité de quatre-vingt-dix-huit virgule soixante- dix-sept pourcents des créances obligataires. Ils ont été déboutés par le tribunal qui arrêtera le plan par un jugement du 17 février 2010. Cette décision sera confirmée le 18 novembre 2010 par la cour d’appel de Versailles où certains d’entre eux avaient interjeté appel. Une fois encore seule une procédure de la célérité et d’un effet cram-down d’une sauvegarde pré-arrangée était à même de trouver une issue. La procédure n’a duré que deux mois et demi.

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