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L’accord dans la procédure de conciliation du droit français

Paragraphe II. La raison qui tient aux cadres de négociation

A. L’accord dans la procédure de conciliation du droit français

216. Le droit français des entreprises en difficulté prévoit deux mécanismes juridiques pour sécuriser l’accord de conciliation intervenu entre un chef d’entreprise et ses créanciers. L’accord peut être soit constaté439 sur requête conjointe des parties, soit homologué sur demande unique du chef d’entreprise440. Le choix que le débiteur doit effectuer est toujours un dilemme, en ce sens que la décision de soumettre ou non l’accord à l’homologation ne peut intervenir sans concertation étroite avec les créanciers441.

217. Pour la constatation de l’accord,le tribunal doit être saisi par une requête conjointe des parties, ce qui requiert l’assentiment des créanciers parties à l’accord, puisqu’ils doivent renoncer au bénéfice de l’homologation. L’accord intervenu entre les parties est un contrat régi par le droit commun des contrats. De ce fait, le juge ne peut y apporter une quelconque modification442. Le tribunal se contente de constater uniquement l’accord signé entre les parties. Il n’exerce qu’un contrôle formel, d’abord sur l’existence d’une convention des parties - sans possibilité d’en examiner le contenu -, ensuite sur la déclaration du chef d’entreprise qui certifie ne pas être en cessation des paiements à la date de la conclusion de l’accord, ou que l’accord intervenu y a mis fin443.

218. La constatation confère force exécutoire à l’accord. Cet acte n’est pas publié afin d’assurer la confidentialité de toute la procédure et celle du contenu de la convention intervenue entre les

437 Art. L.611-8, I.

438 L’homologation est de droit sauf si l’accord est contraire à l’ordre public : art. 5-10, al.1, AUPC.

439 Art. L.611-8-I, c. com.

440 Art. L.611-8-II, c. com.

441 I. ROHART-MESSAGER, « L’amélioration de la prévention », Gaz. pal. 7 mars 2009, n° spc. p. 5 et s.

442Com. 97-16.777 et 97-17.415, Bull. civ. IV, n°33, p. 26.

parties444. Raison pour laquelle, selon un rapport d’enquête réalisée en 2013 par le ministère de la justice, les entreprises auraient plus recours à la constatation qu’à l’homologation de l’accord de conciliation445. L’acte de constatation de l’accord met fin de plein droit à la procédure de conciliation, et n’est pas susceptible de recours446. C’est la preuve que cette procédure n’est pas imposée au chef d’entreprise447. L’accord constaté produira un effet à l’égard du chef d’entreprise, des créanciers et à l’égard des garants.

219. Nonobstant la désignation d’un conciliateur, le chef d’entreprise n’est pas dessaisi ni à cause de l’ouverture de la procédure, ni à cause de la conclusion d’un accord. Il garde la plénitude du pouvoir de disposition et d’administration.

220. A l’égard des créanciers, l’accord constaté suspend les poursuites448, ce qui est logique dans la mesure où ils sont parties à l’accord, dans lequel ils ont librement consenti des délais et des remises. Toutefois, cette suspension ne concerne que les dettes ayant fait l’objet soit de remise, soit de report de paiement449. Pour les autres, c’est-à-dire non concernées par l’accord, les créanciers sont libres de poursuivre le chef d’entreprise dans les conditions du droit civil. Les délais de paiement sont également interrompus, sauf si l’accord est résolu dans lequel cas les créanciers recouvrent leur liberté de poursuite450. Pour ne pas alourdir le passif du débiteur, le législateur interdit l’anatocisme. Autrement dit, les intérêts produits par les créances ayant fait l’objet de remises ou de délais ne produiront pas d’autres intérêts ; seul le capital restant dû et les intérêts produits jusqu’à l’accord seront payés451.

221. Les garants personnes physiques peuvent ne pas se prévaloir de l’accord constaté. En effet, deux hypothèses sont à distinguer : d’une part, les créances ayant fait l’objet de remise ou de délai dans la convention entre le chef d’entreprise et les créanciers ne peuvent être réclamées aux garants pendant la durée de l’accord, nonobstant l’effet relatif des contrats : « la remise de

444 id.

445 Soit 54% : M. GUILLONNEAU et Alii, « La prévention des difficultés des entreprises par le mandat ad hoc et la conciliation devant les juridictions commerciales de 2006 à 2011 », Rapport de recherche, Ministère de la justice, 2013, p. 14.

446 Art. L.611-8-I, c. com.

447 Art. R.611-37, c. com.

448 Art. L.611-10-1, tel que modifié par l’ord. n°2016-131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JORF n°0035 du 11 févr. 2016, texte n°26.

449 id.

450 id.

dette accordée au débiteur principal libère les cautions, même solidaires »452 ; en dehors de telles créances, les garants ne peuvent se prévaloir des délais accordés à ce débiteur principal, à charge pour eux de demander au juge des délais de grâce453. D’autre part, avant l’ordonnance du 18 décembre 2008, le code de commerce invitait à distinguer selon que l’accord est homologué ou constaté. Les garants pouvaient se prévaloir de l’accord dans le cadre de l’homologation, alors que rien n’était dit dans le cas de la constatation454. La question s’est logiquement posée à la Cour de cassation, qui a affirmé que les garants pouvaient, quand bien même que l’accord était simplement constaté, s’en prévaloir455. Après l’ordonnance précitée, le législateur a unifié la situation des garants personnes physiques et coobligés aussi bien concernant l’accord constaté que celui homologué456. Une modification importante a été adoptée : si dans la législation antérieure à l’ordonnance du 18 décembre 2008, seuls les cautions, coobligés et les titulaires de garantie autonome étaient concernés, après ce texte ce sont toutes les garanties qui sont concernées telles que la fiducie, ou encore la délégation parfaite. Les effets ci-dessus décrits de l’accord constaté sont valables dans le cadre de l’accord homologué, de sorte que dans les lignes qui vont suivre, il ne sera vu que les spécificités qui caractérisent l’accord homologué.

222. L’homologation de l’accord de conciliation est une décision importante qui est destinée à produire effet à l’égard des garants. Elle ne peut intervenir qu’à la demande expresse du chef d’entreprise compte tenu de la publicité qui la caractérise457. Cette décision ne ressort plus d’ailleurs de la compétence du président du tribunal, mais de tout le tribunal de commerce ou de grande instance ; elle est rendue par une formation collégiale suivant le principe du contradictoire. Il en découle que l’homologation ne se fait plus par une simple ordonnance, mais par un jugement458. Le code de commerce pose trois conditions cumulatives de fond pour l’homologation de l’accord de conciliation :

452 Art. 1350-2, c. civ. tel que modifié par l’ord. n°2016-131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JORF n°0035 du 11 févr. 2016, texte n°26.

453 Sur le fondement de l’art. 1345-5, c. civ. tel que modifié par l’ord. n°2016-131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JORF n°0035 du 11 févr. 2016, texte n°26.

454 Art. L.611-10-3, c. com. dans sa version en vigueur avant l’ord. n°2008-1345 du 18 déc. 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté, JORF n°0295 du 19 déc. 2008, p. 19462, texte.

455 Com. 5 mai 2004 ; Act. proc. coll. 2004-11, n° 132, obs. J. VALLANSAN.

456 Art. L.611-10-2, c. com.

457 Art. L.611-8, II, c. com.

223. L’accord doit constater que le débiteur n’est pas en cessation des paiements ou qu’il met fin à cette situation. Il faut dire que la nouvelle physionomie du traitement des difficultés des entreprises en droit français justifie cette exigence. En effet, la procédure de conciliation vise à éviter une crise trésorière du débiteur, ou à tout le moins, une pérennisation de ce dernier au-delà de quarante-cinq jours. Sinon il faudra nécessairement recourir à une procédure collective, puisque dans ces conditions les difficultés sont à considérer comme sérieuses459. Tout accord qui ne peut éviter ce scénario ne présente pas d’utilité dans la mesure où il ne permettra pas au débiteur de sortir de ses difficultés.

224. L’accord doit pérenniser l’entreprise. Ce qui est naturel en ce que l’objectif recherché à travers la procédure de conciliation est de permettre la résolution amiable des difficultés d’une entreprise, afin qu’elle puisse continuer son exploitation économique. Il faudrait dès lors que l’accord fournisse des garanties à cet égard. Un pourvoir d’appréciation élargi est accordé au tribunal par la loi. Ce dernier peut avoir toutes les informations sur le débiteur par des démarches propres, ou au travers du rapport du conciliateur460.

225. Enfin, l’accord ne doit pas porter atteinte aux intérêts des créanciers non signataires. Ce qui s’entend indépendamment du report, du rééchelonnement des dettes, ainsi que des réductions d’intérêt que le tribunal aurait pu accorder au cours de la procédure de conciliation461.

226. Afin de conférer une transparence réelle à l’accord qui sera homologué, le tribunal, avant de statuer, entend ou appelle dûment le débiteur, les créanciers concernés, ainsi que les représentants des salariés462. De même, le conciliateur et le ministère public sont également entendus. Ce qui participe de la moralisation de la procédure. Par ailleurs, le tribunal pourra entendre toute autre personne si nécessaire. A cet égard les créanciers non signataires et les salariés - s’ils n’ont pas été représentés - peuvent être entendus pour toute information utile pour la décision qui sera prise463. La décision homologuant l’accord de conciliation est publiée. Il a été déjà dit que la publicité décourage le chef d’entreprise. Toutefois, il importe de préciser que seule la décision est publiée, l’accord en lui-même ne l’est pas464. Cette décision

459 Toulouse, 2e ch. 10 mai 2007 ; JCP E 2008, n°1643, note C. LEBEL.

460 Art. L.611-2 et L.611-6, c. com.

461 Art. 1244-1 et s., c. civ.

462 Art. L. 611-9, c. com.

463 Art. L.611-6, c. com.

d’homologation de l’accord de conciliation, contrairement à l’ordonnance qui le constate, est susceptible de recours en appel, en cas d’une éventuelle contestation du privilège de la conciliation465 ; il en est de même de la tierce opposition. En outre, la décision rejetant la demande d’homologation du chef d’entreprise est également susceptible d’appel.

227. L’accord homologué lève de plein droit toute interdiction d’émettre des chèques466. Il permet d’accorder le privilège de la conciliation467aux créanciers qui prennent le risque de consentir des concours financiers, ou de fournir des biens ou des services au débiteur, ce qui opère une différence par rapport à l’ancien règlement amiable468. Ce privilège est un moyen pour attirer les créanciers à participer à la restructuration de l’entreprise. Toutefois, un soupçon de rupture d’égalité des créanciers a pu être vu dans ce privilège ; mais le Conseil constitutionnel, saisi de la question, a estimé que « le législateur a institué le privilège contesté afin d’inciter les

créanciers d’une entreprise en difficulté, quel que soit leur statut, à lui apporter les concours nécesaires à la pérennité de son activité ; qu’au regard de cet objectif, ceux qui prennent le risque de consentir de nouveaux concours, sous forme d’apports en trésorerie ou de fourniture de biens ou de services, se trouvent dans une situation différente de celle des créanciers qui se bornent à accorder une remise de dettes antérieurement constituée ; qu’ainsi le législateur n’a pas méconnu le principe d’égalité ».469

228. Le bénéfice du privilège de la conciliation est soumis à la satisfaction de certaines exigences légales470 : l’accord doit être homologué ; il doit s’agir d’un nouvel apport en trésorerie ou en fourniture de biens ou de services ; le concours droit répondre à l’objectif de poursuite de l’activité et de la pérennité de l’entreprise. Les apports consentis par les actionnaires et associés dans le cadre d’une augmentation du capital sont exclus. Commentant ces limitations, un auteur471 a émis des regrets du fait qu’il n’ait pas été exigé de vérifier qu’il n’existe plus d’actif non grevé, ou que le chef d’entreprise a bien utilisé toutes ses réserves de crédit disponibles.

465 Montpellier, 2e ch. 2 févr. 2010 ; JCP E 2010, n°1875, note C. LEBEL.

466 Art. L.131-73, c. mon. fin.

467 Art. L.611-11, c. com. tel que modifié par l’ ord. n°2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, JORF n°0062 du 14 mars 2014, p. 5249, texte n°3.

468 A. JACQUEMONT et ALii, Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., LexisNexis, 2017, n°122, p. 79.

469 Cons. const. n°2005-522 DC du 22 juill. 2005.

470 Art. L.611-11, c. com. tel que modifié par l’ Ord. n°2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procedures collectives, JORF n°0062 du 14 mars 2014, p. 5249, texte n°3.

471 J. STOUFFLET et N. MATHEY, « La loi sur la la sauvegarde des entreprises, commentaires des dispositions applicables aux concours financiers », RD com. et banc. 2006, sp. n°9, p. 55.

Cet auteur espère néanmoins que le tribunal fasse le contrôle lors de l’homologation en vue d’éviter des abus, dès lors que ces limitations sont respectées. Enfin, il a critiqué l’inacceptation des apports en capital, estimant que cette limitation favorise le financement par l’emprunt au détriment du financement en capital, qui serait selon lui le plus à même de garantir des ressources stables au débiteur472.

229. L’accord homologué permet également de couvrir, dans le cadre d’une procédure judiciaire subséquente, les accords passés, notamment les garanties accordées aux créanciers participants, de la nullité de la période suspecte. Il en est ainsi parce que le tribunal ne peut reporter, sauf cas de fraude, la date de la cessation des paiements à une date antérieure à celle de la décision définitive ayant homologué un accord amiable473. Cependant tenant compte de la réforme qui permet l’ouverture d’une procédure de conciliation dans les quarante-cinq jours de la cessation des paiements, peut-on dire que les créanciers sont à l’abri de la période suspecte, sachant que le législateur n’a rien dit sur ce point ? Une réponse affirmative peut être apportée dans la mesure où l’accord devant être homologué doit mettre fin à cet état de cessation des paiements, de sorte qu’on se retrouve dans la même situation que si la conciliation avait été ouverte sans cessation des paiements. Cette condition liée à l’absence de cessation des paiements au moment d’homologuer l’accord amiable semble d’ailleurs être une réaction à un arrêt de la Cour de cassation qui avait autorisé, sous l’empire du règlement préventif, la fixation a posteriori de la date de cessation des paiements indépendamment des ordonnances rendues474.

230. Le créancier titulaire du privilège de conciliation est payé, pour le montant de son apport, avant tout autre créancier, selon le rang déterminé par le code de commerce. Concrètement, il sera payé après les créances salariales et celles liées au frais de justice nées postérieurement au jugement d’ouverture ; mais il le sera avant tout créancier antérieur au jugement d’ouverture et tout créancier de la période d’observation. Le régime de la responsabilité des créanciers, qui apportent un concours financier ou une fourniture au débiteur, ne sera pas abordé ici475. L’accord de conciliation dans le droit OHADA partage en grande partie les règles précédemment évoquées, excepté quelques mesures.

472 J. STOUFFLET et N. MATHEY, « La loi sur la la sauvegarde des entreprises, commentaires des dispositions applicables aux concours fnanciers », RD com. et banc. 2006, spéc. n°24.

473 Art. L.631-8, al. 2, c. com.

474 Com. 14 mai 2002 ; JCP E 2003, n°108, note F. VINCKEL.

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